I. La croyance est un obstacle au savoir
a) Croire s'oppose au savoir
La croyance est l'adhésion immédiate à une idée, à un être, à ce qu'on entend, voit, sent,… Elle s'opère sans distance critique ou vérification. Savoir au contraire c'est la possession de connaissances solides, c’est-à-dire rationnelle, objectives. Les savoirs sont fondés sur la preuve, c'est-à-dire la démonstration ou l'expérimentation. Croire est donc l'opposé de savoir puisque l'un suppose le recul et la vérification des faits quand l'autre se passe de tout questionnement. Bachelard dans L'Esprit scientifique oppose ainsi l'opinion à la science: "La science, dans son besoin d'achèvement comme dans son principe, s'oppose absolument à l'opinion.", en dénonçant plus loin dans l'opinion "L'opinion pense mal ; elle ne pense pas : elle traduit des besoins en connaissances.". Croire c'est dès lors ne pas penser, alors que la science se fonde sur la réflexion.
b) Croire éloigne du savoir
Par exemple, dans une affaire criminelle, si l'"on croit" qu'un suspect est le coupable, on ne démontre qu'une intime conviction, une impression. Mais cela est source d'erreur évidemment, car on fait alors preuve de passivité, et on accepte tel quel une illusion. Si au contraire "on sait" qu'une personne est le coupable, alors cela veut dire qu'on fonde notre jugement sur des connaissances solides, qu'un tiers en observant les mêmes faits pourra de même le valider. C'est d'ailleurs une autre différence entre croire et savoir: on croit pour soi-même, et l'on ne peut pas partager, sinon que facticement l'intime conviction, alors que le savoir se partage, se discute, s'affronte avec les hypothèses d'autrui. Croire c'est se reposer sur une probabilité. Croire en la culpabilité d'un individu, c'est finalement ne pas savoir s'il est coupable ou pas, et s'arrêter à l'intime conviction qu'on a de sa culpabilité. Croire représente ainsi le danger de prendre son opinion pour une vérité sans chercher à savoir.
II. Le rejet de toute croyance est un obstacle au savoir
a) Le savoir implique un esprit d'examen
On peut reprendre la définition de l'esprit critique par Alain dans Propos sur les pouvoirs: "Penser, c'est dire non.[...] Réfléchir, c'est nier ce que l'on croit. Qui croit ne sait même plus ce qu'il croit. Qui se contente de sa pensée ne pense plus rien". Il faut savoir confronter sa pensée à elle-même, sinon on exerce plus notre capacité à remettre en question, et on finit par oublier comment on est arrivé à nos conclusions. Il faut donc passer par la croyance, comme un carburant pour notre esprit, pour la remettre en cause. La croyance est ainsi la première étape vers le savoir, il ne faut juste pas s'arrêter à celle-ci.
b) Un excès de critique empêche de savoir
La croyance est également nécessaire pour avancer, car sans aucune croyance, l'homme peut difficilement construire des raisonnements. L'homme est en en effet limité dans le temps et dans ses connaissances, et il doit accepter certaines choses, sans pour autant les démontrer par lui-même. Tocqueville, dans De la démocratie en Amérique, dit ainsi "Si l’homme était forcé de se prouver à lui-même toutes les vérités dont il se sert chaque jour, il n’en finirait point". Tocqueville estime ainsi qu'il nécessaire d'accepter un certain nombre de croyances pour se concentrer sur des démonstrations nouvelles, et ainsi éviter de passer son temps à redémontrer ce qui l'a déjà été, ou ce qui serait trivial de démontrer.
De même si l'on refuse toute croyance, on part avec un esprit vide et l'on vite dans le doute constant. On peut se retrouver ainsi coincé dans scepticisme, qui ne considère rien comme vrai ou pouvant l'être. On ne croit plus rien, mais on ne sait rien non plus.
III. Le savoir n’exclut pas toute forme de croyance
a) Croire et savoir sont complémentaires
Croire et savoir ne s'adresse pas forcément aux mêmes champs de connaissance. La religion, les questions mystiques, les mystères non résolus par la science sont autant de domaines qui nécessitent de croire. Croire est ainsi utile lorsqu'on ignore ce qui est, ou bien même ce qui va nous arriver: en situation de danger, l'espérance, ou la croyance en une issue positive nous permet de combler l'absence de connaissance. Le savoir intervient dès lors que l'on comprend les choses, et vient en relais de la croyance, parfois pour valider ou sinon pour infirmer celle-ci, mais sans pour autant remettre en cause l'utilité de la croyance.
b) Il faut distinguer la croyance aveugle et croyance lucide
La croyance aveugle est de croire savoir ce qu'on ne sait pas et ne pas savoir qu'on ne sait pas. Par exemple le croyant qui a la foi et qui ne remet pas en cause les écrits religieux les plus anciens, quand même bien la science les a remis en cause depuis longtemps. La croyance lucide est au contraire le choix de croire et de savoir le fait que l'on ne l'ai pas démontré par soi-même: par exemple les chercheurs qui acceptent des croyances instaurées par ses confrères. Croire n'empêche ainsi pas nécessairement de faire fonctionner son esprit critique, tant que l'on connaît et reconnaît les limites de ses connaissances, et qu'on accepte que celles-ci peuvent être remises en cause à tout moment, par de nouvelles découvertes.