Bel-Ami est un roman de Guy de Maupassant qui raconte l’ascension sociale d’un jeune Normand, Georges Duroy, qui débarque à Paris sans connaître personne et n’a guère fait d’études. Après son service militaire, il occupe un emploi mal payé dans les chemins de fer.
L’incipit montre Duroy déambulant dans les rues et rêvant à un avenir meilleur. Comment Maupassant intéresse-t-il son lecteur à ce personnage, qu’il campe de manière réaliste ? Nous verrons que ses débuts sont difficiles, puis qu’il a un tempérament et un physique qui sont des atouts, et enfin qu’il rêve de plaisirs.
I. Des débuts difficiles
L’incipit de Bel-Ami montre un personnage jeune qui connaît des débuts difficiles dans la vie, et ce malgré des attraits séduisants.
Il est seul à Paris et se restaure dans une « gargote à prix fixe », un endroit où l’addition est prévisible. Le début du roman montre qu’il est « beau », qu’il a fière allure avec sa « moustache » et sa taille « cambrée » ; « joli garçon », il porte sur son entourage « un de ces regards {…] qui s’étendent comme des coups d’épervier ». Cette comparaison de Georges Duroy avec un oiseau de proie, moins puissant et moins noble que l’aigle, témoigne d’une solitude un peu orgueilleuse ; le jeune homme est conscient de sa valeur. De plus, sa sortie ne passe pas inaperçue : six femmes présentes dans la salle, qui sont célibataires ou mariées, ouvrières ou bourgeoises, se retournent sur lui. Cette courte scène annonce des succès féminins dans la suite de l’histoire.
Cependant, Duroy a des préoccupations financières ; on lui rend la monnaie, à la caisse du restaurant où il vient de prendre son repas, de sa pièce de « cent sous », et il fait ses comptes pour la suite de ses repas ; il lui reste « trois francs quarante », le repas de midi coûte « vingt-deux sous », celui du soir « trente » sous, et il lui restera « un franc vingt centimes » pour acheter du pain et du saucisson. Tous ces chiffres précis montrent que la vie à Paris est chère pour un jeune provincial qui débarque à Paris, et nous donnent une idée exacte du coût de la vie à l’époque, et du niveau de vie modeste de Duroy. De plus, une date est donnée : le « 28 juin ». Il s’agit de boucler la fin du mois, car le jeune homme n’a pas une situation satisfaisante.
Le début du roman montre donc un jeune homme qui séduit toutes les femmes et qui manque d’argent.
II. Un tempérament et un physique qui sont des atouts
Puis Maupassant s’attarde sur son personnage, dont il évoque la démarche lorsqu’il déambule dans les rues, et le portrait physique.
En effet, la démarche de Duroy, lorsqu’il se promène sur les boulevards, est celle d’un homme grossier, sans éducation : « il avançait brutalement dans la rue pleine de monde, heurtant les épaules, poussant les gens… » Sans gêne, on devine que le toupet dont il fait preuve va l’aider à avancer dans la vie, car c’est un jeune homme sans scrupules, un voyou à la mode du XIXe siècle : il a une raie au milieu et une moustache, porte un « chapeau à haute forme », ressemble au « mauvais sujet des romans populaires ». Cette nouvelle comparaison, après l’épervier, annonce un personnage peu recommandable sur le plan moral.
Mais Bel-Ami a des atouts, car son physique est avantageux ; une série d’adjectifs qualificatifs nous permet de l’imaginer. « Grand, bien fait, blond, d’un blond châtain vaguement roussi, avec une moustache retroussée… des yeux bleus, clairs… », il ressemble à Maupassant : comme son personnage, le romancier est monté à Paris, venant de Normandie, après son service militaire chez les hussards, et il y a fait carrière. Roman autobiographique, Bel-Ami est emblématique d’une époque où la jeunesse rêve de la capitale, ville de plaisirs à la mode. De même, Eugène de Rastignac, Lucien de Rubempré, Julien Sorel ou Emma Bovary quittent la province pour s’y rendre.
Duroy découvre le spectacle de Paris, au fil de sa promenade ; il y fait une chaleur étouffante, les égouts empestent, et dans la rue, des eaux sales sont déversées par les « cuisines souterraines ». De plus, il voit des « concierges en manches de chemise », des passants le chapeau à la main. Le rêve d’une ville splendide, habitée par des Parisiens élégants, est détruit ; c’est une illusion. Cependant, des lieux célèbres comme « les Champs-Elysées » et le « Bois de Boulogne » sont aussi mentionnés. La capitale est ambivalente. Il doit y tracer son chemin, et semble ne se laisser détourner de son but par aucun obstacle.
Georges Duroy est dynamique et optimiste ; il ne s’arrête pas aux aspects décevants de Paris. La fin du texte nous introduit dans ses pensées.
III. Un esprit plein de désirs
Bel-Ami rêve d’une rencontre amoureuse et espère un avenir meilleur.
Le discours indirect libre, « Comment se présenterait-elle ? », fait partager au lecteur les questions que se pose le personnage. « il l’attendait depuis trois mois, tous les jours, tous les soirs » indique l’obsession d’un désir insatisfait. « Il espérait toujours plus et mieux » laisse présager un personnage insatiable, dont la carrière risque d’être longue et tumultueuse. La connaissance progressive de Bel-Ami, de son apparence à ses pensées intimes, nous attache au personnage dont nous sommes curieux de savoir comment il parviendra à ses fins.
La dernière partie de la page insiste sur les sens : « le sang bouillant » témoigne d’un tempérament ardent. Le « contact des rôdeuses » ou les « baisers …vulgaires » évoquent le toucher. Le « murmure » des femmes, l’ouïe. Les « parfums » à « flairer », l’odorat. Duroy est heureux au milieu des « filles publiques » qui « grouillent » dans certains lieux populaires, « bals, cafés, rues », qu’il fréquente, avide de plaisirs communs. Bel-Ami est un personnage vulgaire, qui aime satisfaire ses instincts.
Sensuel et sans scrupules, Duroy pourrait être entraîné dans des aventures dangereuses.
Conclusion
En lisant ce début de roman, le lecteur comprend que le romancier a l’intention de l’instruire par un tableau fidèle de la vie à Paris au XIXe siècle, et qu’il va lui montrer les dangers qui guettent les jeunes gens inexpérimentés et naïfs. Duroy nous retient, car il est plein de vie et ne manque pas de charme. On désire lire la suite pour savoir comment il va s’y prendre.
On peut comparer l’arrivée de Duroy à Paris avec celle de Lucien de Rubempré dans Illusions perdues, qui découvre que la capitale n’est pas le mirage auquel il croyait, et qui doit lui aussi se battre pour gagner sa vie.