Le désir est-il la marque de la misère de l'homme ?

Dissertation entièrement rédigée en trois parties :
I. le désir pourrait rendre l'homme malheureux, presque misérable,
II. Mais la misère provoquée par le désir peut être combattue
III. Par sa capacité de désirer, l'homme accède à une sorte de richesse intérieure
Commentaire du professeur : « Tout y est mais un peu dans le désordre : cela vient du fait que la problématique de départ n'est pas assez "serrée" autrement dit, que les questions qui déterminent ensuite les parties du devoir sont trop éclatées, disséminées... 11/20.»

Dernière mise à jour : 16/03/2021 • Proposé par: yazata (élève)

Le désir a souvent été jugé de manière négative, condamné par la religion qui l'apparente à la tentation du pêché ou qui prône sa totale éviction de l'esprit de l'homme, comme le bouddhisme. Le désir serait donc un obstacle à l'accomplissement spirituel de l'homme, à l'accès de la sérénité de l'être. Dans cette optique, le désir serait alors une faiblesse pour l'homme, un défaut à bannir de sa personnalité. L'homme qui éprouverait du désir serait presque coupable et ne pourrait accéder ni à la piété, ni à la paix intérieure. Mais, comme le porte à croire ce que nous venons de dire, le désir est-il la marque de la misère de l'homme ?

L'homme vivrait donc dans une sorte de misère. Mais en quoi le désir participerait-il à celle–ci ? Autrement dit, en quoi le désir rendrait-il l'homme misérable ? Cela signifierait que le désir contrôlerait l'homme, mais est-ce vraiment le cas ? L'homme n'a-t-il pas les moyens de maîtriser ses désirs ? On arriverait à une sorte d'éducation du désir, de tri entre bons et mauvais désirs qui feraient ressortir les aspects positifs de celui-ci. Finalement, si l'homme sait le contrôler, le désir ne devient-il pas une richesse, une force, un moyen d'expression et d'affirmation ?

I. le désir pourrait rendre l'homme malheureux, presque misérable

Le désir pourrait rendre l'homme misérable dans le sens où il pourrait être envisagé comme l'expression d'un manque, ou comme une passion qui le conduirait vers la démesure, et tout simplement parce qu'il n'est jamais totalement satisfait. On peut envisager le désir comme un manque, mais cela soulèverait plusieurs problèmes : de quoi l'homme manque-t-il ? Lequel est originaire, le désir ou le manque ? Et quelles sont les issues possibles à cette situation de manque ?

Le paradoxe du désir réside dans le fait qu'il est l'expression d'un sentiment de manque, dans le sens où l'on désire ce que l'on ne possède pas, mais que ce manque n'est jamais vraiment comblé. Mais comment combler un manque qui n'est même pas défini ? Si on considère le désir comme un manque, c'est le problème qui se pose : un manque de quoi ? Contrairement au besoin qui peut être assouvi de façon simple, le désir n'a pas d'objet précis qui lui soit assigné. L'homme peut donc désirer tout et n'importe quoi. Le mythe de l'androgyne énoncé par Platon dans le Banquet nous montre le désir comme recherche désespérée de sa moitié, dans le but de combler un manque et définit l'homme comme incomplet et nostalgique de son antique plénitude. L'homme manquerait alors d'une partie même de son être, et serait à la recherche de quelque chose d'indéfini qui pourrait lui faire sentir qu'il est entier. Lorsque l'homme désire, il ressent effectivement le manque de la chose qu'il désire. Mais avant de désirer un objet, on ne ressent aucun manque de cet objet. D'un autre côté, on ne désire pas ce dont on ignore manquer. L'origine du désir est floue, on ne peut pas dire si c'est le désir ou le manque qui apparaît en premier. Par ailleurs, réduire le désir à un simple sentiment de manque serait se restreindre à deux seuls cas de figure : soit le manque est comblé et l'homme éprouverait, à la longue, une sorte de lassitude, soit il ne l'est pas et l'homme serait condamné à une frustration éternelle. Dans les deux cas, l'homme y perd : ainsi, si on n'envisageait le désir uniquement comme un manque, l'homme serait dans une misère perpétuelle que son désir soit satisfait ou non.Ainsi, le désir en tant que manque pourrait être la marque de la misère de l'homme. Mais on doit comprendre que le désir n'est pas seulement l'expression d'un manque mais qu'il est à envisager de manières différentes.

Une autre caractéristique du désir est la passivité, qui lui donnerait la forme d'une passion. L'homme ne serait alors pas maître de ses désirs, il les subirait et leur obéirait presque. C'est lorsque le désir prend la forme d'une passion qu'il asservit presque l'homme. Selon Platon, l'homme esclave de ses désirs n'a ni bonheur, ni liberté. Alors, si le désir s'empare de l'homme dans le sens où ce dernier est aveuglé par lui, le désir rendrait l'homme misérable. Passion peut être également synonyme de démesure : si les désirs n'ont plus de frein, ce sont des désirs du type de ceux qu'Epicure qualifie de non naturels (luxe, gloire, pouvoir). Il ne faut pas bannir ces désirs non naturels parce qu'ils ne font pas partie du strict besoin, mais parce qu'ils sont passionnels et illimités. Selon Erasme, « l'homme est le plus calamiteux des animaux, parce que tous acceptent de vivre dans les limites de leur nature, tandis que lui seul s'efforce de les franchir ». L'homme en veut toujours plus, son désir est illimité, excessif et peut le faire basculer dans l'hubris, la démesure. Envisagé comme démesuré, le désir serait donc néfaste pour l'homme qui ne serait plus un être équilibré et tempérant. Nous avons vu plus haut que le désir pouvait être sujet à l'excès. L'excès provoquerait une sorte d'aliénation du désir, qui entraînerait presque la destruction de l'être. La recherche de la satisfaction du désir prendrait alors une forme perverse. Prenons l'exemple de Don Juan : il désire séduire une femme, puis dès qu'il a atteint son but, cherche à en séduire une autre. Son désir est indéfini : aucune femme n'est véritablement l'objet du désir de Don Juan, qui se contente de séduire « tout ce qui porte jupe ». Son plaisir est dans la conquête, mais une fois l'objectif atteint, son désir s'éteint et il jette son dévolu sur une autre femme. Don Juan est la figure typique du désir aliéné : il refuse de considérer chaque femme comme une altérité véritable et ne parvient jamais à être satisfait. C'est un être démesuré qui est obligé d'opprimer l'autre pour arriver à ses fins : le désir aliéné mènerait donc l'homme à la solitude. Le désir serait donc sujet à la démesure, et éloignerait l'homme de la voie de la tempérance.

Le désir de l'homme, dans certaines situations, peut rendre ce denier malheureux : insatisfait, le désir serait source de douleur. Le désir de l'homme est sans cesse exalté à travers la société de consommation. On lui présente une infinité de possibilités de désir, l'homme est attiré par tout, presque hypnotisé. L'objet du désir était indéfini, la publicité ou l'environnement l'ont défini. Je désire ce que les autres désirent, je suis soumis aux fluctuations des modes et des tendances. Chaque objet de mon désir m'apparaît comme la clef du bonheur, mais ce n'est jamais vraiment le cas. Je désire cet objet, je l'obtiens mais je ne le désire plus, j'en veux un autre. L'homme ne pouvant pas tout avoir, l'exaltation des désirs serait donc un chemin direct vers une frustration sans limite. Le désir passe presque devant le besoin, il se substitue à lui : l'homme souffre plus d'une jalousie haineuse envers autrui, plutôt que d'une faim dévorante. Le désir partout exalté, n'est satisfait que dans peu de cas : je n'ai pas tout ce que je désire. Le désir frustré plonge l'homme dans un état de besoin imaginaire.

Ce désir, comme sentiment de manque, sans cesse exalté, presque maître de l'homme qu'il conduit à la démesure, ce désir s'il est inassouvi, rend l'homme misérable. L'homme ressent la douleur de l'insatisfaction, la convoitise, la jalousie.

II. Mais la misère provoquée par le désir peut être combattue

Ainsi, le désir pourrait rendre l'homme malheureux, presque misérable. Mais l'homme est-il réellement le jouet de ses désirs comme nous l'avons vu plus haut, ou a-t-il les moyens de les maîtriser ? L'homme, en tant qu'homme, est doté de certaines facultés qui lui permettront de départager ses désirs.

Avant d'analyser quelle attitude l'homme peut avoir face au désir, intéressons-nous à son comportement face à ses besoins. A L'homme et l'animal ont chacun des besoins, mais ne réagissent pas de la même manière quand ceux-ci se manifestent. L'animal est en proie à des instincts, lorsque le besoin se fait sentir, il le satisfait. Il répond à une pulsion, à un véritable instinct de survie. C'est presque un réflexe, l'animal ne se pose pas de questions, c'est dans sa nature. Mais l'homme, quant à lui, a le choix : il peut satisfaire son besoin ou le réfréner. L'homme a la capacité de se priver, de jeûner, de s'empêcher de dormir, au moins pendant un certain temps. La satisfaction du besoin peut attendre, elle n'est jamais vraiment immédiate. L'homme peut laisser en attente ses besoins les plus élémentaires. Si l'homme a le pouvoir de réfréner ainsi ses besoins, il doit en être de même pour ses désirs.

Cela est possible car l'homme n'est pas un animal comme les autres : c'est un animal raisonnable. Platon réalise une tripartition de l'âme : la partie désirante, la partie courageuse et la partie rationnelle. C'est à cette dernière qu'incombe la maîtrise des deux autres. Platon utilise la métaphore d'un attelage composé de deux chevaux, représentant pour l'un la partie courageuse, pour l'autre la partie désirante, guidé par un cocher représentant la raison : avec l'aide de la partie courageuse, la raison doit s'imposer contre la partie désirante, si celle-ci formule des désirs démesurés. L'homme, parce qu'il est doté de raison, doit être capable d'éliminer les désirs qui peuvent être néfastes. Mis à part la raison, l'homme a une autre arme pour contrôler ses désirs : la volonté. Lui seul peut décider de ce qu'il veut. Le stoïcisme prône le bon usage de la volonté, de façon à ne vouloir que ce qu'on a et ce qui peut arriver : ne pas désirer ce qui excède son pouvoir. Il faut une grande force de volonté pour ne vouloir que ce qui est en notre pouvoir. La maîtrise de ses désirs passe par une exaltation de sa force morale personnelle. L'homme doté de raison et de volonté, a besoin d'un troisième élément pour maîtriser ses désirs : c'est la connaissance. C'est la connaissance qui délivre l'homme de ses passions. Selon Spinoza, le salut réside dans la connaissance de ses désirs : « un affect qui est une passion cesse d'être une passion sitôt que nous en formons une idée claire et distincte ». La connaissance empêche l'homme de s'investir dans des désirs vides et vains. Par le savoir, l'homme peut plus aisément faire le tri entre ses désirs. La passion n'est possible que dans l'ignorance, l'homme conscient de ce qui l'affecte ne peut être victime de passion.

L'homme ainsi armé de sa raison, de sa volonté et de sa connaissance, doit être capable de trier ses désirs. Selon Epicure, on peut classer les désirs en trois catégories : les désirs naturels et nécessaires, à satisfaire absolument, les désirs naturels mais non nécessaires, c'est-à-dire le superflu auquel il ne faut pas s'habituer, et les désirs ni naturels, ni nécessaires, dont il faut se débarrasser. A l'aide de sa raison et de ses connaissances, l'homme doit pouvoir classer ses désirs dans ces trois catégories et se défaire de ses désirs néfastes, à l'aide de sa volonté. Ainsi, la misère provoquée par le désir dont nous avons parlé en première partie peut être combattue : l'homme, parce qu'il est un homme, a les moyens de prendre le contrôle de ses désirs, de différencier les désirs utiles des désirs vains afin de les utiliser à bon escient. Le désir pourrait être alors envisagé non comme la marque d'un misère mais comme une richesse.

III. Par sa capacité de désirer, l'homme accède à une sorte de richesse intérieure

Dans la première partie, nous avons abordé le mythe de l'androgyne dont parle Platon dans le Banquet. Platon fait également référence à un autre mythe : celui de la naissance d'Eros, le Désir ou l'Amour. Le jour de la naissance d'Aphrodite, Penia, la Pauvreté, profita de l'ivresse de Poros, la Richesse, pour concevoir un enfant avec lui, Eros, le Désir. Ainsi, le désir naquit de la pauvreté et de la richesse. L'homme capable de faire le tri entre ses désirs pourra faire ressortir cette richesse. Le désir, loin d'être un handicap, construit l'histoire humaine, permet à chacun de s'affirmer comme un individu particulier et de nouer des relations avec autrui.

Le désir, au fondement de l'action, permet la marche du progrès et construit l'histoire de l'homme. Le désir est le véritable moteur de chaque action : je ne fais que ce que je désire faire et ceci, même sous la contrainte, car je sais qu'un sacrifice peut m'aider à concrétiser un désir plus important : je n'ai pas envie de faire mes devoirs, mais ma réussite scolaire en dépend ; donc, je désire les faire puisque je désire réussir, alors je les fais. Sans désir, il n'y a pas d'action, pas de changement. L'homme ne fait rien sans l'avoir désiré, et ce sont ses actions qui écrivent l'histoire de l'humanité. On peut alors affirmer que c'est le désir qui fait avancer le monde : l'histoire de l'homme est une histoire de désirs. C'est la curiosité, le désir de découverte, qui fait progresser la science. Sans désirs, l'humanité et l'individu lui-même, resteraient au point de départ. A l'échelle de l'individu, le désir du bonheur entraîne une quête de celui-ci à travers de nombreux autres désirs comme réussir dans la vie, fonder un foyer, etc… La survie de l'humanité toute entière dépend du désir d'avoir des enfants. Le progrès quand à lui, dépend du désir de découverte et de renouveau. Le caractère illimité du désir, s'il peut être néfaste, offre également une infinité de possibilités. L'infini du désir rend possible le fait que l'histoire de l'homme ne cessera jamais de s'écrire, puisque celui-ci ne finira jamais d'exploiter toutes les issues offertes par sa capacité de désirer. Ainsi, le désir est le moteur de l'action qui implique le fait d'être également le moteur de l'évolution, du progrès, de la découverte.

Le désir exprime l'essence profonde de l'homme. C'est par ce qu'il désire qu'un homme se différencie d'un autre. Les désirs d'un homme expriment son aspiration profonde à savoir le bonheur : chaque homme désire le bonheur mais chacun désire des moyens différents pour l'obtenir. L'homme n'est pas toujours conscient de la raison profonde qui le pousse à désirer.
Le désir peut être défini par une anticipation du plaisir et une représentation de l'objet désiré ; dans cette optique, l'imagination prend une part très importante dans la faculté de désirer de l'homme. Par l'imagination qui rend possible le désir, ce dernier devient une véritable puissance de création. Comme nous l'avons vu plus haut, le désir offre à l'homme une infinité de possibilités, ce qui est aussi vrai pour la création. Le désir est une puissance d'affirmation et de création : il permet à l'homme de se faire une place parmi ses semblables, de se différencier d'eux tout en leur montrant qu'il est comme eux, de s'exprimer et d'affirmer ses opinions. L'homme désire être reconnu comme un homme mais aussi comme un individu dans sa particularité. Le désir est à la source des valeurs de l'homme : je crois désirer une chose parce qu'elle est bonne, mais en fait c'est parce que je la désire que je pense qu'elle l'est. Il n'y a pas une objectivité des valeurs. Le désir est alors à l'origine de la valeur que nous apportons aux choses, d'une manière presque analogue aux lois de l'offre et de la demande : un objet désiré par de nombreuses personnes à plus de valeur aux yeux de l'homme que si peu de gens le désirent. Désirer permet donc à l'homme de s'affirmer, de créer ; le désir est une véritable puissance d'exister.

Sans désirs, nous serions tels des animaux, n'ayant que le souci de manger, de satisfaire nos besoins élémentaires, mais il n'y aurait aucune relation entre les individus, puisque celle-ci passe par le désir de désir : je désire être l'objet du désir d'autrui, être reconnu par lui. Pour cela, je désire ce qu'autrui désire pour qu'il me remarque et qu'il m'admire. Ce que l'homme fait, il le fait souvent pour son image et l'opinion que les autres hommes peuvent avoir de lui. Et sans ce désir de reconnaissance, personne ne se soucierait de personne : le désir est donc un moyen d'établir des relations avec autrui et même des relations de jalousie ou de mépris. Le désir est à la base des relations entre les individus. Le désir de l'autre porte le désir sur un plan supérieur : je ne désire pas un objet, je ne désire pas posséder quelque chose ; mais je désire autrui comme un sujet, une altérité propre, un égal avec sa conscience, ses propres désirs et sa propre histoire de désirs à écrire. Le désir possède donc une part importante dans les relations entre les hommes, non plus d'un sujet à un objet mais d'un sujet à un autre sujet.

Ainsi, par sa capacité de désirer, l'homme accède à une sorte de richesse intérieure. C'est le désir qui permet à l'homme d'évoluer, de se différencier des autres hommes tout en créant des relations de désir avec eux. La richesse du désir peut être résumée par ces mots de Rousseau : « Malheur à qui n'a plus rien à désirer ! Il perd pour ainsi dire tout ce qu'il possède ».

Conclusion

Dans un premier temps, nous nous sommes interrogés sur les raisons pour lesquelles ont pourrait parler d'une misère de l'homme induite par le désir : le désir envisagé comme manque puis comme passion nous a permis de dire qu'il serait à la source d'une sorte de douleur pour l'homme, quand ce dernier est esclave de ses passions. Puis, nous avons étudié l'attitude que l'homme pourrait avoir face au désir : l'homme, en tant qu'homme, doté de raison, de volonté et de connaissance n'est pas soumis aux passions. Il peut évaluer son désir et supprimer ses désirs démesurés. L'homme, libéré des désirs malsains, ne conservant que les désirs utiles, trouvera alors la richesse du désir : l'histoire de l'homme est une histoire de désirs, c'est le désir qui est au fondement de l'action. Le désir est également pour l'homme une puissance de création et d'affirmation, le moyen de créer des relations avec ses semblables.

Le Désir, enfant de la pauvreté et de la richesse, n'est pas la marque de la misère de l'homme : l'homme possède les capacités nécessaires pour diriger son désir dans le bon sens et en tirer le meilleur, c'est à lui de donner à son existence la bonne direction à travers ses désirs. Le désir est plutôt l'indice de sa grandeur.