Le bonheur est une aspiration commune à tous mais il apparaît comme une notion problématique dont les éléments peuvent même sembler contradictoires. Si on s’attache à l’étymologie du mot, on s’aperçoit que celui-ci est lié au hasard car il est dérivé du latin augurium qui signifie augure, chance. Ce qui impliquerait que toute recherche du bonheur serait vain car elle échappe à toute tentative de maîtrise. Or le bonheur est souvent défini comme un état durable de satisfaction. Il y a là une difficulté : Comment s’assurer la maîtrise du bonheur et donc sa recherche s’il ne dépend pas de nous ?
Est-il possible de définir le bonheur et sa recherche d’une part et de l’atteindre d’autre part ?
Comme l’étymologie du mot le suggère- le terme « illusion » vient du latin illudere qui signifie tromper, se jouer de- l’illusion est une tromperie, c'est-à-dire à la fois une erreur et une mystification. L’illusion est une sorte d’épreuve pour la philosophie dans la mesure où celle-ci se définit comme quête et amour de la vérité.
Comment pourrait-on partir à la recherche du bonheur si celui-ci n’était qu’un idéal, un concept non palpable ?
I. La recherche du bonheur est illusoire
1) La recherche du bonheur est vaine car elle échappe à toutes tentatives de maîtrise
- La recherche du bonheur, un idéal de l’imagination.
- N'ayant pas d'image du bonheur nous ne pouvons en avoir un concept: sans intuition sensible, un concept est aveugle ce qui signifie que nous ne pouvons ni le rencontrer, ni le déterminer.
- Pourquoi croyons-nous que le bonheur tombe du ciel comme une gratification ? Parce qu’il peut en réalité jaillir du cœur à tout instant, parce qu’il est en réalité sans cause. Ce qui implique que sa quête est vaine car le bonheur ne résulte pas d’une recherche.
Julien Green le bonheur sans cause
10 mai 1933
Ce qu’on appelle faire l’amour, c’est le plus souvent une caricature du bonheur. Le bonheur est beaucoup plus grand, beaucoup plus profond, et beaucoup plus simple. Et parce qu’il est simple, il ne s’analyse, ni ne se décrit. On ne raconte pas le bonheur, mais il y a des moments où il fond sur nous, sans raison apparente, au plus fort d’une maladie, ou pendant une promenade à travers des prés, ou dans une chambre obscure où l’on s’ennuie; on se sent tout à coup absurdement heureux, heureux à en mourir, c’est-à-dire si heureux qu’on voudrait mourir, afin de prolonger à l’infini cette minute extraordinaire.
2) La recherche du bonheur est factice mais n’en reste pas moins nécessaire
- « Le concept du bonheur est un concept si indéterminé, que, malgré le désir qu’à tout homme d'arriver à être heureux, personne ne peut jamais dire en termes précis et cohérents ce que véritablement il veut et il désire... Le bonheur est un idéal, non de la raison, mais de l'imagination. » Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, deuxième section.
- Le bonheur terrestre ne peut être qu'illusoire, pur divertissement, qui nous détourne de la contemplation de "l'humaine condition" : notre néant, notre mort inéluctable, le caractère aléatoire de notre salut (Pascal)
II. La recherche du bonheur n’est pas illusoire
1) Le bonheur existe par le malheur
- « De là ce fait bien significatif par son étrangeté même: les hommes ayant placé toutes les douleurs, toutes les souffrances dans l'enfer, pour remplir le ciel n'ont plus trouvé que l'ennui. » Schopenhauer, Le Monde comme volonté et comme représentation.
Un monde sans malheur ne pourrait être source de bonheur car ces deux notions ne peuvent exister l’une sans l’autre elles ne vivent que par le contraste de leur contraire. Derrière le malheur, il y a la conscience du malheur, derrière le bonheur réside la conscience du bonheur.
- Le bonheur étant de ce monde sa recherche va de soi.
- Chaque personne recherche le confort, la joie et l’accomplissement de leurs désirs ce qui conduit au bonheur. Mais il faut accepter le malheur pour profiter pleinement du bonheur.
- La lucidité demande de savoir regarder les choses telles qu’elles sont et de cesser de se leurrer, ce qui dans un premier temps n’est pas agréable, parce que l’étendue des illusions est conséquente. Mais le bonheur est tout à fait autre chose, le bonheur est un état d’être. Ce n’est là un exercice de l’intelligence. C’est dans la disponibilité totale qu’il apparaît.
2) Chaque homme est singulier, tant par sa conception du bonheur que par la recherche de celui-ci
- Si l’aspiration au bonheur est légitime, on peut se demander si, dans ses formes exacerbés, comme par exemple à travers ce slogan contemporain : « Vouloir tout, tout de suite », elle ne confond pas le bonheur et la jouissance.
- « Le bonheur? Après tout, qu'est-ce que c'est, le bonheur? Sinon cet effort continu pour créer le bonheur. » A. Maurois, Mémoire
- « Non s'efforcer vers le plaisir mais trouver le plaisir dans l'effort même, c'est le secret du bonheur. » A. Gide, Journal
3) Le bonheur relève autant de la bonne volonté que de la chance
- On remarque aussi qu'il existe deux sortes de bonheur : celui que l'on peut gagner par la foi, la contemplation, la sagesse (félicité, béatitude), et celui qui vous échoit, ou pas, au bon vouloir des dieux et du hasard, et sur lequel on ne peut rien : fortune ou infortune...
- Rechercher le bonheur n’est-ce pas se condamner à ne pas le trouver ?
- La recherche du bonheur relève d’une coïncidence entre le hasard des choses et ce que l’on souhaite.
- « Le bonheur me suivait partout; il n'était dans aucune chose assignable, il était tout en moi même; il ne pouvait me quitter un seul instant. » Rousseau, Confessions.
Pour chercher et, à plus forte raison pour rechercher le bonheur, il faut bien savoir quelque chose de ce que l'on cherche, pour nous orienter, pour dire: ce n'est pas ça; et ce quelque chose peut être une image comme forme sensible d'une idée, un concept comme ce avec quoi le sensible est capturé, défini, une idée ou au moins une certaine expérience.
Sans cela, comment le chercher? Que pouvons-nous poser du bonheur?
Or nous n'avons ni une image du bonheur, ni un concept. Certes, nous croyons rencontrer le bonheur, comme une bonne heure, une chance, lorsque le hasard semble nous favoriser et nous permettre de posséder quelque chose qu'il nous présente. Le bonheur, nous croyons le voir en face de nous, au bout de notre regard, dans l'extériorité comme on voit un objet dont on a une image, alors qu'en réalité nous ne rencontrons que l'objet d'un désir qui nous pousse à croire que les circonstances nous favorisent alors que c'est nous qui valorisons l'objet rencontré, qui le faisons se refléter en nous comme simple image d'un objet susceptible de nous procurer le bonheur: de l’argent, des biens.
Il n’y a pas de recettes du bonheur, le bonheur ne se fabrique pas avec des ingrédients, comme on peut faire un gâteau en cuisine. Il n’y a pas de pilules du bonheur, les pilules ne nous donneront jamais que de la gaieté malsaine. Il y a par contre des conseils qu’il est bon de suivre pour éliminer la douleur et guérir la souffrance. L’art de vivre ménage les conditions les meilleures pour une vie heureuse, mais le bonheur n’appartient à aucun conditionnement d'ordre relatif. Il est plutôt dans la jouissance de soi de l’existence, jouissance paisible, état d’être complet qui n’équivaut pas au plaisir, ni à la joie dans le sens où on la prend d’ordinaire.