Les Caractères, parus en 1688, ont été écrits par un des auteurs du classicisme, Jean de la Bruyère, et sont issus de la traduction des Caractères d’un philosophe grec, Théophraste.
Cet extrait des caractères de la bruyère est l'intégralité d'une remarque, la 7e du livre 5, intitulée “De la société et de la conversation”. Dans cette dernière, l’auteur examine les relations humaines et met en lumière le rôle de la parole dans les sociétés mondaines. Cette septième remarque est le premier portrait en acte.
L’auteur classique nous présente le personnage d'Acis (nom aux sonorités antique comme il en utilise régulièrement dans “Les caractères”) qui semble réunir tous les défauts qui forment le contraire d’un Honnête Homme. À travers lui, ce sont les précieux et leur langage ampoulé qu’il critique.
Problématique
En quoi La Bruyère souligne-t-il le ridicule des précieux ?
Les mouvements du texte
- critique du discours précieux (lignes 1 à 6)
- critique du précieux (lignes 7 à 13)
- mise en scène théâtrale et conseil du moraliste (lignes 14 à la fin)
I. Critique du discours précieux (lignes 1 à 6)
Ligne 1
Le texte débute dans l’action, "in médias res" par une succession de phrases interrogatives « Que dites-vous ? Comment ? Je n’y suis pas ; vous plairait-il de recommencer ? »
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Les paroles d’Acis sont rapportées au discours indirect ce qui montre la non-importance de son discours avec également le champ lexical de la météo qui sont des propos insignifiants pour une personne qui se considère si supérieure (étant donné son langage).
L’auteur rend l’interlocuteur ridicule avec la répétition du verbe « dites », et la répétition des phrases interrogative ce qui forment un comique de répétition.
On fait face à un paradoxe : le moraliste demande des éclaircissements, mais il est de moins en moins éclairci.
« J’y suis encore moins. Je devine enfin » montre finalement une progression de la compréhension.
Le « enfin » dénote de l’impatience du narrateur.
« Dites » est au présent de l’impératif et démontre que l’auteur tente de conseiller le précieux.
Après l’effet d’attente des premières questions, nous avons la réponse : « vous voulez Acis me dire qu’il fait froid ». Déception du narrateur et des lecteurs face à des propos aussi banals, ironie de la part de La Bruyère.
Il y a un parallélisme de construction, avec le rythme ternaire avec la mise en avant de la reformulation et de l’insignifiance des propos météorologiques.
Ligne 3
La Bruyère donne une leçon à Acis, emploie d’un ton didactique à travers trois exemples précis qu’il expose à celui qu’il met en posture d’élève ce qui le rend inférieur « que ne disiez-vous : "Il fait froid" ? ».
Les paroles d’Acis rapportées au discours indirect pour être reformulées en indiquant les propos qu’il aurait dû utiliser.
Ligne 4
Le ton est plus impératif, plus directif : « dites » (présent de l’impératif) « Il pleut, il neige » , « dites « Je vous trouve bon visage ». Un comique de situation se trouve instauré, avec le décalage entre la banalité du sujet (météo, physique) et le discours confus, complexe, employé.
Lignes 5 et 6
« Mais répondez-vous cela est bien uni et bien clair ; et d’ailleurs, qui ne pourrait pas en dire autant ? » ici, Acis montre son incompréhension à cette critique.
« Mais » : la conjonction de coordination qui montre son objection. Cette fausse question porte les reproches d’Acis qui trouve qu’un propos simple n’est pas assez compliqué pour être intéressant et surtout pour se faire remarquer, pour se démarquer.
Le but d’Acis est celui des courtisans, apparaître comme diffèrent, supérieur, qu’on se rappelle de lui, mais il apparaît comme étant superficiel. C’est une critique du discours précieux.
II. Critique du précieux (l. 7 à 13)
Ligne 7
« Qu’importe Acis ? Est-ce un si grand mal d’être entendu quand on parle, et de parler comme tout le monde ? ». Les questions sont ici rhétoriques. La première disqualifie le point de vue d’Acis et la deuxième est une incitation à parler simplement.
L’hyperbole ironique « si grand mal » décrit Acis comme l’inverse de l’honnête homme classique qui doit suivre des principes comme celui de Boileau : énoncer clairement ses pensées.
Ligne 8
Il y a un effet d’attente avec la répétition de la proposition « Une chose vous manque », et l’hyperbole « je vais vous jeter dans l’étonnement ». Cette critique dépasse le cas particulier d’Acis « vous et vos semblables ».
Le caractère satirique du texte apparaît alors : « les diseurs de Phoebus », périphrase péjorative pour désigner les précieux tout en se moquant d’Acis avec l’utilisation d’un langage semblable au sien.
Ligne 10
Période oratoire « Une chose vous manque [...] c’est l’esprit » en cadence mineure qui donne un effet de suspens avec une révélation brutale.
À la fin de cette phase d’attente, La Bruyère livre la réponse avec un présent de vérité générale qui n’admet pas de contradiction : « c’est l’esprit »
Après avoir insisté sur ce qu’il manque à Acis La Bruyère insiste sur ce qu’il y a en trop chez Acis, c’est un propos blessant qui attaque l’intelligence de la personne et qui est sans concession.
Les connecteurs logiques, les deux points et le manque d’émotions, la prééminence de la logique montre qu’il cherche à convaincre son interlocuteur : « Ce n’est pas tout ».
Ligne 11
Parallélisme de « une chose vous manque » et « une chose en trop » pour mettre en évidence ce que les personnages pensent être et ce qu’ils sont réellement.
Acis est prétentieux : « l’opinion d’en avoir plus que les autres » car il est sot, mais pense être plus intelligent que les autres
La logique argumentative, presque psychologique de La Bruyère a découvert les raisons de la communication incompréhensible d’Acis : « voilà la source ».
Le présentatif « voilà » donne un ton solennel, de vérité, comme une sentence.
Ligne 12
La Bruyère adopte un ton sévère avec une gradation péjorative du langage ampoulé d’Acis pour insister dessus : « votre pompeux galimatias, de vos phrases embrouillées, et de vos grands mots qui ne signifient rien ».
C’est donc le blâme d’Acis et de son langage (généraliser critique tous les précieux), le moraliste met en valeur la prétention et la vanité des personnes qui pense qu’ils ont plus d’esprit que les autres, mais qui sont en réalité insignifiantes « grands mots qui ne signifient rien » (antithèse).
On a un contre-exemple du modèle à suivre qui est celui de l’honnête homme (langage raffiné et clair).
III. Mise en scène théâtrale (l. 14 à la fin)
Ligne 14
Cette dernière partie a un caractère théâtral, il s’agit d’une mise en situation du moraliste et du précieux. Le moraliste s’improvise metteur en scène de ce dernier.
La dernière longue phrase du texte met Acis en situation : « Vous abordez cet homme, ou vous entrez dans cette chambre ».
Seulement, La Bruyère n’a pas confiance en lui et est à ses côtés pour le guider comme un adulte avec un enfant ce qui le rend d’autant plus ridicule : « je vous tire par votre habit et vous dis à l’oreille » et qui forme comme un aparté.
Il se met ensuite lui-même en scène en assénant sa morale à Acis en deux temps. Déjà : « Ne songez point à avoir de l’esprit, n’en ayez point, c’est votre rôle », rôle est une référence au théâtre et l’emploi de l’impératif montre qu’il veut donner un ordre, qu’il le dirige comme un metteur en scène.
C’est un conseil catégorique : si avoir de l’esprit c’est parlé pompeusement, alors il vaut mieux ne pas avoir d’esprit. C’est une conclusion logique par rapport au fait qu’il lui en manque comme écrit plus haut. Mais, c’est aussi une critique des courtisans qui jouent « un rôle », qui sont hypocrites.
Lignes 15 et 16
Le metteur en scène est sceptique quant au changement d’Acis « si vous pouvez », « peut-être alors »
Chez La Bruyère la dernière phrase qui a un effet percutant est la pointe finale « peut-être alors croira-t-on que vous en avez » dénonce encore une fois la bêtise du courtisan.
La morale est que « le langage simple » démontre plus d’esprit, plus d’intelligence que la fausse complexité.
Conclusion
Dans cette remarque le moraliste dépeint un type social caractéristique du 17e siècle : le précieux. La Bruyère se pose en professeur impatient. Il cherche dans un premier temps à faire progresser son élève dans son expression. Il va avoir recours à une saynète et à travers Acis va caricaturer la mode versaillaise qui consiste à employer un langage si complexe qu’il en devient incompréhensible. Dans une mise en scène, il va défier verbalement Acis.
La Bruyère s’illustre sur l’art de la chute. Le texte, sous une apparence vivante, possède un fort caractère argumentatif. Le propos est didactique, cherche à enseigner la supériorité de la simplicité du langage. Il est aussi satirique : La Bruyère fait une critique acerbe du langage des courtisans. Molière, 25 ans plus tôt, avait déjà fait la satire des précieux en les ridiculisant comme La Bruyère avec sa comédie : Les Précieuses ridicules, sortie en 1659.