Situation de la scène dans la pièce
Acte II : la situation d’enfermement Chérubin / Suzanne s’est résolue favorablement pour la comtesse, qui acte la défaite du comte. Le comte ne peut empêcher le mariage de Figaro et de Suzanne, mais l’intervention de Marceline qui demande justice donne espoir au comte.
Acte III : préparation du tribunal. Scène 4 : le comte tentera de vérifier si Suzanne a informé Figaro des projets du comte :
- si oui : le comte tentera de marier Figaro à Marceline
- si non : Suzanne est consentante : le mariage peut donc avoir lieu.
I. Opposition entre le comte et Figaro
a) Le comte, apparemment supérieur à Figaro
Le comte est supérieur à Figaro sous trois aspects différents :
- en maître : opposition « domestique » / « maître », tutoiement de Figaro alors que celui-ci vouvoie son maître,
- en maître de politique : il veut emmener Figaro à Londres
- en responsable de la justice : le comte est maître du destin de Figaro parce qu’il influence le jugement du tribunal (« il épousera la duègne »)
b) La rivalité amoureuse place les deux interlocuteurs au même rang
L’enjeu de cette scène (comme de la pièce) pour le comte et pour Figaro est le même : Suzanne. Cette rivalité vient des intérêts contradictoires des deux personnages.
Figaro revendique le droit de vivre en paix avec sa future femme : « J’aime mieux ma mie, ô gué », tandis que le comte ne voit pas le mariage d’un bon œil : « Sa femme ! ». Le comte, lui, veut le départ de Figaro pour profiter de Suzanne à sa guise (« et voyons ce que nous ferons de la jeune »). Ses intentions adultères rentrent bien sûr en contradiction avec les desseins de Figaro.
Cette rivalité amoureuse place les deux hommes au même niveau : le comte se met au niveau de Figaro en devenant son rival, et laisse de côté ses privilèges.
c) Opposition par le langage et le jeu des apartés
Discours à double sens de Figaro : « vous vous permettez de nous souffler toutes les jeunes… » : compliment pour le comte et critique implicite ; « au tribunal le magistrat s’oublie et ne voit que l’ordonnance », contredit par la didascalie « raillant »
Jeu des apartés : les deux personnages communiquent leurs véritables ressentiments aux publics dans les apartés : « je l’enfile et le paie en sa monnaie » - discours plus cru, moins convenu. Ces apartés sont souvent porteurs d’ironie. Ils apportent aussi un aspect comique à la scène.
Attaques directes et indirectes : moquerie du comte : « comme l’anglais, le fond de la langue ! », reproches de Figaro : « sait-on gré du superflu, à qui nous prive du nécessaire ? ».
d) Une opposition qui est finalement favorable au comte
Le comte est renseigné à la fin de la pièce, alors que Figaro est plutôt déconcerté et ne sait que penser (état d’esprit traduit par une interrogation). Figaro est donc en difficulté par rapport au comte : rien n’est joué. Le Comte, en supériorité, peut prendre de ce fait plus d’initiatives.
Cette difficulté annonce une revanche future. Elle introduit le jugement au tribunal qui aura lieu quelques scènes plus tard.
II. Une critique à l’encontre de la société
a) La critique de la politique
La politique est réduite à l’intrigue : « eh ! c’est l’intrigue que tu définis !». La politique est donc dévalorisée et assimilée à un jeu d’intrigues mystérieuses et peu honnêtes. Les moyens employés pour dénoncer cela sont nombreux :
- jeu de mots avec « ouïr, entendre, comprendre » qui renforce le sentiment d’absurdité, chiasme (ignorer – savoir / savoir ignorer), jeu sur la polysémie des mots.
- antithèse : « s’enfermer pour tailler des plumes », c’est à dire s’enfermer pour ne rien faire,
- Paradoxe : « pensionner des traîtres ».
- Énumération de verbes à l’infinitif qui généralise les actions décrites (et critiquées) à un grand nombre et qui montre la corruption de ce milieu.
- Référence au « bon Roi », à un passé lointain et idéalisé qui rabaisse le présent.
b) La critique de la justice
Figaro critique le fonctionnement de la justice qui est au main de la noblesse, de la classe dominante, et qui laisse peu de place aux droits et à l’égalité. Figaro déclare d’ailleurs qu’elle est « indulgente aux grands et dure aux petits ». Le dysfonctionnement de la justice est accentué par le comportement même de Figaro : il pense gagner son procès (cf. fin de la scène) alors qu’il est en tort. L’ordre est inversé.
Le comte lui même discrédite la justice par sa réplique ironique : « au tribunal le magistrat s’oublie et ne voit que l’ordonnance » : un idéal démocratique est anéanti par le « raillant ».
Conclusion
L’intérêt de cette scène se place :
- au plan dramatique : avance de l’intrigue et de l’action, annonce du procès.
- au plan de la critique de la société (politique et justice), annonçant ainsi la contestation révolutionnaire.
Cette scène est représentative de la confrontation maître/valet qui intervient dans le Mariage.