Qui suis-je ? Cette interrogation d’ailleurs n’est pas spécifique à la philosophie. Tout être humain s’interroge un moment donné sur la nature de ce qu’il est. Se connaître permet en effet de mieux s’adapter aux situations qui se présentent, voire d’éviter certaines d’entre elles. La connaissance de soi sécurise. Elle délimite nos pas sur un chemin non balisé, fait d’incertitudes. Tout d’abord, la conscience humaine est la connaissance intuitive que l’esprit possède de ses états et de ses opérations. La conscience est le fondement et la condition de toute pensée. La pensée a pour objet soit le monde extérieur, c’est-à-dire la réalité comprenant le monde, autrui, etc. ; soit le sujet lui-même. Ainsi que la conscience de soi désigne ce avec quoi je sais que j’existe, c’est l’existence qui s’apparaît à elle-même. En ce sens, cela présuppose que : je suis ce que j’ai conscience d’être. En effet, l’être désigne l’essence, la continuité, ce que la chose est, on peut donc imaginer que mon être coïncide avec la conscience que j’en ai. Or la conscience peut se caractériser aussi comme une visée qui s’apparaît à soi-même en faisant mouvement vers une chose qu’elle fait apparaître, en effet le « je suis » se rapporte à j’existe dans un ici et maintenant dont je m’échappe par le mouvement même de la conscience qui est toujours un déploiement d’horizon, intentionnalité.
De cette manière un paradoxe semble se poser : si nous sommes « existence » dirigée par une conscience axée vers le devenir d’un autre être, synonyme de discontinuité ; comment peut-on l’accorder avec la connaissance de l’être où le savoir, détermination d’une intuition sensible ? Comment mettre en lien la liberté d’une existence avec la continuité d’une essence ? L’homme ne serait-il pas en train de devenir cet autre ? On serait amené à penser aisément que la conscience est une "science" de soi -même et que ses informations correspondent à ce que je suis réellement, que mon être par conséquent coïncide avec la conscience que j’en ai. Cependant, on ne saurait oublier que parfois nous nous mentons à nous-même ou bien que nous avons du mal à nous connaître, et ce malgré tous nos efforts. Ainsi, notre conscience de soi semble parfois incomplète ou infidèle. Le sujet par conséquent est problématique dans la mesure où : peut-on se fier entièrement à la conscience lorsqu’il concerne la connaissance de soi ou bien cette dernière admet-elle des limites ?
Après avoir étudié les certitudes de la conscience de soi, nous nous axerons sur celles qui viennent réfuter la fiabilité de la conscience et enfin nous dépasserons ces limites.
I. Une première certitude : la conscience de soi
La certitude d’exister m’est donnée par ma conscience. Certes, je peux me tromper dans la connaissance que je crois avoir de moi : celui qui croyait être courageux peut s'avérer n'être qu'un être pusillanime , etc. ; mais la pure conscience d'être, elle, est nécessairement vraie.
Ainsi, Descartes au terme de la démarche du doute méthodique, découvre le caractère absolument certain de l'existence du sujet pensant : « je pense, donc je suis ». Quand bien même tout ce en quoi je crois n'aurait pas plus de vérité que le contenu de mes songes, une certitude demeure, celle que j'existe, et aucun doute, aussi exagéré soit-il, ne peut la remettre en cause. Descartes fait ainsi du phénomène de la conscience de soi le fondement inébranlable de la vérité, sur lequel toute connaissance doit prendre modèle pour s'édifier. La conscience est transparente à elle-même, il n’y a pas de pensées qui échappent à notre conscience, si elles nous échappent c’est qu’elles nous sont étrangères et ne viennent pas de nous. Ainsi, en se considérant comme « substance pensante », je suis ce que j’ai conscience d’être. Je suis un être pensant et j’ai conscience de ma pensée. Si on envisage l’existence d’un cogito qui représente une équation irréversible entre la conscience et l’existence, on peut dire qu’avoir conscience c’est être. En effet le cogito est une vérité et seule certitude se fondant sur elle-même : la conscience énonce la vérité de sa propre existence sans avoir besoin d’aucun intermédiaire extérieur à elle-même. Le sujet se qualifie d’être pensant dans la mesure où il découvre son existence grâce à sa pensée et ce dernier par conséquent est ce qu’il a conscience d’être.
Deuxièmement, je suis tel que ma conscience me construit, elle constitue un fondement, principe justificatif d’un raisonnement. En effet, c’est la progression d’une prise de conscience qui permet le passage d’un individu à un sujet, porteur de liberté et d’identité, qui affirme un « Je ». Ainsi, la conscience est le noyau dur de la certitude de soi et quand on dit « Je » ; on atteste pouvoir être l’auteur d’un récit qui narre notre devenir dans le temps, on se structure. Par exemple, un adolescent qui est un adulte en puissance, par sa conscience, est capable de se projeter et vise une fin par la médiation de moyens. De cette manière, puisque la conscience a le rôle d’architecte, nous sommes à la base rien, qu’un néant d’être et en suivant la théorie de Sartre ; je ne suis que ce que je veux être. Par conséquent, j’ai conscience de qui je suis. Nous sommes libres de ce que nous voulons être, notre être est un projet soumis à notre volonté ; je suis moi et pas un autre, c’est la certitude que me donne ma conscience de soi.
II. Une conscience de soi qui reste néanmoins faillible
En faisant de la conscience une « chose », distincte du corps et repliée sur elle-même, Descartes ne manque-t-il pas la nature même de la conscience, comme ouverture sur le monde et sur soi ?
Premièrement, je ne suis pas exactement tel que je m’apparais à moi-même à travers ma conscience. Nous pouvons être victimes d’illusions qu’on trouve sous deux structures: soit je suis un être déterminé par mes conditions de vie matérielles et la conscience est influencée par l’idéologie d’une classe, qui est reconnue par la théorie marxiste. Mais aussi un être peut être amené à se voiler la réalité de son existence, pour brouiller l’absurdité de cette dernière. L’illusion ici est dans le but de donner de la consistance à son être. Selon Nietzche, l’homme nie la pauvreté de son existence en se créant une personnalité différente de la sienne. Nous pouvons citer, dans cette idée de la production d’illusions par la conscience, Spinoza explique qu'une pierre consciente roulant le long d'une pente pourrait croire que c'est elle qui décide d'avancer alors qu'en réalité elle est soumise aux lois de la pesanteur. L'homme est pareil à cette pierre consciente : « les hommes quand ils disent que telle ou telle action du corps vient de l'âme qui a une emprise sur le corps ne savent pas ce qu'ils disent et ne font rien d'autre qu'avouer leur ignorance de la vraie cause d'une action qui n'excite pas en eux d'étonnement ». De plus, les auteurs autobiographiques font partie de ses êtres en recherche de vérité sur eux-mêmes et de connaissance de soi les autobiographes cherchent une sorte de thérapie en écrivant une introspection sur eux-mêmes. Ce qui veut dire qu’ils ne se connaissent pas bien eux-mêmes et qu'ils cherchent en écrivant leur passé à mieux comprendre leurs vies, leur actes et seraient crédules à l’hypothèse d’un inconscient qui déleste une partie du pouvoir de la conscience. Ainsi, la conscience me délivre des pensées fausses de ce que je suis, mais toutes nos pensées sont-elles conscientes ?
Deuxièmement, tout homme en tant que sujet pensant s’établit à travers sa pensée, selon Descartes toute pensée est consciente, or à la suite de certaines maladies ou même expériences quotidiennes telles que les lapsus, les actes manqués, nous sommes poussés à croire qu’une partie de nos pensées sont inconscientes. Tout comme Leibniz, nous distinguons les petites perceptions si infinitésimales qu’elles sont imperceptibles et dont nous n’en avons pas conscience, mais qui font néanmoins sur nous effet et l’aperception qui est la perception vécue comme telle, elle est la perception dont on a conscience. La perception de la lumière ou de la couleur, par exemple, dont nous nous apercevons, est composée de quantités de petites perceptions, dont nous ne nous apercevons pas.
Finalement, les petites perceptions sont au fondement de nos goûts, de nos actes et de nos pensées, sans qu’on se le sache, ainsi il y a remise en question de l’égalité entre la conscience et la pensée. Elles expliquent le « je ne sais quoi » qui fait que nous aimons quelque chose, mais aussi l'inquiétude qui nous met en mouvement (inquiétude qui n'est pas de la douleur, laquelle est consciente, alors que l'inquiétude est un sentiment vague). Nous sommes toujours traversés par une foule de petites perceptions inaperçues qui déterminent la tonalité de notre état, et nous maintiennent en relation insensible avec la totalité du monde. Encore plus loin, les schizophrènes n’ont pas conscience de leurs actes sur le moment même. D’autres réalisent seulement quelques mois plus tard de leurs crimes, de leurs crises. Ce qui est encore plus grave, car pendant un mois par exemple ils n’ont pas conscience d’être ce qu’ils pensent être. Ici, l’inconscience est envisagée comme une activité psychique distincte de la conscience, l’inconscient que le moi, partie dominante, ignore. Cette partie psychique d’après Freud, est composée : d’un Ça, un Moi et un Surmoi. Le Ça et le Surmoi correspondent à l’inconscient, où l’un se caractérise comme un pôle pulsionnel de désirs infantiles, de plaisir, secteur le plus primitif : ce qui est amoral, et l’autre correspond à l’instance morale constituée par l’intériorisation des exigences morales. Le Moi a finalement le rôle de trouver entre ces deux exigences contradictoires. Je dirais que la schizophrénie rentre plutôt dans le Ça de l’inconscience puisque le schizophrène a des pulsions agressives, ici le pouvoir de censure du Surmoi est endommagé, laissant ressortir l’animalité de l’Homme. Alors que très souvent, nous sommes enfermés dans des règles sociales et morales, qui font que nous nous comportons d’une telle manière que nous sommes tout c’est-à-dire autrui sauf nous-mêmes. Enfin, ces patients attestent d’une partie de nous dont nous n’avons pas conscience, mais qui constituent notre être.
III. Existe t-il dès lors des moyens pour dépasser les incertitudes de la conscience de soi ?
Ainsi la conscience de soi n’est pas toujours en accord avec ce que je suis et certains aspects de moi-même m’échappent. Existeraient-ils des moyens pour dépasser les incertitudes de la conscience de soi ?
Tout d’abord, l’idée, selon laquelle un Être supérieur nous assure l’exactitude des informations fournies par notre conscience, permettrait au sujet de vérifier la vérité de sa conscience de soi. De ce fait, cela implique, comme dans la théorie cartésienne, de croire en Dieu, comme un Être qui nous est transcendantal et si bon qu’il ne peut vouloir nous tromper. Par exemple, de nombreux chrétiens suivent la bonne conduite prêchée par leur Dieu et se laisse dicter les actes moraux ou interdire ceux qui ne le sont pas (les péchés), déterminés par leur transcendant, c’est-à-dire de faire la distinction entre le bien et le mal et de se comporter d’une telle manière à l’égard de ces valeurs. Cela peut s’appréhender comme une « boussole » qui leur permet de savoir ce qu’ils sont. Ainsi, on peut dire qu’ils sont ce qu’ils ont conscience d’être. Néanmoins, un point vient nuancer notre propos, dans la mesure où la croyance forte de la religion se définit comme absence de savoir et de certitude, l’idée ainsi exposée est à envisager suivant l’adhésion ou non à une croyance forte.
Deuxièmement, nous pouvons nous axer sur les échanges avec les autres qui suffisent pour que chacun de nous prenne conscience de ce qu’il est. En effet, cela implique une réelle communication et Sartre nous apprend que la conscience reste seule ; le jugement de l’autre permet seulement d’accélérer la réflexivité sur la conscience de soi. Le regard d’autrui est un complément à la conscience de soi où la rectification est possible. Ainsi selon Kant, la conscience permet de poser un « Je », mais ce « Je » est abstrait, universel, une fonction en nous, une capacité de synthèse de toutes nos représentations, il unifie le réel, c’est un « Je » transcendantal, c’est-à-dire une condition de possibilité de toute expérience, ce n’est pas une réalité qui permet une connaissance, c’est une simple pensée et pas une intuition, dans La critique de la raison pure. Un exemple concret tiré de notre vie quotidienne pourrait venir étayer notre réflexion : une personne qui pense être suffisamment ouvert et sociable avec autrui, et se complet dans la communication avec les autres, va se rendre compte de son comportement introverti soit par une autre personne qui va lui témoignait ce caractère soit par sa propre observation des autres et les relations qu’ils établissent entre eux ; le sujet se compare et de fait cette distinction l’aide à comprendre qui il est. Donc, la conscience de soi de manière totale sera permise par un mouvement vers le monde extérieur.
Enfin, à dessein de pallier les illusions que se fabriquent les hommes pour ne pas reconnaître l’absurdité de l’être et qui leur font bâtir leur existence sur un mensonge, il semble nécessaire, ce qui ne peut pas ne pas être, de l’accepter, l’analyser, la concrétiser dans un premier temps afin de la dépasser et de fonder une existence basée sur la vérité, dont l’individu a conscience. C’est dans cette idée que l’écrivain Albert Camus, qui réfute le marxisme, conçut son roman L’étranger; Meursault est un individu indifférent à tous : à l’amour de Marie comme à la mort de sa mère. Comme Meursault, l’humain se sent étranger à lui-même. Il sombre dans le manque de la passion. A l’absurdité de son être, il oppose un acte absurde ; tuer l’autre. Il tue un autre sans savoir pourquoi, on reconnaît ici l’argument que nous agissons parfois sans avoir conscience de la raison qui nous a poussés à commettre ces actes, ici Meursault n’a pas encore pleinement conscience de qui il est. Coupable sans sentiment de culpabilité, il ne réagit même pas à sa sentence de mort qu’il ne peut éviter de tout de façon : un destin tragique indépassable. C’est en prenant conscience de l’absurdité humaine qu’on se libère de toute illusion. La nuit précédant son exécution, Meursault devenu conscient et donc libre, profite des derniers moments de la vie. Finalement il a vécu la prise de conscience du non-sens de la vie à l’idée que l’homme est libre de vivre « sans appel », doit épuiser la joie de cette terre. En ce sens, par nos actes, nous aidons notre conscience de soi à accéder à la vérité.
Conclusion
En conclusion, nous avons pu constater que l’on est dans une certaine mesure ce que l’on a conscience d’être, au sens où la conscience de soi nous représente à nous- même et nous communique des données fondamentales sur ce que nous sommes. Mais la connaissance ne peut être parfaite, car elle porte non sur un objet, mais un sujet, avec toute l’incertitude qui le caractérise sur le plan sensible, corporel, psychique. Faut-il y voir pour autant une insuffisance affaiblissant l’homme quant à sa propre gouvernance ? Pourtant, les incertitudes ne sont pas à comprendre comme des fatalités dans le sens où la conscience de soi peut se doubler d’une conscience réflexive, de la conscience d’autrui et aussi d’une conscience pratique. Ainsi, sans être toujours ce que l’on a conscience d’être, il est possible d’y remédier et de se connaître peu à peu grâce aux efforts et à un certain travail sur soi. Mais, il va de soi aussi que ces efforts seront toujours à reprendre, sachant que l’on est en perpétuel devenir et que par conséquent la connaissance de soi ne peut être acquise une fois pour toutes.