Introduction
Cette scène est très représentative de la tonalité des relations entre Figaro et le Comte. Ils étaient complices dans Le Barbier de Séville pour faire échouer le mariage entre Rosine et Bartholo et, ici, ils sont rivaux par rapport à Suzanne. Cette relation de compétition permet de les mettre tous les deux sur le même plan : Figaro a pour lui, l’amour de Suzanne. Le Comte, lui, a la supériorité de sa situation sociale.
L’intrigue de la pièce est sur un jeu de quiproquo ; chacun se demande ce que savent les autres. Les personnages utilisent des mots à double sens, ils se livrent à des enquêtes : ils prêchent le faux pour savoir le vrai. Le spectateur sait tout, il est complice des personnages. Le Comte essaie de savoir ce que sait Figaro mais ce dernier est très rusé.
I. Un duel verbal
Il y a plusieurs étapes, dans la scène, marquées par des apartés. En gros, il y a 3 grandes étapes. Les apartés permettent aux 2 personnages de reprendre leur souffle de faire le point sur la situation : ils font le bilan et annoncent la stratégie pour la suite.
1) Les différentes étapes du combat
- 1er étape : jusqu’à la ligne 30
Le Comte annonce qu’il change d’avis sur le voyage à Londres parce que Figaro ne connaît pas l’Anglais. Figaro répond à cela par la célèbre tirade de God-Dam.
Figaro et le Comte font tous les deux le point. Le Comte pense que Figaro ne sait rien car Figaro veut partir en Angleterre (il ne serait pas au courant des intentions du Comte). Figaro comprend qu’il est en position de supériorité. Il sait que le Comte est rassuré (l.31 à 34). Il garde toujours le contact avec le spectateur grâce aux apartés.
- 2ème étape : jusqu’à la ligne 64
On va avoir un échange de répliques assez rapide et de reprise de termes. Le comte fait des reproches violents à Figaro.
l.64-65 : on a un arrêt bref ; le Comte vient de saisir un élément nouveau dans la situation : « voici du neuf »
Figaro, lui, attaque une nouvelle stratégie. Le spectateur se demande ce qu’il va faire. On a une attente, un suspens.
- 3ème étape : jusqu’à la ligne 101
On revient sur le voyage à Londres et là, Figaro fait un morceau de bravoure sur la politique. Cela se termine sur un aparté (l.102-104). Le comte arrive sur une situation opposée à celle du début. Il pense que Suzanne l’a trahi. Cet inversement nous montre à tel point Figaro résiste et le Comte a du mal à s’en sortir avec lui. Figaro, lui, se trompe : il ne se doute pas que le Comte a trouvé la bonne conclusion et est dans le vrai. Figaro est dans le faux et on assiste à un retournement de situation.
2) Les caractéristiques du combat verbal
- Les réponses qui n’en sont pas
Les personnages ne répondent pas à ce qu’il leur est demandé. Du coup, on a l’impression qu’ils parlent pour gagner du temps. Figaro détourne la conversation sur autre chose. Il parle de leur situation personnelle et Figaro détourne cela au général : l’Angleterre et la politique.
- Les répliques symétriques
Elle joue sur les similitudes et les oppositions. Dans la deuxième étape, on a de nombreux exemples. Figaro retourne la réplique en utilisant la même structure mais en changeant certains éléments.
l.39-42 : opposition entre le « vous lui donnez » et « vous êtes infidèle » par le « mais » ; opposition entre « nécessaire » et « superflu ». Il a repris la réplique de l’autre. Figaro passe à la généralité, il passe de « vous » particulier, à « on » général.
l.43-44 : opposition double entre « autrefois » et « maintenant » ainsi que « tu me disais » et « je ne vous cache rien »
l.45-50 : Le comte pose une question à Figaro et ce dernier lui répond par une autre question. Le Comte accuse Figaro de corrompre. Ce dernier répond que si lui a été corrompu, le Comte est le corrupteur.
- Les esquives
Figaro se dérobe quand le Comte le sert de trop prés.
l.55 : Le Comte s’exclame d’une réputation détestable. Figaro ne se situe plus sur un plan interindividuel mais en généralité.
« je » devient « seigneur »
Le Comte insiste sur la malhonnêteté de Figaro. Ce dernier répond en généralisant « comment voulez-vous ? » (l.60)
Les 2 longues tirades
- Première tirade : C’est celle de God-Dam où Figaro veut prouver au Comte qu’il connaît bien les mœurs anglaises. Les didascalies nous indiquent les mimiques. Elles nous apparaissent comme une scène de farce : il critique la nourriture anglaise. On est déçu en Angleterre. Figaro montre son esprit plein de satire, il se moque aussi du Comte.
- La deuxième longue tirade sur la politique a une analogie sur la première. Le comte le souligne lui-même :
l.83 : « comme l’anglais, le fond de la langue ». Figaro dénonce les comportements politiques dont l’hypocrisie souligné par les oppositions :
l.85-86 : « ignore ce qu’on sait » ; « savoir tout ce qu’on ignore »
Les 2 tirades produisent un effet contraire : d’abord, il veut aller en Angleterre puis il ne veut plus y aller. Seulement, le Comte arrive à la bonne conclusion.
C’est donc une scène importante :
- sur le plan de l’évolution de l’intrigue
- sur le plan de la relation personnelle entre les 2 personnages
- sur le plan de la psychologie : Figaro est d’une très grande finesse alors que le Comte fait des maladresses.
II. La satire sociale et politique
1) Le comportement des grands
Figaro attaque à deux niveaux :
- Les seigneurs en général
- Le Comte qui est représentatif de son milieu
- Attaque directe : l.48-50 : « tenez, monseigneur, n’humilions pas l’homme qui nous sert bien, crainte d’en faire un mauvais valet » : c’est une réplique très habile.
- Attaque des grands en général : l.56-57 : « Y’a-t-il beaucoup de seigneurs qui puissent en dire autant ? »
Figaro se situe sur le même plan que ces seigneurs, ce qui est très audacieux de sa part.
2) La critique sociale
- 1er reproche : La non-reconnaissance du mérite. On ne reconnaît as le mérite personnel des individus. On est employé à sa juste valeur. Figaro dit « médiocre et rampant et l’on arrive à tout » (l.78)
- 2ème critique : l’hypocrisie de la vie sociale et politique
l.92-95 : il dresse un portrait très critique
- Figaro dénonce toutes les formes de double-jeu, d’espionnage, d’immoralité. Il s’en prend aussi à la société en disant « la fin justifie tous les moyens ». Dans cette scène, les relations entre Figaro et le Comte sont éclairées (relation maître/valet). C’est un véritable duel verbal qui se joue entre Figaro et le Comte. Figaro se retrouve dans une situation d’égalité avec le Comte. On a un valet qui juge son maître et n’hésite pas à lui faire part de ces jugements.
« Vous êtes infidèle » : ce jugement est dur et franc.
Conclusion
En insistant sur l’idée de rivalité, Beaumarchais a défini une relation nouvelle qui n’est plus une relation de servilité. Nous avons, ici, un roturier qui veut faire reconnaître sa valeur par l’aristocrate, c’est là une nouveauté qui illustre l’esprit de l’époque.