Corneille, L'Illusion comique - Acte V, scène 5

Commentaire entièrement rédigé, en trois parties.

Dernière mise à jour : 20/11/2021 • Proposé par: richaudm (élève)

Texte étudié

ALCANDRE, PRIDAMANT

ALCANDRE

Ainsi de notre espoir la fortune se joue :
Tout s’élève ou s’abaisse au branle de sa roue ;
Et son ordre inégal, qui régit l’univers,
Au milieu du bonheur a ses plus grands revers.

PRIDAMANT

Cette réflexion, mal propre pour un père,
Consolerait peut-être une douleur légère ;
Mais après avoir vu mon fils assassiné,
Mes plaisirs foudroyés, mon espoir ruiné,
J’aurais d’un si grand coup l’âme bien peu blessée,
Si de pareils discours m’entraient dans la pensée.
Hélas ! dans sa misère il ne pouvait périr ;
Et son bonheur fatal lui seul l’a fait mourir.
N’attendez pas de moi des plaintes davantage :
La douleur qui se plaint cherche qu’on la soulage ;
La mienne court après son déplorable sort.
Adieu ; je vais mourir, puisque mon fils est mort.

ALCANDRE

D’un juste désespoir l’effort est légitime,
Et de le détourner je croirais faire un crime.
Oui, suivez ce cher fils sans attendre à demain ;
Mais épargnez du moins ce coup à votre main ;
Laissez faire aux douleurs qui rongent vos entrailles,
Et pour les redoubler voyez ses funérailles.

(Ici on relève la toile, et tous les comédiens paraissent avec leur portier, qui comptent de l'argent sur une table, et en prennent chacun leur part.)

PRIDAMANT

Que vois-je ? Chez les morts compte-t-on de l’argent ?

ALCANDRE

Voyez si pas un d’eux s’y montre négligent.

PRIDAMANT

Je vois Clindor ! Ah dieux ! Quelle étrange surprise !
Je vois ses assassins, je vois sa femme et Lyse !
Quel charme en un moment étouffe leurs discords,
Pour assembler ainsi les vivants et les morts ?

ALCANDRE

Ainsi tous les acteurs d’une troupe comique,
Leur poème récité, partagent leur pratique :
L’un tue, et l’autre meurt, l’autre vous fait pitié ;
Mais la scène préside à leur inimitié.
Leurs vers font leurs combats, leur mort suit leurs paroles,
Et, sans prendre intérêt en pas un de leurs rôles,
Le traître et le trahi, le mort et le vivant,
Se trouvent à la fin amis comme devant.
Votre fils et son train ont bien su, par leur fuite,
D’un père et d’un prévôt éviter la poursuite ;
Mais tombant dans les mains de la nécessité,
Ils ont pris le théâtre en cette extrémité.

PRIDAMANT

Mon fils comédien !

ALCANDRE

D’un art si difficile
Tous les quatre, au besoin, ont fait un doux asile ;
Et depuis sa prison, ce que vous avez vu,
Son adultère amour, son trépas imprévu,
N’est que la triste fin d’une pièce tragique
Qu’il expose aujourd’hui sur la scène publique,
Par où ses compagnons en ce noble métier
Ravissent à Paris un peuple tout entier.
Le gain leur en demeure, et ce grand équipage,
Dont je vous ai fait voir le superbe étalage,
Est bien à votre fils, mais non pour s’en parer
Qu’alors que sur la scène il se fait admirer.

PRIDAMANT

J’ai pris sa mort pour vraie, et ce n’était que feinte ;
Mais je trouve partout mêmes sujets de plainte.
Est-ce là cette gloire, et ce haut rang d’honneur
Où le devait monter l’excès de son bonheur ?

ALCANDRE

Cessez de vous en plaindre. À présent le théâtre
Est en un point si haut que chacun l’idolâtre,
Et ce que votre temps voyait avec mépris
Est aujourd’hui l’amour de tous les bons esprits,
L’entretien de Paris, le souhait des provinces,
Le divertissement le plus doux de nos princes,
Les délices du peuple, et le plaisir des grands :
Il tient le premier rang parmi leurs passe-temps ;
Et ceux dont nous voyons la sagesse profonde
Par ses illustres soins conserver tout le monde,
Trouvent dans les douceurs d’un spectacle si beau
De quoi se délasser d’un si pesant fardeau.
Même notre grand roi, ce foudre de la guerre,
Dont le nom se fait craindre aux deux bouts de la terre,
Le front ceint de lauriers, daigne bien quelquefois
Prêter l’œil et l’oreille au théâtre-François :
C’est là que le Parnasse étale ses merveilles ;
Les plus rares esprits lui consacrent leurs veilles ;
Et tous ceux qu’Apollon voit d’un meilleur regard
De leurs doctes travaux lui donnent quelque part.
D’ailleurs, si par les biens on prise les personnes,
Le théâtre est un fief dont les rentes sont bonnes ;
Et votre fils rencontre en un métier si doux
Plus d’accommodement qu’il n’eût trouvé chez vous.
Défaites-vous enfin de cette erreur commune,
Et ne vous plaignez plus de sa bonne fortune.

PRIDAMANT

Je n’ose plus m’en plaindre, et vois trop de combien
Le métier qu’il a pris est meilleur que le mien.
Il est vrai que d’abord mon âme s’est émue :
J’ai cru la comédie au point où je l’ai vue ;
J’en ignorais l’éclat, l’utilité, l’appas,
Et la blâmais ainsi, ne la connaissant pas ;
Mais depuis vos discours mon cœur plein d’allégresse
A banni cette erreur avecque sa tristesse.
Clindor a trop bien fait.

ALCANDRE

N’en croyez que vos yeux.

PRIDAMANT

Demain, pour ce sujet, j’abandonne ces lieux ;
Je vole vers Paris. Cependant, grand Alcandre,
Quelles grâces ici ne vous dois-je point rendre ?

ALCANDRE

Servir les gens d’honneur est mon plus grand désir :
J’ai pris ma récompense en vous faisant plaisir.
Adieu : je suis content, puisque je vous vois l’être.

PRIDAMANT

Un si rare bienfait ne se peut reconnaître :
Mais, grand mage, du moins croyez qu’à l’avenir
Mon âme en gardera l’éternel souvenir

Corneille, L'Illusion comique - Acte V, scène 5

Au XVIIème siècle, le théâtre se donne la mission d’instruire et de plaire. Corneille s’emploie à cette double mission dans l’Illusion Comique, créée en 1635. Dans cette tragi-comédie, Pridamant consulte le puissant mage Alcandre afin d’obtenir des nouvelles de son fils Clindor qu’il n’a pas vu depuis 10 ans. Pour satisfaire la curiosité de son visiteur, Alcandre fait apparaître des spectres dans sa grotte qui représentent Clindor et ceux qui l’entourent et qui permettent de suivre ses aventures. Ainsi Pridamant devenu spectateur, assiste impuissant à l’assassinat de son fils dans la scène 5 de l’acte V. Dans la scène 6, qui semble être un dénouement tragique, il laisse éclater son désespoir jusqu’au moment où il s’aperçoit avec étonnement que la fin est plus heureuse que prévu.

On peut donc se demander: comment dans cette scène de dénouement Alcandre parvient-il à dissiper les réticences de Pridamant quant à la réussite professionnelle de son fils ?

Nous allons donc étudier cette scène finale en organisant notre approche autour de trois axes, coïncidant avec le déroulement de la scène. Nous verrons tout d’abord en quoi il s’agit d’un coup de théâtre final (v. 1725-1780), puis nous montrerons en quoi le discours d’Alcandre est un éloge du théâtre (v. 1781-1806) ; enfin, nous verrons que ce dénouement a une visée didactique (v. 1807-1824, fin de la scène, de l’acte et de l’œuvre ).

I. Un coup de théâtre final


v. 1725-1780

Ce passage constitue un coup de théâtre pour Pridamant et les spectateurs. Il coïncide avec la fin de la mise en abyme du théâtre dans le théâtre. Par conséquent, on a un retour dans la grotte d’Alcandre.

a) Supplice et surprise de Pridamant

Convaincu de la mort de son fils, Pridamant sombre dans un profond désespoir, vers 1731 à 1736. En père digne jusque dans la douleur, il ne se lamente pas (v 1738), mais annonce son intention de se suicider pour ne pas suivre au chagrin qui l’étreint (v1740). Alcandre ne cherche pas, dans un premier temps du moins, à le rassurer. Le magicien ne cherche pas à dissuader Pridamant de la mort de son fils. Il prononce au contraire des paroles qui peuvent s’interpréter comme une confirmation de cette mort. Si cruelle que puisse paraître son attitude, il veut éprouver l’amour paternel de Pridamant pour le préparer mieux accepter la nouvelle vie de son fils. Si rude soit-elle, cette méthode lui permet de conduire Pridamant vers sa décision finale de pardonner Clindor et de courir le rejoindre. En effet, aux vers 1725 à 1727, « fortune » et « ordre inégal » correspondent à des choses pas fixées éternellement, comme elles l’étaient dans la conception platonicienne. On assiste à un changement perpétuel des choses.

La didascalie « on tire un rideau et on voit tous les comédiens qui partagent leur argent » (v 1746) : on pourrait presque croire, ici qu’il s’agit de la fin de la pièce et applaudir. Il y donc une ambigüité. Cette didascalie fait passer Pridamant de l’accablement le plus complet à la surprise la plus totale. Cela montre à quel point l’émotion est forte, en particulier pour Pridamant.

Le coup de théâtre se ressent dans sa surprise qui se traduit par :
- des exclamations et des interjections : « Que vois-je » v. 1747, « je vois sa femme et Lise » v. 1750, « Ah ! Dieu ! Quelle surprise ! » v. 1749

Mais aussi des questions adressées à Alcandre assez ridicules et qui montrent son incompréhension : « Chez les morts compte-t-on l’argent ? » v. 1747

Il qualifie de « charme » ce qui n’est autre que la réalité (v. 1751)
Il réalise ici, une nouvelle confusion à cause de l’illusion, ce qui montre encore à quel point l’emprise de celle-ci était forte notamment par l’emploi du verbe « étouffer », doté d’un sens fort. (v. 1751) On pourrait comparer l’état de Pridamant à celui d’une personne qui vient de se réveiller et qui confond encore le rêve qu’elle a faite avec la réalité. Le mot « surprise » v. 1749 et l’anaphore de « Je vois » v. 1749 et 1750, confirme cela.

Mais pourquoi est-ce véritablement un coup de théâtre ? D’abord parce qu’on croyait Clindor mort, et que la fausse fin était tragique. Or, il n’en est rien, tout n’était qu’illusion.

b) La fin de l’illusion

Ce passage est bel et bien la fin de la pièce : l’adverbe « ainsi » au vers 1753l’annonce. Mais est-elle tout de suite une fin heureuse pour tous ?
cela semble d’abord être un dénouement très heureux aux yeux du spectateur : tout le monde est réuni, les discordes joués disparaissent et laissent place à une unité et à une solidarité exemplaire, comme on peut le voir aux vers 1753-1760 ; ces vers illustrent des propos très généraux qui traitent de la troupe dans son ensemble. De nombreux pluriels « les acteurs » (v 1753), l’emploi à plusieurs reprises du pronom »leur » et de la conjonction de coordination » et », tout cela a pour but d’insister sur la solidarité de la troupe. Les termes antithétiques ne s’opposaient que dans la pièce et aucunement dans la réalité. On trouve une insistance sur les oppositions jouées : « le traître et le trahi », « le mort et le vivant » (v 1759). De plus, on ale verbe »partager » au vers 1754 ; l’intimité n’était donc pas feinte, en plus de cela, Clindor est en vie et son métier lui permet de bien vivre.

Dans les vers 1761à 1764, on a un rappel du passé, Alcandre se sert de son omniscience pour conduire Pridamant à accepter la vérité, en recourant aux faits, et en lui adressant des reproches « D’un père et d’un prévôt éviter la poursuite ». v 1762 On a alors une vision très négative du père, considéré comme un juge, avec tout ce que l’on peut voir dans un « prévôt », c’est à dire l’aspect froid et distant, sévère et sans indulgence de la justice. Il s’agit d’une conception très opposée à celle que l’on peut avoir d’un père, souvent protecteur et bienveillant. Pridamant poursuit son harcèlement et ceci fait écho à la scène 1 de l’acte I, dans laquelle Pridamant cherchait à diminuer la liberté de son fils.
Le vers 1763, est un reproche implicite. En effet, « Mais tombant dans les mains de la nécessité » montre que Pridamant a laissé erré son fils sans aucun moyen de subsistance matérielle. Dans le vers 1764, « Ils ont pris le théâtre en cette nécessité », on voit une relation de cause à effet : si Clindor est devenu comédien, c’est pour subsister, puisqu’il n’était pas aidé par son père. Alcandre tient donc le père pour responsable de ce qu’est devenu son fils et il n’a pas le droit de se plaindre. « En cette extrémité » v 1764, indique l’impossibilité de faire autrement, sous peine de mourir de faim. Cela a pour but de lui faire assumer et d’accepter sans mécontentement la nouvelle.

La réaction de Pridamant est curieuse, il n’accorde pas d’intérêt à l’illusion à laquelle il vient d’assister. Ce qui le surprend et l’irrite, c’est d’apprendre le métier de son fils : v 1765 « Mon fils comédien ! » Pour un père qui croyait à un haut rang d’honneur, c’est un vrai coup de théâtre. Pridamant rêvait sans doute pour son fils d’un avenir et d’une profession stable. Or, il est acteur, métier socialement très déconsidéré, nourrit de préjugés habituels de la bourgeoisie et de la noblesse du XVIIème siècle. Jouer la comédie ne lui semble ni glorieux, ni honorifique, ni même une activité décente (v. 1779-1780).

Le théâtre apparaît alors comme un asile, un lieu inviolable où se réfugie une personne poursuivie (v 1761-1762) ; « l’asile » v. 1766 est aussi le lieu du refuge, ici financier.

Clindor et sa suite « ravissent dans Paris un peuple tout entier » v. 1772: ils ont très appréciés de leur public, qui est le tout Paris), ils ont une grande popularité.

Il y a des hyperboles pour décrire l’environnement qui entoure Clindor : « grand équipage », « superbe étalage » (v. 1773-1774)
Le verbe « admirer » v. 1776, témoigne du fait que Clindor est aussi respecté. Ainsi, grâce à son métier, il obtient à la foi honneur, gloire et fortune.

Alcandre tente avec succès de faire accepter à Pridamant la nouvelle concernant le métier de son fils. Il remet en cause tous les préjugés et rappelle sa mauvaise conduite passée. C’est un médiateur non seulement pour le réconcilier avec son fils mais surtout pour le réconcilier avec le théâtre. Alcandre est omniprésent, déjà dans le premier acte, D’orante déclarait : « Rien n’est secret pour lui dans tout l’univers » v. 59 ; Ainsi vers 1753 à 1760, il fournit des explications à Pridamant en usant du présent de vérité générale, pour lui faire comprendre que son fils est devenu acteur.

Le dénouement correspondant à la fin de l’illusion, on remarque qu’il contient beaucoup de références à l’argent : « argent », « nécessité », « au besoin », « gain », « richesse », « les rentes sont bonnes, « pratiques » … Avec l’aspect matériel sont s’éloigne de l’illusion. De plus, Pridamant admet avoir été totalement mystifié et avoir confondu le réel et la fiction « j’ai pris sa mort pour varie, et ce n’était que feinte » v 1777

II. Eloge du théâtre : tirade d’Alcandre


v 1781-1806

Alcandre pour dissiper les préjugés de Pridamant sur le métier de comédien réalise un vibrant éloge du théâtre, dans lequel il fait ressortir son honneur et sa grandeur, mais aussi le fait qu’il s’agisse d’un divertissement universel et enfin que c’est un métier respectable.

a) Honneur et grandeur du théâtre

Il faut en premier lieu relever le lexique appréciatif, dans les vers 1785-1787 « entretien », « divertissement  le plus doux », « souhait », « délices », « plaisir », « douceur ». Alcandre en usant de ce vocabulaire, loue les bienfaits du théâtre, ils montrent les qualités du théâtre mises en avant par les bons esprits. De plus, l’allusion aux personnages antiques, « roi», « front ceint de lauriers », « Apollon », « la Parnasse »(v 1797) qui est une montagne de Grèce, où résidaient les muses, déesses protectrices des arts, montre une image valorisante qui témoigne de la grandeur du théâtre, genre illustré et prestigieux dans l’Antiquité.
On trouve également un éloge lyrique, construit à partir de tournures superlatives, telles que « divertissement le plus doux », « le premier rang », « les plus rares esprits », et « d’un meilleur regard » mais aussi par des adverbes d’intensité comme le « si » de : « est en un point si haut » et « d’un spectacle si beau ».

Alcandre va même jusqu’à s’adresser aux protecteurs du théâtre (Richelieu au vers 1789, Louis XIII au vers 1793) ; il se dessine un Corneille politique que l’on retrouvera dans le Cid et Cinna. Le théâtre prend une autre fonction que le divertissement. Le dramaturge se doit de célébrer la monarchie de droit divin qui le protège. Ainsi le vers 1793 a une fonction de louange destinée au roi. Le champ lexical des héros qui s’est vidé d’ironie et de comique a pris une valeur d’éloge courtisane, il flatte le roi. Alcandre met en avant l’importance pour le dramaturge d’avoir des mécènes qui aiment et protègent le théâtre. Cette attention place le théâtre au rang de grand art.

b) Divertissement universel

Il y a plusieurs destinataires à travers le discours d’Alcandre qui justifie et met en avant les qualités du théâtre. Le mage s’adresse à Pridamant, son interlocuteur direct qui se plaint du destin de son fils. Alcandre emploie des impératifs et des présents à valeurs jouissive. Pridamant représente l’autorité bourgeoise et morale qui juge le théâtre mais aussi l’autorité paternelle inquiète pour son fils. Alcandre met en évidence le décalage de génération entre la vision du père » votre temps » vers 1783 et celle de son fils « aujourd’hui » vers 1784 ; Le théâtre est idolâtré non seulement à Paris mais aussi par les provinces. Il touche « nos princes, les grands et le peuple » vers 1786-1787 ; De plus, cet éloge est partagé par le plus grand nombre, de nombreux groupes nominaux et pronoms désignent les heureux amateurs. Les pluriels hyperboliques tels que « les bons esprits », « nos princes » »les grands » etc. permettent à Alcandre d’insister sur le fait que « tout le monde » et même les gens de qualité se rendent au théâtre et l’apprécie, même le roi. Le théâtre s’impose donc non seulement pour tout le monde mais aussi en tout lieux « l’entretien de Paris, le souhait des provinces » vers 1786.

c) Un métier respectable

Alcandre cherche aussi à consoler Pridamant en lui disant que ce qui est affirmé n’est pas si mal: vers 1803-1804 « Et votre fils rencontre en un métier si doux/ Plus d’honneur qu’il n’eût trouvé chez vous ».De plus, honneur et argent sont ici réconciliés, alors que généralement ils s’opposent. Il s’agit d’un métier lucratif, en effet, le champ lexical de l’argent est très présent : « compte t’on l’argent », « partagent leur pratique », « gains »et «  les rentes sont bonnes » (vers 1802
Le métier de comédien est un métier à part entière, dont la respectabilité est acquise : vers 1803 : « un métier si doux ».

Apprendre à Pridamant qu’au théâtre » les rentes sont bonnes » est un argument de poids pour cette petite bourgeoisie de province. Il ne reste plus à Alcandre qu’à détourner Pridamant de cette « erreur commune » vers 1805 à propos du théâtre, au sens de préjugés.

La valeur du divertissement du théâtre ne peut être remise en cause car les grands et les gouvernements lui apportent de l’attention. Selon Alcandre, le théâtre est un poème, les expressions hyperboliques « et tous ceux qu’Apollon voit d’un meilleur regard ET les plus rares » v 1798-1799, les mots « s’émerveillent, doctes travaux, leurs veilles, … » v 1800, mettent en avant cette idée. Le travail poétique qu’est le théâtre est élevé au rang le plus noble et le plus haut. Le « fief »v 1802 renvoie aux châteaux du Moyen Age, difficilement accessibles. Alcandre s’adresse au père, aux protecteurs, aux spectateurs pour en changer les mentalités. Il insiste sur les effets obtenus parle théâtre dans les premiers hémistiches des vers » dont les rentes sont bonnes, un métier si doux, plus de biens et d’honneur » (vers 1802, 1803, 1804). La fin de la tragédie arrive par la découverte des comédiens partageant la recette, cet hommage à l’argent qui est montré est une réalité sociale.

Enfin, cet éloge du théâtre se trouve être celle de Corneille. Alcandre réhabilite le théâtre dans les dernières lignes. On a l’allusion à des événements dans lesquels on peut retrouver Corneille ; le tableau brossé des auteurs dramatique offre aussi celui de Corneille qui se dessine lui même.

Tel est l’éloge du théâtre par Alcandre, très apprécié de tous et même des plus grands, c’est un véritable métier artistique.

III. Dénouement à visée didactique


v 1806-1824

La force de conviction de Pridamant vise à balayer les préjugés de Pridamant sur le théâtre.

a) Une volonté de convaincre Pridamant

Pour convaincre Pridamant, Alcandre utilise un dialogue argumentatif, composé de tous les procédés qui l’accompagne. Il use notamment du registre injonctif. Alcandre montre la voie de la raison à Pridamant par des impératifs tels que « cessez de vous plaindre », « Et ne vous plaignez plus de sa bonne fortune », « N’en croyez que vos yeux ». Alcandre oblige Pridamant à ouvrir les yeux et à accepter la réalité. Cette volonté de convaincre est suscitée parles connecteurs logiques tels que « Ainsi, mais, et » qui structure son argumentation. Son jugement est présenté comme incontestable, par l’utilisation du présent de vérité générale dans « Le théâtre est en un point si haut que chacun l’idolâtre ».

b) Evolution de la vision du théâtre

L’image du théâtre qu’à Pridamant est révolue. Alcandre le lui fait comprendre en usant de compléments circonstanciels de temps antithétiques, « à présent »« aujourd’hui »qui s’opposent à « votre temps » On a donc une forte opposition entre le passé et le présent. Ces déictiques temporels renseignent Pridamant sur une évolution du théâtre qui est à présent un véritable art reconnu partout. De plus, l’opposition entre l’imparfait et le présent aux vers v 1783 et 1784 renforce l’idée d’un temps révolu.

c) Changement d’avis de Pridamant

Grâce au sublime plaidoyer d’Alcandre, Pridamant va changer d’avis, on est alors face à une rupture entre le avant et le après. Pridamant est convaincu, comme le confirme le vers 1814 ; le nouveau point de vue de Pridamant est favorable au choix de son fils. Il finit par admettre que le choix de son fils est le bon, vers 1808 et ajoute même au vers 1815 « Clindor a trop bien fait ». C’est le dernier argument d’Alcandre qui convainc le bourgeois, qui n’est plus inquiet de l’avenir de son fils. Pridamant reconnaît alors une fonction morale et sociale au théâtre (v 1810-1812). En une trentaine de vers, Pridamant passe de l’indignation « Mon fils comédien ! » v 1765à « Je n’ose plus m’en plaindre ; on voit trop combien le métier qu’il a pris est meilleur que le mien » v 1807-1808. Si la conversion de Pridamant semble s’opérer aussi rapidement c’est qu’elle a été progressivement préparée par le spectacle auquel il a assisté « N’en croyez que vos yeux » lui dit Alcandre au v 1816. C’est parce que le père a été ému dans son corps et qu’il a vu et voit qu’il peut accorder crédit au discours.

Conclusion

Cette dernière scène met fin au méta théâtre de L’Illusion Comique. Grâce à un ultime coup de théâtre, Pridamant et nous autres spectateurs sont désormais fixés sur ce qu’est devenu Clindor dont le métier de comédien épouse à la perfection son caractère changeant et ancré dans le baroque. Alcandre, en réconciliant Pridamant avec son fils et le théâtre, montre une nouvelle fois son pouvoir à travers son éloge. Finalement, le vrai dénouement est heureux pour tout le monde : les préjugés du vieux père sont balayés au cours de cette célébration de l’art dramatique qui parvient si bien à conjuguer l’honneur, la fortune et la gloire. L’aspect matériel est d’ailleurs particulièrement présent dans la scène et reflète les préoccupations financières de Corneille à ses débuts. Eperdument reconnaissant et convaincu par les doubles pouvoirs de la magie et de la dramaturgie, Pridamant n’a plus qu’un seul désir : rejoindre son fils à Paris. Mais ce dénouement célèbre aussi la place du théâtre au XVIIème siècle, comme art à part entière. Il est aussi distrayant que sérieux. Même s’il pratique l’illusion, c’est pour mieux édifier le spectateur et le ramener à des jugements plus justes et plus conformes à la morale.