Ronsard, Sonnets pour Hélène: « Quand vous serez bien vieille »

Corrigé du commentaire de texte, par le professeur.

Dernière mise à jour : 14/04/2024 • Proposé par: lili1234 (élève)

Texte étudié

Quand vous serez bien vieille, au soir à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz chantant mes vers, en vous émerveillant :
"Ronsard me célébrait du temps que j'étais belle."

Lors vous n'aurez servante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de Ronsard ne s'aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle.

Je serai sous la terre, et fantôme sans os
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos ;
Vous serez au foyer une vieille accroupie,

Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain :
Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie.

Ronsard, Sonnets pour Hélène

Le XVIème siècle est surtout le siècle de l’Humanisme dont le but est de replacer l’Homme au centre des réflexions. Mais c’est aussi le siècle de la poésie lyrique, marquée par la création de la Pléiade, groupe de sept poètes réunis autour de Ronsard, surnommé « Le Prince des poètes ». Sa poésie, utilisant souvent l’ode ou le sonnet, est surtout marquée par les thèmes du lyrisme amoureux mais aussi par la fuite du temps, le vieillissement qui touche aussi les êtres chers.

Présentation du texte

En effet, dans un sonnet isométrique rédigé en alexandrins, et extrait de ses Sonnets pour Hélène, publiés en 1578, Ronsard réutilise avec habileté le thème du carpe diem. Il veut tenter de séduire Hélène, la femme aimée, en lui offrant à la fois une leçon de vie épicurienne et la promesse de l’éternité poétique.

Problématique

Ainsi, nous dirons en quoi le thème du carpe diem est mis au service d’une leçon de sagesse épicurienne et d’une entreprise de séduction.

Annonce du plan

Nous montrerons que ce sonnet est avant tout une leçon de vie épicurienne à destination d’Hélène. Mais ce poème est également une entreprise de séduction de la femme aimée grâce au chant poétique.

I. Une leçon de vie épicurienne

Dans ce sonnet, Ronsard réutilise avec habileté le thème du carpe diem pour tenter de séduire la femme aimée en lui offrant à la fois une leçon de vie épicurienne et la promesse de l’éternité poétique.

a) Une anticipation de l’avenir de la destinataire

Le sonnet constitue dans les douze premiers vers une anticipation de l’avenir de la destinataire. Les verbes au futur (« Quand vous serez », v. 1, « Direz », v. 3) présentent à la jeune femme une vision pessimiste de sa vieillesse. Pour cela, Ronsard dresse le tableau intime, familier, d’une scène quotidienne qui frappe par son réalisme. Le poème s’ouvre en effet sur une scène d’intérieur : une femme, le soir, assise près du feu et s’éclairant à la chandelle, « dévidant et filant » (v. 2), c’est-à-dire déroulant la laine pour la tordre en fils, occupation féminine traditionnelle. Le participe présent indique une action en train de se faire : la longueur et la langueur du temps passé à filer sont liées aussi à la langueur du temps monotone de la vieillesse. Les servantes, quant à elles, sont « sous le labeur à demi sommeillant » (v. 5-6) : on retrouve la même image de la vie quotidienne d’une maisonnée, une scène comme figée dans le sommeil et l’engourdissement de la vieillesse dont toute la maison semble atteinte, figée dans l’attente de la mort.

Cette scène a une dimension très réaliste, comme une « chose vue », grâce à la peinture de la servante assoupie puis brusquement réveillée. Ronsard poursuit le tableau dans le premier tercet, suivant une sorte de progression chronologique. Le portrait de la femme est cruel : « une vieille femme accroupie » (v. 11). Elle est dépeinte dans une occupation et une posture qui ne la rendent pas très différente de la servante : elle a perdu de sa noblesse. C’est une sorte de contre-éloge qui a pour but de la mettre en face de la réalité future, de lui faire prendre conscience du memento mori et par là de donner de l’efficacité au chantage amoureux.

b) Un message pour convaincre de profiter de la vie

Cependant la composition du sonnet permet de ramener la destinataire dans la réalité présente, celle de sa jeunesse, afin de mieux la convaincre, après ce tableau saisissant, de profiter de la vie. En effet, les deux derniers vers créent un contraste saisissant, ramenant Hélène au présent et donc à la vie. L’impératif « Vivez » (v. 13) qui ouvre l’avant-dernier vers, est repris par le dernier mot du poème : « la vie ». Le terme s’oppose au champ lexical de la mort qui avait envahi le premier tercet : « sous la terre », « fantôme sans os » (v. 9) ; « Par les ombres myrteux » (v. 10). Le poème s’achève donc sur un message d’espoir, de soulagement après la tristesse de l’évocation. Ronsard conclut ainsi son poème (sa démonstration) par un appel au carpe diem.

Les impératifs sont une invitation à profiter des plaisirs du temps présent : « n’attendez à demain » (v. 13) et le sonnet se clôt sur la métaphore de la rose, évoquant la célèbre formule d’Horace : « Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie. » Le pluriel du mot « roses » renforce la métaphore et traduit avec force la leçon de vie épicurienne. Le bonheur est ici et maintenant, puisque seul le présent existe. La vie, éphémère, nous privera bientôt de ses plaisirs. Il faut savoir saisir l’instant. Ainsi, dans un mouvement chronologique habile, Ronsard offre une leçon de vie épicurienne à la femme aimée : il dresse le portrait désespéré d’une vieillesse triste et mélancolique avant de proposer au contraire un appel à la vie plein d’espoir.

Transition: Cependant, cette leçon épicurienne vise un autre but : séduire la femme aimée.

II. Une entreprise de séduction de la femme aimée

a) Une sorte de chantage

Tout d’abord, par une sorte de chantage, le poète offre à la femme aimée de combattre le temps qui passe par le pouvoir de sa parole poétique. Le second quatrain joue sur l’opposition entre la maison endormie, silencieuse, et le remous, le « bruit » que provoque l’évocation de Ronsard, dont le nom réveille les servantes comme par magie. L’adverbe « Lors » au début du vers 5 constitue une sorte de « rebondissement ». Le champ lexical du bruit envahit la strophe, comme la maisonnée : « oyant telle nouvelle » (v. 5), « au bruit de Ronsard » (v. 7). Les termes antithétiques, mis en valeur à la rime, confèrent (donnent) une puissance incantatoire au poète : « à demi sommeillant » (v. 6), « ne s’aille réveillant » (v. 7).

La puissance du poète est également mentionnée dans les activités d’Hélène : la monotonie suggérée par les verbes « dévidant et filant » (v. 2) s’oppose à la magie de l’expression « en vous émerveillant ». Les adjectifs à la rime dans les deux quatrains témoignent de ce pouvoir d’immortalité offert par Ronsard en formant comme un parcours vers l’éternité : « chandelle » (v. 1), « belle » (v.3), « nouvelle » (v. 5), « immortelle » (v. 8). L'opposition du futur et du passé, qui respectivement ouvrent et clôturent le premier quatrain, vient confirmer ce retournement magique : « Quand vous serez bien vieille » (v. 1), « me célébrait du temps que j’étais belle » (v. 4). Il n’y aurait donc que regrets de ne pas avoir cédé aux avances du poète. Que restera-t-il de la beauté et de la renommée de cette femme si Ronsard ne la chante et ne la célèbre à travers sa poésie ?

b) Une auto-célébration du poète

Mais l'habileté de Ronsard ne réside pas seulement dans cette promesse (ou menace) faite à Hélène. Elle réside également dans l’exercice d'auto-célébration qu’il exerce dans le poème, propre à convaincre la femme aimée de céder à ses avances. Le poète se donne le pouvoir d’offrir une « louange immortelle » (v. 8), donc d’immortaliser la femme aimée et de vaincre ainsi le temps qui passe, à condition que celle-ci ne « dédaigne » pas son amour.

Au contraire, le fait de refuser les avances du poète amène l’effet inverse : il immortalise l’image d’une Hélène vieille, accroupie, enfermée dans un quotidien banal et ennuyeux. Ce pouvoir d’immortalité s’applique également à lui-même, car sa poésie le rend immortel, ce qu’il met d’ailleurs en scène : il parle de lui à la troisième personne (« Ronsard », v. 4, « au bruit de Ronsard », v. 7) et imagine le futur quand, malgré sa mort, son nom restera célèbre. Et malgré ce qui pouvait être considéré comme de la prétention, il avait néanmoins raison … Ronsard est éternel.

Conclusion

Dans ce sonnet, Ronsard utilise une stratégie de séduction originale, par un portrait peu élogieux d'Hélène, le poète tente de la séduire, et en profite pour faire son propre éloge. Paradoxalement, Ronsard y souligne le caractère éphémère de la beauté de Hélène. Mais dans un même temps, il immortalise Hélène grâce à la poésie.