Lorsque l’on évoque la conscience, on distingue généralement la conscience première ou spontanée qui se définit par une impression immédiate (plus ou moins lucide) qu’a l’esprit de ses états. D’autre part, on parle de conscience réfléchie en référence à la capacité proprement humaine de se retourner sur cette première impression. La conscience réfléchie permet l’analyse et le jugement. Par elle, l’homme se constitue comme un sujet distinct de ses états psychiques. Par cette possibilité de réfléchir, la conscience est donc toujours conscience de soi en même temps que conscience de quelque chose. Enfin, la conscience morale est la conscience du Bien et du Mal, il s’agit d’une capacité de porter des jugements normatifs de comparer ce qui est et ce qui doit être). Cette conscience morale nous dicte nos devoirs et nous fait éprouver remords ou contentement quant à nos actes antécédents. Elle nous donne notre part d’humanité qui nous distingue du règne animal. Puisque la conscience appartient à un être, on peut se demander ce qu’est un être doué de conscience. Etre doué de conscience, c’est se savoir exister au monde. Etre doué de conscience, c’est être sujet. Plus exactement : l’être qui d’une part se sait exister et qui d’autre part sait qu’il existe autour de lui un monde indépendant de lui, est un sujet. Il est sujet autant par le rapport à lui même que part le rapport au monde. L’être doué de conscience existe doublement : en lui-même comme une chose et pour lui même en cela qui se sait exister. Au lieu d’exister et de l’ignorer, l’être doué de conscience existe et le sait. C’est ce qui le distingue des êtres qui ne sont pas doués de conscience, comme les choses, ainsi que de ceux qui ne sont capables que de se sentir exister, comme les animaux.
Mais dans l’expression prendre conscience, on trouve l’idée d’une conscience qui prend possession du monde. Mais comment ce monde, dont j’ai une conscience partielle et faussée peut-il dans le même temps être parfaitement saisi par ma conscience elle même, comme s’il n’en était qu’une amplification, une extension ? Nous verrons d’abord l’ouverture de l’esprit du sujet par la prise de conscience, puis son inclusion au monde qui en résulte et enfin sa capacité d’interprétation vis à vis de ce monde qui l’entoure.
D’abord, la prise de conscience permet une ouverture généralisée du sujet. Cette prise de conscience concerne le soi et le monde extérieur. La prise de conscience est une analyse des perceptions brutes, spontanées. C’est le résultat d’une action qui sépare, met à distance par exemple un comportement. Ce comportement peut alors nous paraître précipité, ou même ridicule. Dans ces conditions, nous le refusons, ce n’est plus nous, nous ne recommencerons pas. La prise de conscience permet d’affiner une perception antécédente, produite par la conscience spontanée, cela nous permet d’accéder à la pensée : on énonce, on met des mots sur notre conscience première, irréfléchie. La pensée nous offre une porte de sortie par rapport au vécu brut, comme un regard extérieur sur nous même. il s’agit d’une ouverture du pouvoir d’analyse possible par rapport à un acte, une perception ou encore un sentiment. Par la prise de conscience, on sort de l’automatisme qui se déroule en dehors de la pensée. L’agissement automatique est réducteur de nos capacités et le fait de prendre conscience nous éveille à la réflexion mais aussi au sens des choses. On pose des mots, ces derniers permettent de donner du sens à notre conscience première. On peut penser aux mots d’amour, lorsqu’ils sont trop souvent répétés par automatisme, il perdent leur sens premier et leur saveur jusqu’à devenir banalités. Les mots qui par contre, sont pesés et utilisés à bon escient, gardent leur valeur. Ils sont dits par un sujet qui a pris conscience et garde à l’esprit la valeur et le sens des mots. Pouvoir énoncer ce qu’avait perçu notre conscience première, permet de donner de la valeur aux mots, aux actes et de nous positionner. D’autre part, on peut voir la prise de conscience comme un acte de rupture par rapport à notre moi instinctif, non réfléchi. On observe un détachement par comparaison à l’immédiateté : par la prise de conscience, on réfléchit, on se tourne sur soi, on comprend donc que le fait de prendre conscience offre une fonction réflexive, comme un miroir qui nous révèle une partie de soi, nous aide à nous comprendre, à nous voir, à nous penser ; Par ce biais, on accède à notre propre connaissance. La prise de conscience est un acte qui nous ouvre à la connaissance. En prenant conscience de ses lacunes, des ses faiblesses, des portes qui lui sont fermées, l’Homme se retrouve obligatoirement confronté à la prise d’une décision en faveur du changement ou de la conservation. La prise de conscience est donc une ouverture sur soi et l’Homme est lui-même la recherche de sa vérité. Descartes disait : « Cogito, ergo sum »puis ajoutait : « cette proposition, je suis, j’existe est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce ou que je la conçois dans mon esprit » . Ainsi pour Descartes, notre capacité à avoir conscience de notre existence et à exprimer cette connaissance prouve notre existence elle même. Cette vérité énoncée a une fonction rassurante pour l’Homme, lui qui est toujours en quête de la preuve de son existence, trouve ici une vérité sédative à son mal être. On voit donc que par la prise de conscience, l’Homme acquiert une capacité de se comprendre et de dépasser l’état de simple animalité pour atteindre la connaissance.
Ensuite, la prise de conscience face au monde extérieur nous montre que l’être pensant que nous sommes, existe dans un monde constitué d’autres êtres pensants. On est donc humains parmi les humains. La prise de conscience nous différencie des animaux qui seulement se sentent exister, et des choses inanimées. La prise de conscience nous introduit au monde des pensants, des humains. L’Homme est capable d’analyser, de prendre la distance nécessaire pour sortir de la pulsion, des actes irréfléchis. Cette capacité donnée par la prise de conscience nous donne le sentiment d’appartenance à l’humanité. Ainsi, certains comportements que peuvent avoir des personnes touchées par un handicap mental peuvent parfois heurter l’Homme « normal » car ces comportements semblent étranges, non pensés et non contrôlés, ils nous renvoient à une sorte de perte d’humanité. Des agissements tels que le meurtre ou encore l’inceste amènent au même sentiment de déshumanisation d’un homme empreint aux pulsions primaires. Le rejet qui peut se rencontrer face à ce genre de problèmes peut s’expliquer par le fait que l’Homme a besoin de se rassurer sur son état en se raccordant au monde des humains et ces comportements le renvoient à sa perte de conscience possible. L’humain reste avant tout un être social et a besoin de se sentir intégré dans le monde qui l’entoure. Il a besoin de comprendre les événements qui se déroulent autour de lui. Si l’on se réfère à l’étymologie de « se comprendre », on trouve l’idée de prendre avec soi, donc de prendre le monde, de prendre conscience. Cela amène l’Homme à la recherche de la connaissance, par ce biais, il recherche le sens de sa place dans le monde, comment la garder et comment la faire perdurer. Dans le mot conscience, on trouve l’idée de science avec soi et Descartes dans sa philosophie des sciences nous renvoie à la connaissance du monde, pour le prendre avec soi. On retrouve là un désir de contrôle, de maîtrise, cela nous ramène à la recherche de vérité, recherche commune à chaque homme.
Enfin, la prise de conscience nous offre une interprétation du monde. En effet, la recherche de la vérité, la volonté de prendre conscience passe par le prisme de soi. L’Homme se différencie de l’animal par sa capacité à penser, c’est à dire de se représenter ses actes, ses émotions et d’accéder au langage. Pour Rousseau : « la conscience est la voie de l’âme, les passions sont la voix du corps » et quant à lui Descartes disait « la nature m’enseigne aussi par ces sentiments de douleurs, de faim, de soif…que je ne suis pas seulement logé dans mon corps ainsi qu’un pilote en son navire mais, outre cela, que je lui suis conjoint très étroitement et tellement confondu et mêlé que je compose un seul tout avec lui ». A travers ces citations, l’idée que nous formons un tout qui nous mêle et nous confond à notre conscience et notre corps alors que nous cherchons à nous distancer, nous ramène à une condition guidée par notre instinct naturel. Ainsi cette part de nous même échappe à la pensée, à notre volonté de contrôle et de compréhension. Elle demeure hors de notre champs de conscience et de se fait représente la part d’ombre à laquelle on ne peut accéder, donc inconsciente et plonge l’Homme dans l’angoisse et la peur. Cette peur est conjurée, dépassée par l’intégration au monde, au social. Nous cherchons notre propre vérité dans le regard d’autrui qui peut nous rassurer sur ce qui nous échappe. Ainsi la perception de la réalité reste influencée par notre inconscient. Par exemple, le regard que l’on porte sur soi exprime une certaine réalité que l’on a de soi( par exemple : un sujet qui se dévalorise a une perception faussée de lui qui est le fruit de son vécu, dont les évènements l’ont amené à se renvoyer une image négative de lui-même) mais si on croise nos perceptions avec la perception d’autrui, la perception de l’autre fait qu’il n’en ressort pas la même réalité. « Je pense donc je suis » mais je ne suis pas que ce que je pense. L’instinct reste une part de vérité de soi, animale, irréfléchie et hors de contrôle. Donc par la prise de conscience, on donne un sens qui nous rassure et nous conserve en tant que être pensant mais la part instinctive nous renvoie à une vérité sur nous que nous ne pouvons réellement connaître. Ainsi la perception de soi et du monde se fait par des miscellanées entre ce que nous percevons du réel, ce que notre inconscient nous renvoie et les informations extérieures.
Pour conclure, en prenant conscience, l’Homme tente de s’approprier un monde intérieur et extérieur qui lui échappe. Mais il a du, depuis, se rendre au fait que la conscience partielle de lui même, des choses, des événements et d’autrui. Mais même avec toute l’énergie de pensée dont est capable l’être humain, un point de la réalité reste à jamais hors de portée. La prise de conscience est à la fois une ouverture du sujet sur le monde et à la fois une ouverture du sujet dans le monde qui amènent à une connaissance de ce qui est perçu. Malgré cette intelligence et cette capacité à penser, l’Homme reste un interprète de la réalité dont il ne peut parvenir à saisir et déchiffrer tous les aspects.