Introduction
Pierre de Ronsard est un écrivain français de la Renaissance, qui appartient à la Pléïade, soit le nom d'un groupe de sept poètes de la Renaissance qui luttaient pour défendre la langue française contre ses détracteurs, de l'enrichir en vocabulaire et de développer l'art poétique. Poète de cour, il a pratiqué toutes les formes de l'écriture poétique : odes, lymphes, une épopée et des sonnets.
Ce poème est extrait du recueil Sonnets pour Hélène : lors d'un ballet de cour, le poète rencontre Hélène de Surgères dont il tombe amoureux. Ronsard célèbre alors la femme aimée sur un ton lyrique et un rythme imitant celui de la danse.
I. La beauté parfaite et inaccessible : des sources d'inspiration variées
1) L'importance de la danse : la tradition courtoise
La rencontre amoureuse se fait lors d'un ballet de cour, thème de la poésie galante. Les deux premiers vers décrivent le cadre de la rencontre avec un enjambement : "Le soir qu'Amour vous fît en la salle descendre/Pour danser d'artifice un beau ballet d'Amour". On remarque là des allitérations en [s] mettant en valeur les sonorités douces de la danse, le temps est aussi évoqué, il s'agit du soir. Aussi, la danse est désignée par des termes mélioratifs : "beau ballet d'Amour", "danser d'artifice" avec des allitérations en ~b~ et ~d~. Dans le premier tiercet, le poète décrit l'aspect multiformes du ballet sur un rythme vif et harmonieux : "Ores il était rond, ores long, or'estroit", "or'en pointe, en triangle, en la façon qu'on voit." Des verbes de mouvement sont également utilisés comme "dansais" et "voletait".
2) Inspiration de la tradition pétrarquiste
Le sonnet a une forme parfaite et ciselée, inspirée par Pétrarque, poète de la Renaissance italienne (XIVe siècle). Le sonnet est composé de rimes embrassées dans les quatrains ; dans les tiercets, deux vers sont en rimes plates suivis de rimes embrassées ; l'alaexandrin est utilisé, mis à la mode par les poètes de la Pléïade. Dans le premier quatrain on sent l'intensité de la rencontre amoureuse : "tant ils surent d'éclairs par la place s'épandre" est une métaphore des éclairs pour retranscrire l'aspect instantané de l'apparition d'Hélène. Le champ lexical du regard est présent, associé à la lumière : "vos yeux" est en tête de vers, et l'antithèse entre "nuit" et "jour" souligne leur éclat. Le regard d'Hélène est intense : "ramenèrent le jour". Le Dieu-Amour est évoqué plusieurs fois. Ronsard opère une personnification et le met en sujet de l'action : "Amour vous fît en la salle descendre". Aussi, la forme du ballet rappelle la pointe de la flèche d'Amoir (il est le fils de Vénus, c'est un ange avec un arc et des flèches) : "Or'en pointe, en triangle". Chez Pétrarque ce sont les yeux de la femme qui lancent des flèches dangereuses qui atteignent les yeux et le coeur de l'homme.
3) Hélène et les références antiques
Ronsard s'inspire pour ce poème également de la tradition antique. D'ailleurs, le prénom d'Hélène a des connotations mythologiques. Tout d'abord référence à Hélène de Troie "la plus belle des femmes" ; puis présence du champ lexical de la beauté avec "beau ballet" et "divin" ; dans la dernière strophe, la concession "Je faux, tu ne dansais, mais ton pied voletait/Sur le haut de la terre" est une métaphore de la légèreté aérienne. Il y a une référence au fleuve "Méandre".
II. Les thèmes lyriques du poème
1) Le vertige amoureux
Les quatrains évoquent l'apparition de la femme et le vertige amoureux qui s'empare, à ce moment là, du poète. Il utilise les rimes embrassées dans les quatrains pour la description de l'apparition d'Hélène. Le poète est prisonnier de la danse et ensorcelé par le rythme du ballet et par la présence de la jeune femme : "qui se soulait reprendre" : le ballet ne cesse jamais, on est face à un imparfait de durée. Aussi, les antithèses donnent le rythme : "se rompre"/"se refaire", "se mêler"/"s'écarter", le chiasme met un effet de confusion dans ces vers. La forme du ballet, de plus, donne le vertige du fait de sa diversité.
2) La Nature, figure centrale
Nous avons affaire au champ lexical de la Nature : éclairs", "nuit", "jour", "fleuve" ... . Le poète compare le ballet à un fleuve qui ondule et sa description évoque la diversité des formes géométriques qui sont dans la Nature, soulignée par les enjambements à chaque vers : "Ores il était rond..." La métaphore de l'oiseau dans le dernier tercet transforme la femme en oiseau multiforme quittant le sol pour s'élever dans le ciel. Ainsi, la Nature apparaît comme complice de la femme aimée.
3) La fuite du temps et le temps cyclique
La fuite du temps est tout d'abord présentée par différents aspects. L'antithèse entre "jour" et "nuit" ainsi que le verbe "ramenèrent" montre un changement dans le cours du temps, nous avons affaire à une ellypse temporelle. L'eau est un thème lyrique de la fuite du temps avec le "cours du fleuve de Méandre". Aussi, le changement des saisons évoque la fuite du temps également : "évitant la froidure". Le temps parraît cyclique, c'est-à-dire qu'on aperçoit un éternel retour : "qui se soulait de reprendre".
III. La métamorphose poétique
1) Du "vous" au "tu", une prière de la femme devenue déesse
Le poète opère un changement d'énonciation : il parle à la deuxième personne du pluriel ("vous") au début puis utilise la deuxième personne du singulier ("tu") dans le dernier tercet : c'est une prière à la deuxième personne du singulier, conformément à la tradition païenne. Le champ lexical de la divinité est présent avec un hypallage "le ballet fut divin" et une antithèse entre "dansait" et "voletait" qui met en scène l'aspect humain puis l'aspect divin de la femme aimée. Avec le mot "transformé" cela laisse penser à une métamorphose.
2) La célébration de dame et le pouvoir incantatoire de la poésie
Dans le dernier tercet, le poète se met en scène en tain d'écrire : l'énonciation est à la première personne du singulier : "je faux" qui représente le présent de l'écriture. La poésie, elle, recréer la Nature car la dame est transformée en "divine nature" alors qu'elle dansait "avec artifice" dans le premier quatrain : l'art de la poésie recréer donc la Nature. Une musique est évoquée avec une assonance en [an] dans les deux quatrains et cela donne un ton hypnotique à l'évocation de l'amour : "danser", "répandre". Ainsi, le poète fixe dans l'éternité la beauté de cette apparition.
Conclusion
Dans ce poème, l'expression du lyrisme est discrète. Mais les thèmes de l'amour, de la nature et du temps qui passe sont importantes. Par la magie de la parole poétique, le poète élève une statue de la femme aimée, transformée en divinité.
Le serpent qui danse de Baudelaire où le rythme de la danse se fait hypnotique et plonge le poète dans le vertige de l'Amour se rapproche de cet extrait des Sonnets pour Hélène. Mais la représentation de la femme, chez Baudelaire est inversée car elle est animalisée, sensuelle et dangereuse.