La question "qui suis-je" admet-elle une réponse exacte ?

Analyse complète du sujet suivi d'un plan détaillé en trois parties :
I. L'expérience nous apporte une multitude de réponses à la question « qui suis-je ». peuvent-elles pour autant nous promettre l'exactitude ?,
II. La science est un discours exact. Peut-elle, pour autant, nous permettre de connaitre la richesse concrète de notre identité ?
III. D'une «connaissance» de soi introuvable à une «interprétation» de soi rigoureuse

Dernière mise à jour : 16/03/2021 • Proposé par: florianm (élève)

Analyse du sujet :

a) «La question qui suis-je». : il s'agit d'une question, donc pas d'une affirmation; d'une recherche, et non pas d'une certitude. Cette question implique alors quelque chose comme une quête, un questionnement qui nous anime. Comment celui-ci se manifeste-t-il ?
b) « Qui suis-je » : comment définir ce « qui » ? Qu'est-ce que l'identité ?
c) « une réponse » : on parle d'UNE réponse. Comment penser cette unité ?
d) « exacte » : l'exactitude, qu'est-ce que c'est ? Quel type de discours en est capable ? Comment distinguer exactitude, précision, délimitation, rigueur ?

Problématisation

« Etre soi », ce n'est pas simplement se vivre : il semble en effet qu'il faille se découvrir. La vérité de mon identité ne m'est pas donnée une fois pour toute. Se joue ainsi quelque chose comme une quête de soi, même si celle-ci n'est pas nécessairement toujours consciente, lucide, ou volontaire.

Certaines expérience en témoignent : se confier, écrire un journal, entreprendre et aboutir un effort, voire un exploit.,/Mon identité apparaît ainsi comme l'objet d'une inquiétude (= absence de repos, de point d'arrêt), et c'est là qu'apparaît l'enjeu de l'exactitude : ce qu'il me faut, en effet, c'est une réponse (la limite extatique du « Tu es cela », dit Lacan. ), et non pas un foisonnement de réponses, ce qui serait l'indice inquiétant d'un éclatement de mon identité. Ce qui est recherché, tout autant, c'est que cette réponse unique soit exacte : qu'elle admette une formulation précise, qu'on puisse en produire l'énoncé.

Un problème se pose alors : cette formulation rassurante, qui me dirait « qui » je suis est-elle possible ? Y a-t-il des moments qui marqueraient la fin de cette course à la connaissance de soi, ou, enfin, je pourrais atteindre à la représentation intime, convaincante, que «je suis cela » ? Au risque alors, peut-être, de me confondre avec une chose... Ou bien me faudra-t-il, au contraire, assumer le caractère in(dé)fini d'une telle quête, quitte à ne pouvoir jamais me reposer sur la certitude d'une identité posée une fois pour toute ?
Pour résoudre cette difficulté, etc.

I. L'expérience nous apporte une multitude de réponses à la question « qui suis-je ». peuvent-elles pour autant nous promettre l'exactitude ?

1) Exemple d'expériences : le voyage, l'aventure, les différentes situations qui impliquent un rapport aux autres...

2) Caractérisation du concept d'expérience qui se dégage de l'analyse : distinction de l'expérience l/ comme vécu, et 2/ l'expérimentation.

3) Le conflit unité/multiplicité : ce qu'on cherche, c'est notre identité, cette identité qui serait la nôtre. Or l'expérience comprise comme vécu apporte en quelque sorte une multiplicité d'éléments de réponse, éparses, éclatés. Les expériences impliquent autant de réponse à la question « qui suis-je ».

Transition : L'on recherchait une IDENTITÉ, et par là même UNE identité. Or, les différentes couches de notre vécu ne sont pas unifiables en une unité qui soit susceptible de nous donner une réponse, un énoncé « exact ». Il faut alors relancer l'enquête en direction du type de discours propre à pouvoir nous instruire de l'exactitude d'un phénomène : le discours scientifique, pour chercher à savoir s'il peut nous fournir une réponse enfin exacte à notre identité.

II. La science est un discours exact. Peut-elle, pour autant, nous permettre de connaitre la richesse concrète de notre identité ?

1) L'exactitude scientifique : l’exactitude comme type de rigueur propre à la science.
Objectivation, quantification, mathématisation [cf. cours sur La matière et l'esprit, I, 2].

2) Le travail scientifique comme recherche des causes : l'explication scientifique comme recherche des régimes de légalités pour un secteur objectif donné.

3) Le conflit singularité/généralité : le discours scientifique, en élaborant des lois, est nécessairement général, ce qui fait sa puissance. Mais cette dimension de généralité, qui est au principe même de l'exactitude des sciences, et qui en rend possible les succès impressionnants (la prévision scientifique, la maîtrise de la nature), échoue à pouvoir rendre compte de la singularité de nos existences. Le discours scientifique est un discours abstrait. Par exemple, dans un manuel de psychologie, tel trait de caractère sera défini et construit en général à partir d'une pluralité de cas singuliers. Mais il ne me sera pas dit comment moi je le vis, comment j'incarne en particulier (en tant que je suis cette personne) ce trait de caractère général.

Transition : les sciences me disent « ce que je suis », mais échouent à me dire « qui je suis ». Elles m'envisagent comme un objet, rendent l'existence abstraite en en faisant un secteur objectif. Or, le sujet humain n'est jamais un objet. S'il faut alors abandonner l'espoir de l'exactitude en ce qui concerne notre singularité propre, cela signifie-t-il qu'une réponse au problème de l'identité est définitivement introuvable ?

III. D'une «connaissance» de soi introuvable à une «interprétation» de soi rigoureuse

1) La spécificité de l'existence humaine : la science permet certes la connaissance, mais échoue à pouvoir saisir une réalité comme l'existence humaine, qui la déborde de toute part, qui n'est pas « objectivable ». Il faut donc, sans doute, se résoudre à considérer comme impossible qu'en tant que sujets nous puissions nous connaître comme la science connaît ses
objets (telle loi astronomique, ou tel processus biochimique par exemple). En tant que sujet, je ne suis pas explicable : mon statut d'être « libre » interdit de fait qu'on puisse faire de mon existence un système d'équations, et trouver l'algorithme qui donnerait le «principe de
fonctionnement » de ma vie.

2) De l'explication à la compréhension : enjeu du passage à la compréhension de soi : distinction entre l'action d'expliquer (découverte des causes, des lois pour un phénomène donné), et celle de comprendre (recherche d'un sens, c'est-à-dire possibilité toujours en travail de produire un discours cohérent là où il n'y a que lacunes, lambeaux de sens). Métaphore du
tissage : comprendre, c'est tisser. Deux étoffes peuvent être différentes, mêmes faites de fils qui proviendraient d'une même bobine. Si l'on poursuit la même métaphore, répondre à la question qui suis-je, c'est décrire l'étoffe, c'est-à-dire la singularité de ce tissu-là. Exemple :
l'écriture d'un journal (comme le log-book de Robinson), la confidence, notamment.

3) Renoncer à l'exactitude ne signifie pas abandonner toute rigueur. Il faut renoncer à Vexactitude, c'est-à-dire à faire de l'existence l'objet d'un discours vrai, c'est-à-dire objectif, démonstratif. Mais ce à quoi l'on accède, c'est à une interprétation de soi, une « mise en récit » (le texte d'une parole, d'un discours parlé ou écrit) de sa vie telle qu'on se la ré­ approprie, interprétation qui, pour n'être pas exacte, n'en doit pas moins répondre aux critères de cohérence, de sincérité, ou d'« authenticité ».

Distinctions produites par la dissertation :

1. Deux conceptions de l'expérience :
a/ vécu,
b/ expérimentation. Cf. la différence entre l'empirique et l' expérimental.

2. Deux conceptions de l'identité : identité substantielle, identité dialectique :
a/ unité qui exclut ce qui n'est pas elle. C'est l'identité comme essence, celle que délivre la définition de la chose qu'on identifie : il s'agit ici de l'identité substantielle ;
OU
b/ unité qui intègre en elle ce qui diffère d'elle : processus qui, comme la Vie, ou comme le Sujet conscient, intègre en permanence le changement, les contradictions : identité dialectique, d'un processus.
[b]
3. Deux conceptions du travail de la raison :[/b]
a/ expliquer (connaître, démontrer); .
b/ comprendre (interpréter).

4. Deux conceptions de la rigueur :
a/ exactitude ou
b/ cohérence, « sincérité ».

5. Deux distinctions logiques :
a/ l'un et le multiple ;
b/ le singulier et le général.