Beaumarchais, Le Mariage de Figaro - Acte V, scène 7

L'explication linéaire du texte, entièrement rédigée.

Dernière mise à jour : 17/03/2024 • Proposé par: ROBIN (élève)

Texte étudié

FIGARO, LE COMTE, LA COMTESSE, SUZANNE.

FIGARO s’approche.
Je vais…

LE COMTE, croyant parler au page.
Puisque vous ne redoublez pas le baiser…
(Il croit lui donner un soufflet.)

FIGARO, qui est à portée, le reçoit.
Ah !

LE COMTE.
… Voilà toujours le premier payé.

FIGARO, à part, s’éloigne en se frottant la joue.
Tout n’est pas gain non plus en écoutant.

SUZANNE, riant tout haut, de l’autre côté.
Ah, ah, ah, ah !

LE COMTE, à la Comtesse, qu’il prend pour Suzanne.
Entend-on quelque chose à ce page ! Il reçoit le plus rude soufflet, et s’enfuit en éclatant de rire.

FIGARO, à part.
S’il s’affligeait de celui-ci !…

LE COMTE.
Comment ! je ne pourrai faire un pas…

(À la Comtesse.)
Mais laissons cette bizarrerie ; elle empoisonnerait le plaisir que j’ai de te trouver dans cette salle.

LA COMTESSE, imitant le parler de Suzanne.
L’espériez-vous ?

LE COMTE.
Après ton ingénieux billet ! (Il lui prend la main.) Tu trembles ?

LA COMTESSE.
J’ai eu peur.

LE COMTE.
Ce n’est pas pour te priver du baiser que je l’ai pris.
(Il la baise au front.)

LA COMTESSE.
Des libertés !

FIGARO, à part.
Coquine !

SUZANNE, à part.
Charmante !

LE COMTE prend la main de sa femme.
Mais quelle peau fine et douce, et qu’il s’en faut que la comtesse ait la main aussi belle !

LA COMTESSE, à part.
Oh ! la prévention !

LE COMTE.
A-t-elle ce bras ferme et rondelet ? ces jolis doigts pleins de grâce et d’espièglerie ?

LA COMTESSE, de la voix de Suzanne.
Ainsi l’amour…

LE COMTE.
L’amour… n’est que le roman du cœur ; c’est le plaisir qui en est l’histoire : il m’amène à tes genoux.

LA COMTESSE.
Vous ne l’aimez plus ?

LE COMTE.
Je l’aime beaucoup ; mais trois ans d’union rendent l’hymen si respectable !

LA COMTESSE.
Que vouliez-vous en elle ?

LE COMTE, la caressant.
Ce que je trouve en toi, ma beauté…

LA COMTESSE.
Mais dites donc.

LE COMTE.
Je ne sais : moins d’uniformité peut-être, plus de piquant dans les manières, un je ne sais quoi qui fait le charme ; quelquefois un refus, que sais-je ? Nos femmes croient tout accomplir en nous aimant : cela dit une fois, elles nous aiment, nous aiment (quand elles nous aiment !), et sont si complaisantes, et si constamment obligeantes, et toujours, et sans relâche, qu’on est tout surpris un beau soir de trouver la satiété où l’on recherchait le bonheur.

LA COMTESSE, à part.
Ah ! quelle leçon !

LE COMTE.
En vérité, Suzon, j’ai pensé mille fois que si nous poursuivons ailleurs ce plaisir qui nous fuit chez elles, c’est qu’elles n’étudient pas assez l’art de soutenir notre goût, de se renouveler à l’amour, de ranimer, pour ainsi dire, le charme de leur possession par celui de la variété.

LA COMTESSE, piquée.
Donc elles doivent tout ?…

LE COMTE, riant.
Et l’homme rien. Changerons-nous la marche de la nature ? Notre tâche, à nous, fut de les obtenir, la leur…

LA COMTESSE.
La leur ?…

LE COMTE.
Est de nous retenir : on l’oublie trop.

LA COMTESSE.
Ce ne sera pas moi.

LE COMTE.
Ni moi.

FIGARO, à part.
Ni moi.

SUZANNE, à part.
Ni moi.

LE COMTE prend la main de sa femme.
Il y a de l’écho ici, parlons plus bas. Tu n’as nul besoin d’y songer, toi que l’amour a faite et si vive et si jolie ! Avec un grain de caprice, tu seras la plus agaçante maîtresse ! (Il la baise au front.) Ma Suzanne, un Castillan n’a que sa parole. Voici tout l’or promis pour le rachat du droit que je n’ai plus sur le délicieux moment que tu m’accordes. Mais comme la grâce que tu daignes y mettre est sans prix, j’y joindrai ce brillant, que tu porteras pour l’amour de moi.

LA COMTESSE fait une révérence.
Suzanne accepte tout.

FIGARO, à part.
On n’est pas plus coquine que cela.

SUZANNE, à part.
Voilà du bon bien qui nous arrive.

LE COMTE, à part.
Elle est intéressée ; tant mieux !

LA COMTESSE regarde au fond.
Je vois des flambeaux.

LE COMTE.
Ce sont les apprêts de ta noce. Entrons-nous un moment dans l’un de ces pavillons, pour les laisser passer ?

LA COMTESSE.
Sans lumière ?

LE COMTE l’entraîne doucement.
À quoi bon ? Nous n’avons rien à lire.

FIGARO, à part.
Elle y va, ma foi ! Je m’en doutais.
(Il s’avance.)

LE COMTE grossit sa voix en se retournant.
Qui passe ici ?

FIGARO, en colère.
Passer ! on vient exprès.

LE COMTE, bas à la Comtesse.
C’est Figaro !…
(Il s’enfuit.)

LA COMTESSE.
Je vous suis.
(Elle entre dans le pavillon à sa droite, pendant que le Comte se perd dans le bois au fond.)

Beaumarchais, Le Mariage de Figaro - Acte V, scène 7

Cette scène correspond à une précipitation de l’action à la fin de la pièce. C’est une scène comique dont le ressort dramatique repose essentiellement sur le jeu sur scène. L’action repose sur l’intrigue sentimentale qui met en jeu les deux couples (Figaro-Suzanne et Le Comte-La Comtesse) auxquels il faut ajouter Chérubin qui est attiré à la fois par Suzanne et la Comtesse. L’intrication de ces couples crée une scène avec quiproquos, rebondissements et supposées trahisons.

Cet extrait appartient donc au chaos final de la pièce qui réunit la plupart des personnages et correspond à un temps de crise sentimentale. Il prépare le dénouement et la situation finale à nouveau stable. Cependant, on voit ici un usage original de la situation du trio amoureux. Car au lieu de se livrer à l’adultère, les couples se séduisent eux-mêmes et restent à l’intérieur du mariage. Suzanne a fait semblant d’accepter le rendez-vous du Comte le soir dans le jardin, mais c’est finalement la Comtesse qui s’y rend déguisée en Suzanne pour prendre son mari sur le fait. Il fait sombre, les personnages ne se voient pas et le Comte essaie de séduire celle qu’il croit être Suzanne. Les deux femmes ont décidé ensemble de leur plan et aucun autre personnage n’est au courant, même Figaro qui croit sa future épouse déjà infidèle.

Le premier temps de la scène, de la ligne 1 à la ligne 20 (jusqu’à « je ne pourrai faire un pas ») est constitué par une série de quiproquos, les personnages se trompant sur l’identité des uns et des autres. Dans le deuxième temps, de la ligne 20 à la ligne 42 (de « Mais laissons cette bizarrerie » à « pleins de grâce et d’espièglerie ? »), le Comte tente de séduire celle qu’il croit être Suzanne et qui est en fait la Comtesse elle-même. Dans le troisième temps, de la ligne 43 à la ligne 65 (de « Ainsi l’amour… » à la fin), le Comte explique pourquoi il s’est détourné de son épouse pour aller voir ailleurs. Nous verrons donc en quoi cette scène comique délivre en même temps une leçon sur l’amour et la fidélité dans le couple.

I. Une série de quiproquos (l. 1 à 19)

La réussite du premier temps de la scène, jusqu’à la ligne 20, tient aux mouvements et aux gestes sur scène de personnages qui deviennent interchangeables. C’est un moment de théâtre dans le théâtre, ou de mise en abyme, où des personnages jouent un autre rôle que le leur, volontairement dans le cas des femmes, ou involontairement pour les autres personnages. C

Accédez à la suite de ce contenu
Obtenez un accès immédiat à tous nos contenus premium.