Dans ce poème écrit pendant le second conflit mondial, le poète Robert Desnos invite à la révolte contre l'Allemagne et ceux qui la servent, au nom de la liberté bafouée. La poésie se fait politique, sans renier toutefois sa vocation universelle.
I. La tonalité lyrique
1. L'expression des sentiments personnels
Le "cœur" est symbolique : c'est le siège de la vie et des sentiments, comme le montrent l'amour ("bat pour") et la haine ("haïssez", "mort") qu'il éprouve. Nous n'apprenons qu'au septième vers qu'il s'agit de celui du poète. Auparavant, il est déterminé par le démonstratif "ce", comme s'il était indépendant de sa personne. Cette distinction est destinée à montrer que son cœur inspire au poète sa conduite. Physique et moral sont donc associés. On remarque le chant lexical de la physiologie ("sang", "cervelle", "veines", "oreilles"). Le poète décrit les sensations qui l'animent, avec des jeux de sonorités : par exemple, au vers 3, allitérations en [v] et [s], en [ã] et [E]. Les anaphores initiales suggèrent le battement du cœur.
2. La communion avec l'humanité
Le sentiment du poète est partagé par d'autres hommes : "les échos" (v. 7), "d'autres cœurs battant comme le mien" (v. 8), répétition de l'adjectif "même" (v. 9 deux fois, v. 11). La liberté est la valeur suprême capable de réunir les hommes : "un seul mot", "a suffi". Le mot est cité au vers 14 avec une majuscule, et repris au vers 16.
3. La relation à la nature
La défense de la liberté est liée à un sentiment d'appartenance au monde. Le "cœur" prend une dimension cosmique pour battre à l'unisson du "rythme des marées" (v. 2 et 16), des "saisons" (v. 2, 13 et 16), "du jour et de la nuit" (v. 2 et 16), expressions qui apparentent la structure du poème au cycle de la vie. S'ajoutent au champ lexical de la nature et du rythme : "les échos" (v. 7), "la mer" (v. 10).
II. La tonalité épique
1. Le thème du combat
Il est illustré par un vaste champ lexical. Au premier vers, pas moins de trois noms le désignent, donnant d'emblée au verbe "bat" une connotation guerrière. Un écho sonore en [ba] produit un effet de martèlement. Par la suite, on relève : "salpêtre" (v. 3), "émeute" et "combat" (v. 6), "besogne" (avec une nuance péjorative, v. 9 et 15), "Révolte" (associé à "mort", v. 12).
2. La violence
Elle est d'abord perceptible par l'emballement du coeur : "sang brûlant" (hyperbole du v. 3), "il se gonfle" (v. 4), "il mène un tel bruit" (v. 4) inaugure une gradation ascendante du bruit qui débouche sur l'hyperbole du vers 10. En matière de sentiments, la "haine" (v. 3) et les "vieilles colères" (v. 14) sont mentionnées. L'irrégularité du mètre suggère enfin cette violence.
3. La dimension collective
Le héros n'est pas un individu mais une collectivité nationale. Celle-ci s'agrège autour d'un territoire, dessiné par les termes : "dans la ville et dans la campagne" (v. 5), "cloche" (v. 6), "France" (v. 8), "Français" (v. 15). Au vers 8, on passe du cas singulier du poète à l'ensemble de ses compatriotes, par une gradation. Cette généralisation se confirme ensuite : "Tous ces cœurs" (v. 9), "tout ce sang", "millions de cervelles" (v. 11), "millions de Français" (v. 15).
III. La Stratégie d'argumentation
1. Deux thèses en présence
Le pacifisme est relégué au passé par l'imparfait, tandis que l'engagement dans la guerre s'exprime au présent. L'identité est parfaite, au vers 16, entre "ce cœur" et "ces cœurs", qui ont accompli le même parcours. L'expression "battaient pour la liberté", explique pourquoi il faut surmonter sa haine de la guerre. L'imparfait, essentiel, indique qu'il n'y a pas contradiction entre les deux, ni reniement dans l'évolution.
2. Des termes d'argumentation
La tournure "voilà que" (v. 1 et 3) met en relief, à des fins de démonstration. Au vers 5, la modalisation "Et qu'il n'est pas possible que" exprime l'espoir du poète. On remarque aux vers 13 et 14 une structure de concession ("Pourtant", "Mais"), et au dernier vers un connecteur logique de cause, pour introduire le principal argument.
3. L'espoir incarné par la Résistance
Tel le cœur, le poème clandestin veut inciter ses destinataires à passer à l'action. Le mot d'ordre s'exprime au vers 12, dans la seule phrase nominale du poème. Afin de donner espoir, l'avenir est évoqué au vers 15, par le passage de "l'ombre" à "l'aube proche". La "Liberté" et les "vieilles colères" renvoient à l'héritage révolutionnaire de la République.
Conclusion
Le poète dénonce donc le totalitarisme que représente l'ennemi. Il plaide pour le caractère humaniste et libérateur de la lutte : elle n'implique pas de ne plus haïr la guerre, même s'il est nécessaire d'en passer par ses méthodes. Ce message est d'autant plus émouvant que Robert Desnos est mort en déportation en 1945.