Il s’agit de ce que l’on nomme quelquefois l’incipit, c’est-à-dire le début de la pièce. Le texte n’est donc pas " situable ", mais on observera qu’avant même de prononcer une parole, les personnages prennent place dans un décor minutieusement décrit, et qu’un accessoire comme le " petit bouquet de fleurs d’orange " pose d’emblée la scène dans une histoire antérieure.
I. L’action dans son cadre
Le rideau s’ouvre alors que les personnages sont absorbés dans leurs activités ; ce début in medias res semble d’abord bousculer le spectateur, l’obliger à prendre le train en marche, en quelque sorte. Mais on s’aperçoit très vite que de nombreuses indications nous sont données, qui permettent de comprendre exactement la situation. Le bouquet de mariée, les noms des personnages qui apparaissent dans les cinq premières répliques, la mention du matin des noces, les rapports entre les personnages (l’œil amoureux d’un époux), tous ces renseignements nous sont donnés extrêmement vite, et en même temps fort discrètement. Il n’empêche : nous savons d’emblée qui est qui, où se déroule l’action, et ce qui doit arriver dans la journée. D’emblée, par ailleurs, l’attention est portée sur le décor, sur un lieu dont on découvre vite qu’il n’est pas seulement sensible, mais qu’il constitue un enjeu stratégique : cette chambre, Suzanne n’en veut pas.
II. Le drame se noue
" Dans cette chambre ? " La question de Suzanne lance tout à la fois l’action de la pièce et un petit débat, qui pose d’emblée la scène dans une dynamique : comme Figaro lui-même, nous voulons savoir, c’est-à-dire que nous voulons avancer dans la pièce. Il ne s’agit pas encore de suspense, mais qu’importe : nous voilà pris. Le débat se joue d’abord sous la forme d’un jeu, d’une taquinerie d’amoureux, qui prend l’allure rapide de la stichomythie ; viennent ensuite des arguments, développés dans des répliques plus longues. C’est dans une reprise terme à terme (" zeste ", " crac ") que Suzanne fait entrevoir à son fiancé, sous les apparences de la réalité (celle même qui nous est donnée à voir) une menace. Suzanne distille son aveu, elle ne le livre qu’avec réticence, par allusion, par réponse, entretenant ainsi la curiosité de Figaro et, surtout, suscitant son inquiétude. D’où, d’emblée, un changement de registre : commencée dans la pure gaieté et le tutoiement, la scène bascule dans le voussoiement qui signale une gravité nouvelle : " Qu’entendez-vous par ces paroles ? "
III. Naissance du rythme
D’emblée, l’action s’emballe ; cette bascule, cette première alternance, rejoint le changement de rythme de la stichomythie aux répliques pour installer la pièce dans une allure effrénée. C’est paradoxalement un ralentissement (répliques longues, inquiétude) qui signe l’accélération : commencée dans la pure vitesse, dans le badinage rapide d’un échange anodin, la scène part d’une allure si vive que ce premier ralentissement se transforme inévitablement en suspens : nous ne sommes pas dans la lenteur, en cette fin d’extrait, mais dans l’attente inquiète, ce qui est tout autre chose. En quelques minutes, l’attention discrète du spectateur au début d’un spectacle s’est transformée en curiosité passionnée ; en quelques minutes, une allure s’est imposée, si nette qu’elle permet de percevoir l’effet dramatique de résistance, de ralentissement, qui naît du surgissement du drame.