Le Mariage de Figaro est une comédie écrite durant le siècle des Lumières, soit le XVIIIe siècle par Beaumarchais. Cependant, Louis XVI, sensible à la critique de la noblesse et des privilèges qu’elle met en lumière, manifeste une opposition farouche à sa représentation. Effectivement, achevée en 1778, refusée par la censure, elle ne pourra être jouée qu’en 1784.
L'oeuvre se situe dans une trilogie théâtrale dont il constitue le deuxième volet entre le Barbier de Séville et la Mère Coupable. Il s’est écoulé trois ans depuis que le comte est parvenu, avec l’aide de son valet Figaro à conquérir Rosine, devenue, depuis, comtesse. Le spectateur suit, dans Le Mariage de Figaro, ses efforts afin de séduire Suzanne, la future épouse de Figaro et sa servante.
Le texte étudié est un extrait de la scène 7 de l’acte V. Ici, le comte est tombé dans le piège tendu par la comtesse et Suzanne. Il pense retrouver la servante à laquelle il a donné rendez-vous alors que c’est la comtesse, déguisée en Suzanne, qui le rejoint. Il fait nuit et il ne reconnaît pas son épouse. Figaro et Suzanne assistent, cachés, à la scène. La comédie de la fausse servante va, ainsi, pouvoir commencer.
Problématique
En quoi la comédie du valet laisse-t-elle place à la comédie des maîtres ?
I. Un comte séducteur et ridicule au cœur d’un quiproquo (l. 1 à 12)
a) La comparaison entre la comtesse et Suzanne (l. 1 à 4)
C’est sur une exclamation extrêmement drôle du comte que s’ouvre notre extrait: « Mais quelle peau fine et douce, et qu’il s’en faut que la comtesse ait la main aussi belle ! » (l. 1-2). Le comique de situation se trouve au cœur de la scène puisqu’Almaviva, au cœur d’un quiproquo, va adresser une série de compliments à celle qu’il pense être Suzanne alors qu’il s’agit de sa propre femme. Pour la séduire, il ambitionne de la flatter comme le mettent en évidence les deux adjectifs mélioratifs de la ligne 1 : « peau fine et douce ».
Il ne peut s’empêcher de comparer cette main à celle de la comtesse, ce qui amuse le spectateur qui sait qui se cache derrière le déguisement. Le comte apparaît comme un personnage avide de conquêtes, mené par un tel désir de séduction qu’il serait prêt à faire n’importe quel compliment pour obtenir les faveurs d’une femme, incapable de reconnaître la main de son épouse. Il est si sûr de lui qu’il ne saisit pas la comédie dont il est la victime.
L’aparté de la comtesse, introduit par l’interjection : « oh ! »,accentue la dimension comique de la scène : « Oh ! la prévention ! ». Effectivement, elle ne peut cacher son exaspération face au culot de son mari. Ce dernier poursuit sa flatterie grâce à un rythme binaire : « ce bras ferme et rondelet ! » et une hyperbole : « ces jolis doigts pleins de grâce et d’espièglerie ? » Sa séduction est risible, ridicule et le spectateur se rit de ce personnage trompeur qui est, en définitive, trompé.
b) La comtesse cherchant les confidences du comte (l. 5 à 12)
Le comte pense maîtriser la situation mais c’est la comtesse qui mène, véritablement, l’échange en cherchant à obtenir les confidences de son mari. Effectivement, son déguisement encourage Almaviva à ne rien dissimuler de ses pensées. C’est en imitant sa servante, comme l’indique la didascalie : « de la voix de Suzanne » (l. 5) qu’elle va précipiter les confessions du comte au sujet de l’amour. Elle laisse sa phrase en suspens, en témoignent les aposiopèses, afin de permettre à son mari de livrer sa définition de l’amour : « Ainsi l’amour … ».
Celui-ci s’affirme, tel le Dom Juan de Molière, comme un amoureux de la conquête, du plaisir. Il dénigre le sentiment amoureux via la métaphore : « L’amour … n’est que le roman du cœur » (l. 6). Il le place du côté de la fiction, de l’illusion alors que le plaisir est, pour lui, la réalité, la vérité, ce qui doit mener l’être humain : « c’est le plaisir qui en est l’histoire » Il est plutôt sincère, à cet instant, puisqu’il déclare que c’est le plaisir de la chair qui motive sa séduction : « il m’amène à tes genoux » (l. 6-7). La comtesse, pourtant, insiste afin de connaître les sentiments de son mari à son égard et, cette fois-ci, est plus explicite comme le montre la modalité interrogative : « Vous ne l’aimez plus ? » (l. 8).
La réponse du comte trahit un attachement profond pour sa femme dans la mesure où il emploie l’adverbe d’intensité « beaucoup » : « Je l’aime beaucoup ». Cependant, la conjonction de coordination « mais » entraîne un basculement dans la réplique qui est l’occasion de révéler que le mariage l’ennuie : « mais trois ans d’union rendent l’hymen si respectable ! » (l. 9). Les deux interventions de la comtesse, qui suivent, ont pour dessein de pousser son mari à la confidence. Sa deuxième interrogation : « Que vouliez-vous en elle ? » se solde par une nouvelle tentative de séduction d’Almaviva comme l’indique le participe présent : « la caressant » (l. 11), rendant visible un comique de geste, et va laisser place à un impératif plus autoritaire : « Mais dites donc. » (l. 12)
II. Les raisons de l’infidélité selon le comte (l. 13 à 31)
a) La lassitude vis-à-vis de l’amour féminin (l. 13 à 18)
Nous pouvons remarquer que le comte hésite, au début de sa réplique, quant aux reproches adressés à son épouse et aux femmes en général. En effet, il commence par une négation : « Je ne sais » (l. 13) qui fait écho à une interrogation : « que sais-je ? » visible à la ligne 14. Puis, grâce à une énumération, il fait la liste de ses attentes : « moins d’uniformité peut-être, plus de piquant dans les manières, un je ne sais quoi qui fait le charme ; quelquefois un refus ».
Le mariage conventionnel, ainsi, ne le satisfait pas. Il cherche à exciter son désir, comme le montrent les deux substantifs : « moins d’uniformité », (l. 13) « un refus » (l. 14). Afin de justifier son comportement, il décide de généraliser son propos, de le rendre universel, presque philosophique. Nous le percevons via le pronom possessif « nos » : « Nos femmes » (l. 13) et le pronom personnel : « nous » : « nous aimant » (l. 14).
Il manifeste sa lassitude face à l’amour féminin à l’aide de la répétition du verbe de sentiment « aimer » : « elles nous aiment, nous aiment » (l. 15) et de l’adverbe d’intensité « si » : « si complaisantes et si constamment obligeantes » (l. 16). Les sentiments vrais et intenses des femmes l’épuisent. Ils sont sincères et constants : « toujours, et sans relâche » ce qui exacerbe son mécontentement et fait naître son ennui, comme le montre le terme péjoratif« satiété » : « on est tout surpris, un beau soir, de trouver la satiété où l’on recherchait le bonheur. » (l. 15-16). Une fois de plus, l’aparté de la comtesse est comique. Elle ne peut dissimuler sa vive réaction suite à ce discours, en témoigne l’interjection : « Ah » et les deux points d’exclamation : « Ah ! quelle leçon ! »
b) Le manque de séduction chez la femme mariée (l. 19 à 21)
Le comte, qui hésitait tant à livrer ses pensées, continue ses confidences. Selon lui, l’infidélité s’explique par un manque de séduction chez la femme mariée. Le besoin d’érotisme ne peut trouver satisfaction à l’intérieur du mariage. Il use de plusieurs verbes au présent de vérité générale afin s’asseoir son propos : « poursuivons », « fuit », « n’étudient pas » (l. 19-20) et montrer que son comportement est parfaitement justifié. Il commence sa phrase par une proposition hypothétique : « si nous poursuivons ailleurs ce plaisir » et propose une proposition subordonnée de cause : « c’est parce qu’elles n’étudient pas assez » afin de révéler que les femmes sont à l’origine de l’insatisfaction masculine. Il utilise le substantif « art » (l. 20) suivi d’un rythme ternaire: « l’art de soutenir notre goût, de se renouveler à l’amour, de ranimer, pour ainsi dire, le charme de leur possession par celui de la variété. » ce qui s’inscrit dans la tradition galante et libertine du XVIIIe siècle.
Effectivement, Beaumarchais critique une aristocratie à la recherche continuelle du plaisir, redoutant la lassitude. Ainsi, comme la femme mariée ne maîtrise pas cet art érotique, Almaviva est contraint d’aller le chercher dans d’autres bras. L’adjectif « piquée », présent dans la didascalie de la ligne 22, rend visible l’irritation de la comtesse qui n’a eu de cesse de grandir au cours de la scène. Elle réagit, en effet, au discours de son mari vantant la suprématie masculine par le biais d’une modalité interrogative : « Donc elles doivent tout ? » ce qui amuse le comte en témoigne le participe présent : « riant » (l. 23). Il est vrai que ce dernier fait référence à la loi du plus fort, à la loi de la nature, aux privilèges finalement, et sous-entend qu’un changement est peu probable.
Cette question : « Changerons-nous la marche de la nature ? » (l. 23) est, d’ailleurs, intéressante et fait écho, d’une certaine manière, à la tirade de Figaro qui reprochait au comte : « Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus ». À travers le personnage d’Almaviva, c’est Beaumarchais qui semble prendre la parole et s’interroger sur une évolution possible de la société. Le comte termine en présentant la femme comme une proie : « Notre tâche, à nous, fut de les obtenir » (l. 23-24) dont la principale mission est de séduire continuellement leurs maris : « Est de nous retenir » (l. 26).
c) Le phénomène d’écho (l. 27 à 31)
Notre extrait se clôt sur un phénomène d’écho plutôt amusant. Il faut rappeler que quatre personnages assistent à la scène : le comte, la comtesse mais également Figaro et Suzanne qui sont cachés.
Ainsi, la dernière réplique du comte quant au rôle de la femme qui est de retenir les hommes fait réagir tous les protagonistes. La comtesse affirme : « Ce ne sera pas moi » en réaction au comportement de son mari, elle refuse de se soumettre à ses attentes via une négation. Figaro réplique : « Ni moi ». Il pense que la comtesse est Suzanne et le chagrin s’empare de lui. Il croit avoir été trompé par sa future épouse et ne souhaite donc plus la retenir. Suzanne, quant à elle, partage l’opinion de la comtesse et ne désire pas jouer le rôle de la femme dévouée, à n’importe quel prix, à son mari.
L’extrait se termine sur une remarque du comte qui finit de le ridiculiser. Obnubilé par son envie de séduire Suzanne et, surtout, de passer une nuit avec elle, il ne saisit pas la comédie qui vient de lui être jouée. Il entend les interventions de Figaro et Suzanne comme le montre sa constatation et l’utilisation du substantif « écho » : « Il y a de l’écho ici » (l. 31) mais, mené par son désir, il ne comprend pas qu’il vient d’être l’objet de la moquerie de sa femme et de sa servante.
Conclusion
Cette scène repose sur une palette de comiques : comique de situation, de mots, de caractère et de gestes. Le comte est drôle malgré lui parce qu’il pense maîtriser ce rendez-vous alors qu’il ne s’illustre que par son attitude ridicule.
La moquerie du maître est un motif récurrent au théâtre que nous retrouvons un siècle plus tôt chez Molière et plus particulièrement dans Les Fourberies de Scapin où le valet ridiculise le maître en le rouant de coups de bâton.