On estime être entièrement libre lorsque l’on n’est pas soumis à la volonté de quelqu’un et que l’on peut agir à sa guise. L’adolescent qui obéit à ses parents, le citoyen qui obéit aux lois ou encore l’employé qui obéit à ses supérieurs ne se considèrent pas comme étant totalement libres. Pourtant, obéir est-ce vraiment renoncer à sa liberté ?
Renoncer signifie abandonner, se désister. Peut-on donc considérer qu’en obéissant, en se soumettant a une autre autorité que sa propre volonté on abandonne l’idée d’être libre ?
C’est ce que nous tenterons d’analyser en nous intéressant d’abord, au fait qu’obéir supprime toute notion de liberté. Puis, nous verrons qu’il existe des libertés et qu’obéir à l’une d’entre elles ne nous soustrait pas à d’autres libertés. Enfin, nous verrons qu’obéir peut constituer un acte volontaire et donc être une liberté.
I. Obéir semble supprimer la liberté
a) L’homme est contraint par sa nature
Le verbe « Obéir » semble être diamétralement opposé à la liberté. D’ailleurs, Platon, dans Gorgias, confronte Callicles à Socrate. Tandis que Socrate prétend qu’il faut être « sage » et « se dominer », Callicles, lui affirme que pour être heureux on ne peut être esclave de qui que ce soit. Selon lui « pour bien vivre, il faut entretenir avec soi-même les plus fortes passions au lieu de les réprimer (…) et se mettre en état de donner satisfaction en leur prodiguant ce qu’elles désirent ». La liberté serait donc envisagée si l’homme ne réprimait pas ses passions. Or, l’homme est contraint par la nature. Il n’est pas libre. Selon Spinoza dans Ethique, l’homme n’a pas de libre arbitre. Il n’y aurait dans l’âme « aucune volition en dehors de celle qu’enveloppe l’idée en tant qu’elle est idée ». Toute chose est en Dieu et produite par Dieu, seule cause libre : « Il n’y a dans l’Ame aucune faculté absolue de vouloir et de non-vouloir.» L’homme serait donc conditionné par ses propres limites, la loi de la pesanteur, le déterminisme, l’espace temps ou sa condition d’homme mortel. Les lois de la nature sont nécessaires et on ne peut pas y échapper. "Cette liberté humaine que tous se vantent de posséder consiste en cela seul que les hommes ont conscience de leurs appétits et ignorent les causes qui les déterminent."
b) Soumission à la société et à l’Etat
Par ailleurs, l’homme est soumis à la société et à l’Etat. L’Etat exerce pouvoir et violence sur l’homme, qui lui a cédé tous ses droits naturels. La loi, du grec « nomos » est conçue comme étant la règle générale et impérative imposée essentiellement par la coutume et l’usage ; mais aussi en tant que loi écrite établie par un législateur. Selon Jean-Jacques Rousseau "l’esprit universel des lois de tous les pays est de favoriser le fort contre le faible (…) » En obéissant à une loi, l’homme met de côté ses propres passions, ses désirs. Il n’a donc pas la liberté d’agir comme bon lui semble.
c) Soumission à autrui
L’homme est également soumis à autrui. Il doit veiller à ne pas entraver la liberté de ses congénères. La philosophie des lumières par exemple, pose comme contrainte fondamentale que « la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres ». On n’écoutera pas chez soi la musique trop fort et à une heure indue pour ne pas gêner les autres. Autrui limite l’homme et ne permet par de jouir pleinement de sa liberté.
Ainsi, l’homme est donc contraint par sa nature, l’Etat, les autres qui l’entourent. Il se rend alors compte qui ne peut en aucun cas assouvir tous ses désirs, ses passions comme le suggère Callicles. Néanmoins, nous verrons que même si l’homme obéit, s’il se prive de certaines libertés mais il ne se prive pourtant pas de toutes les libertés qui existent.
II. On peut concevoir qu’il existe des libertés et qu’obéir à certaines ne nous prive pas d'autres
a) La loi qui libère
On peut concevoir qu’il existe des libertés et qu’obéir à certaines ne nous prive pas d’autres libertés. L’homme est soumis à des lois qu’il choisit en se rendant dans les urnes. De plus, la connaissance de ces lois permet de les utiliser à ses propres fins. La volonté libre et le déterminisme naturel peuvent donc coexister et collaborer.
b) La liberté de pensée et d’opinion est sans limite dans l’Etat
La liberté de pensée et d’opinion est sans limite dans l’Etat. On parle de sondage d’opinion, de droite et de gauche, autant de voies possibles pour que l’homme se positionne. Il est libre de choisir « sa loi » et c’est en cela qu’il peut user de sa volonté. La loi est en général la raison humaine. Selon Montesquieu dans De l’esprit des lois, les lois politiques et civiles «doivent être relatives au physique du pays ; au climat glacé, brûlant, ou tempéré (…) au genre de vie des peuples (..).» Ainsi, la loi qui émane de la raison s’adapte aux diverses particularités des peuples et leur propose une forme de liberté.
c) La liberté politique distincte de la liberté philosophique
La liberté politique est différente de la liberté philosophique. La liberté ne serait donc pas une notion univoque. Tandis que la liberté philosophique consiste à l’exercice de « sa volonté » selon Montesquieu, la liberté politique consiste dans la « sureté », la protection des biens, des personnes et de leurs droits, en particulier face à la justice publique. On a donc le loisir de s’offrir la liberté que l’on veut, même si on se soustrait à l’une d’entre elles.
On peut donc concevoir qu’il existe des libertés et qu’obéir à certaines ne nous prive pas d’autres libertés. Celles par exemple qui consistent à penser de telle ou telle manière.
III. Obéir, la soumission à la volonté d’une autre instance, peut être un acte volontaire et donc une liberté
a) Le choix d’obéir
Obéir, peut être cet acte volontaire. On se souvient du propos de Louis Scutenaire « L’esclave qui aime sa vie d’esclave, est-il un esclave ? » Il existe une distinction entre respecter une loi et y être soumis. Le respect et le choix d’une loi n'est pas une obéissance passive ou despotisme mais sous-entend la reconnaissance du bien fondé de cette loi. Celui qui respecte la loi l'accepte, il ne s'y soumet pas. Jules Renard dans son Journal publié en 1892 énonce qu’"Il faut que l'homme libre prenne quelquefois la liberté d'être esclave." Il s’agit alors d’un acte délibéré : celui d’obéir qui n’est alors plus une contrainte mais un choix.
b) L’homme libre vit suivant la raison et n’est pas esclave de ses passions
L’homme libre vit suivant la raison et n’est pas esclave de ses passions. Celui qui est sans cesse esclave de ses tentations, de ses désirs peut se priver de liberté tant il peut se rendre esclave de lui-même et de ses dérèglements. Liberté et loi semblent insécables. Selon Rousseau dans ses Lettres écrites de la Montagne, « il n’y a point de liberté sans Lois » car la loi est supérieure au maitre étant neutre. La liberté sociale est compatible avec l'existence de lois. Être libre, c'est jouir de droits garantis par la loi ; l'état de droit.
c) Etre libre c’est accepter l’ordre de la nature et s’y soumettre
Etre libre c’est aussi accepter l’ordre de la nature et s’y soumettre. L’homme suit les lois communes de la Nature, comme toutes les choses. Spinoza dans Ethique, conçoit que tout se fait selon les lois nécessaires de la Nature divine, puisque tout être de la Nature est un élément du tout et résulte de lui. Il y a donc liberté car les affections résultent des lois nécessaires de la nature divine.
Conclusion
En somme, il est vrai qu’obéir s’oppose à la liberté d’agir comme bon semble à l’homme. L’homme est dans l’obligation de prendre en compte les lois et l’avis des autres. Néanmoins, on peut concevoir qu’il existe des libertés et que l’homme est libre de penser, de choisir un parti politique même si dans un même temps il ne peut pas se rendre dans un lieu dont la propriété est privée ou encore qu’il ne peut passer certaines frontières d’un pays sans avoir rempli certaines conditions. Non seulement on peut affirmer à la fois que l'homme est libre et qu'il est soumis à des lois, mais la liberté ne se conçoit que dans le cadre de lois, qu'elles soient naturelles ou sociales. D'une part, sans la conformité d'une nature ordonnée et connaissable, la liberté humaine resterait sans effet ; d'autre part, sans la normativité d'une société réglée et maîtrisable, elle resterait sans garantie. Être libre c'est jouir de droits garantis par une loi que l'on a contribué à instituer. Le respect de la loi peut non seulement être compatible avec la liberté, mais une de ses conditions de possibilité. Choisir d’obéir constitue donc bien une liberté.