Eugène Ionesco est un écrivain né en 1909 et mort en 1994. Il est un représentant majeur du théâtre de l'absurde en France, avec des pièces comme La Cantatrice chauve (1950), Rhinocéros (1959) ou encore Le roi se meurt (1962), étudié ici.
Cet extrait représente le dénouement de la pièce, où la dernière tirade de la cérémonie conduit à la mort du roi.
On pourra se demander : en quoi ce passage offre une réflexion profonde sur la condition humaine ?
I. Marguerite, un personnage composite et monstrueux
a) La polyvalence de Marguerite
Marguerite assume plusieurs rôles dans la scène finale, agissant en tant que coryphée s'adressant au public, guide similaire à Charon, et figure implacable du destin. Son omniprésence se manifeste à travers des modalités injonctives, la rapprochant d'un double du metteur en scène.
Cette polyvalence crée un personnage monstrueux, brouillant les frontières entre l'espace scénique, dramatique et théâtral.
b) Le pouvoir de disparition de Marguerite
Marguerite possède le pouvoir unique de faire disparaître les objets simplement en les nommant, inversant ainsi le processus de création. Cette capacité la transforme en créatrice inversée, évoquant des connotations bibliques où Dieu crée par le nom.
Le langage utilisé, tel que "Tourne-toi vers moi. Regarde-moi. Regarde à travers moi," renforce ses qualités monstrueuses et transformatrices.
c) La mort comme création du néant
L'utilisation de la parole par Marguerite va au-delà de guider le roi vers sa mort; elle devient l'agente de la création de la mort elle-même. Cette capacité à anéantir la vie, à créer le néant résonne avec des thèmes existentiels, évoquant Sartre.
Marguerite devient l'image du néant, figeant Béranger dans la mort, rappelant le mythe d'Eurydice.
II. La mort du roi comme une cérémonie tragique
a) La mort comme processus cérémonial
La mort du roi est présentée comme une cérémonie élaborée, soulignant son caractère progressif. Les références aux "mains gluantes" et la dégradation du sceptre en "gourdin" mettent en lumière les détachements physiques et symboliques.
La formule ambiguë "C’était une agitation bien inutile, n’est-ce pas ?" encapsule l'essence tragique, oscillant entre pessimisme, réconfort ou fatalisme.
b) Le pouvoir du langage dans la mort
Le langage joue un rôle performant essentiel dans la cérémonie de mort du roi, transformant la parole poétique en incantation. Les anaphores, les répétitions, et la marche prosodique reproduisent la solennité de l'événement.
La transformation du sceptre en gourdin souligne la diminution de la puissance face à la mortalité. Le ton fataliste dans la déclaration ambiguë ajoute une complexité à la mort de Béranger.
c) Dimensions métathéâtrales du dénouement
La fin de la pièce coïncide avec la fin de la vie du roi, créant une réflexion méta-théâtrale sur l'illusion de l'existence et de la performance théâtrale. Marguerite devient le double du dramaturge et du metteur en scène, soulignant la nature illusoire de la vie et du théâtre.
La disparition progressive du décor et la répétition de l'adjectif "faux" révèlent la mascarade et le carton-pâte, amplifiant l'effet métathéâtral.
Conclusion
Dans Le roi se meurt, Ionesco navigue habilement entre les thèmes de la mort et de la théâtralité, offrant une réflexion profonde sur la condition humaine. Marguerite, en tant que personnage composite et la mort du roi comme cérémonie tragique, dévoilent une narration riche en dimensions existentielles et métathéâtrales.
À travers des choix linguistiques et structurels, Ionesco remet en question les normes théâtrales traditionnelles, laissant le public avec une réflexion stimulante sur l'inévitabilité de la mortalité et la nature éphémère de la vie et de l'art.