Maupassant, Bel-Ami - Excipit (2)

Commentaire de texte d'un élève en 2nde générale, pour un devoir à la maison.

Dernière mise à jour : 03/01/2022 • Proposé par: koko (élève)

Texte étudié

Bel-Ami, à genoux à côté de Suzanne, avait baissé le front. Il se sentait en ce moment presque croyant, presque religieux, plein de reconnaissance pour la divinité qui l'avait ainsi favorisé, qui le traitait avec ces égards. Et sans savoir au juste à qui il s'adressait, il la remerciait de son succès.
Lorsque l'office fut terminé, il se redressa, et donnant le bras à sa femme, il passa dans la sacristie. Alors commença l'interminable défilé des assistants. Georges, affolé de joie, se croyait un roi qu'un peuple venait acclamer. Il serrait des mains, balbutiait des mots qui ne signifiaient rien, saluait, répondait aux compliments : " Vous êtes bien aimable. "
Soudain il aperçut Mme de Marelle ; et le souvenir de tous les baisers qu'il lui avait donnés, qu'elle lui avait rendus, le souvenir de toutes leurs caresses, de ses gentillesses, du son de sa voix, du goût de ses lèvres, lui fit passer dans le sang le désir brusque de la reprendre. Elle était jolie, élégante, avec son air gamin et ses yeux vifs. Georges pensait : " Quelle charmante maîtresse, tout de même. "
Elle s'approcha un peu timide, un peu inquiète, et lui tendit la main. Il la reçut dans la sienne et la garda. Alors il sentit l'appel discret de ses doigts de femme, la douce pression qui pardonne et reprend. Et lui-même il la serrait, cette petite main, comme pour dire : " Je t'aime toujours, je suis à toi ! "
Leurs yeux se rencontrèrent, souriants, brillants, pleins d'amour. Elle murmura de sa voix gracieuse : " A bientôt, monsieur. "
Il répondit gaiement : " A bientôt, madame. "
Et elle s'éloigna.
D'autres personnes se poussaient. La foule coulait devant lui comme un fleuve. Enfin elle s'éclaircit. Les derniers assistants partirent. Georges reprit le bras de Suzanne pour retraverser l'église.
Elle était pleine de monde, car chacun avait regagné sa place, afin de les voir passer ensemble. Il allait lentement, d'un pas calme, la tête haute, les yeux fixés sur la grande baie ensoleillée de la porte. Il sentait sur sa peau courir de longs frissons, ces frissons froids que donnent les immenses bonheurs. Il ne voyait personne. Il ne pensait qu'à lui.
Lorsqu'il parvint sur le seuil, il aperçut la foule amassée, une foule noire, bruissante, venue là pour lui, pour lui Georges Du Roy. Le peuple de Paris le contemplait et l'enviait.
Puis, relevant les yeux, il découvrit là-bas, derrière la place de la Concorde, la Chambre des députés. Et il lui sembla qu'il allait faire un bond du portique de la Madeleine au portique du Palais-Bourbon.
Il descendit avec lenteur les marches du haut perron entre deux haies de spectateurs. Mais il ne les voyait point ; sa pensée maintenant revenait en arrière, et devant ses yeux éblouis par l'éclatant soleil flottait l'image de Mme de Marelle rajustant en face de la glace les petits cheveux frisés de ses tempes, toujours défaits au sortir du lit.

Maupassant, Bel-Ami - Excipit (2)

Ce passage est extrait de l’excipit du roman Bel-Ami de Guy de Maupassant, qui est un roman réaliste paru en 1885. Il se déroule lors du mariage de Georges Duroy, surnommé Bel Ami, avec Suzanne Walter. Les voeux ont été prononcés et Georges Duroy est à genoux en train de prier au coté de sa jeune épouse. Puis, en allant rencontrer la foule venue célébrer le mariage de ce couple, Georges Duroy retrouve Mme de Marelle, son amante, et retombe amoureux d’elle. Enfin, il redescend les marches de l’église, sa femme à son bras.

Tout au long du roman, Georges Duroy réussit à gravir les échelons de la société et à se sortir de l’embarras à l’aide de ses conquêtes amoureuses et de ses atouts de séducteur. Or, auprès de ces femmes qui lui ont permis de quitter son statut de « mauvais sujet des romans populaires », a-t-il réellement atteint la place qui le satisfait ? Tout d’abord, l’analyse des sentiments du personnage principal montre qu’il a réussi à réaliser son ascension sociale par le biais cet ultime mariage. Ensuite, la description de ses retrouvailles avec Mme de Marelle, révèle un Georges Duroy qui connait également l’amour. Mais, la situation finale de cet extrait interroge le lecteur sur la durabilité de ces réussites.

I. L’homme qui a réussi socialement grâce aux femmes

a) Georges Duroy à un sentiment de puissance, il a réussi à sortir de la masse

On a un sentiment de réussite, de satisfaction, d’euphorie: « affolé de joie » (l. 5522) ; « Il sentait sur sa peau courir de longs frissons, ces frissons froids que donnent les immenses bonheurs. » (de la l.5547 à la l.5548) ; « il allait lentement, d’un pas calme, la tête haute. » (l. 5545)

Duroy est orgueilleux et égocentrique. « Georges, (…) se croyait un roi qu’un peuple venait acclamer » (l.5522) ; « Il ne voyait personne. Il ne pensait qu’à lui. » (de la l.5548 à la l.5549) ; « Lorsqu’il parvint sur le seuil, il aperçut la foule (…) venue là pour lui, pour lui Georges Du Roy. » (de la l. 5550 à la l. 5551). La comparaison « Georges (…) se croyait un roi » où le roi symbolise la puissance, la supériorité. Dans « Georges Du Roy », Duroy est désigné par son nom de famille avec une particule évoquant la noblesse. (Ce nom lui a été donné suite à son premier mariage avec madame Forestier, une autre femme).

L’accumulation insiste sur le fait que Duroy ne fait plus partie de la masse « la foule amassée, une foule noire, bruissante » (de la l. 5550 à la l.5551); « Le peuple de Paris le contemplait et l’enviait. » (l.5552) ; « D’autres personnes se poussaient. La foule coulait devant lui comme un fleuve. » (de la l. 5541 à l.5542) même si des indices trahissent ses origines « Il serrait des mains, balbutiait des mots qui ne signifiaient rien, saluait, répondait aux compliments : "Vous êtes bien aimables" » (de la l. 5523 à la l. 5525)

b) La Femme, à l’origine de son ascension sociale, est divinisée et remerciée par Georges Duroy

« Bel-Ami, à genoux à côté de Suzanne, avait baissé le front. Il se sentait en ce moment presque croyant, presque religieux, plein de reconnaissance pour la divinité qui l’avait ainsi favorisé, qui le traitait avec ces égards. Et sans savoir au juste à qui il s’adressait, il la remerciait de son succès. » (de la l. 5515 à la l. 5519): Duroy est « Bel-ami », surnom qui renvoie à son côté séducteur et plaisant pour les femmes. Groupe nominal « la divinité » et pronom « la » de genre féminin. « sans savoir au juste à qui il s’adressait » : pas une femme en particulier mais toutes les femmes côtoyées.

c) Sa femme Suzanne n’est qu’un moyen d’accéder au statut social désiré

« Bel-Ami, à genoux à côté de Suzanne » (l. 5515) ; « Lorsque l’office fut terminé, il se redressa, et donnant le bras à sa femme, il passa dans la sacristie » (de la l. 5520 à la l. 5521) ; « Georges reprit le bras de Suzanne pour retraverser l’église » (l.5543). Une fois l’office terminé, « il se redressa » pour donner le bras à sa femme alors qu’à genoux, reconnaissant, elle se tenait à son côté sans qu’il sache à qui adresser sa reconnaissance.

Il est ce Bel-Ami, elle est celle qui lui permet d’appliquer le précepte de M. Forestier qui annonçait au début de l’oeuvre : « C’est encore par elles qu’on arrive le plus vite » (l. 480). Sa femme Suzanne n’est mentionnée que trois fois par le narrateur, aux moments où Duroy change le lieu. Elle lui permet d’évoluer dans ce nouveau monde qui est le sien mais n’existe pas autrement. Elle a un rôle de figuration.

II. L’homme sentimentalement satisfait

a) L’objet des désirs de Duroy est Mme de Marelle

« Soudain il aperçut Mme de Marelle; et le souvenir de tous les baisers qu’il lui avait donnés, de ses gentillesses, du son de sa voix, du goût de ses lèvres, lui fit passer dans le sang le désir brusque de la reprendre. Elle était jolie, élégante, avec son air gamin et ses yeux vifs. Georges pensait : « Quelle charmante maîtresse, tout de même » (de la l.5526 à la l.5531). « Leurs yeux se rencontrèrent , souriants, brillants, pleins d’amour. » (l. 5537). On a une accumulation de paroles qui renvoie au champs lexical des sens : les baisers et les gentillesses (toucher) , le son de sa voix (ouïe), le goût des lèvres (goût), il aperçut Mme de Marelle, jolie, élégante, air gamin, yeux vifs (vue). Mme de Marelle réveille tous les sens de Duroy et lui rappelle des souvenirs heureux.

b) Il y a un jeu d’alternance entre les 2 personnes, Mme de Marelle existe pleinement

De la ligne 5532 à la ligne 5535, on alterne entre les pronoms personnels « il » et « elle ». Ils sont tous les deux au même niveau et agissent comme un duo: « Elle murmura de sa voix gracieuse : "À bientôt monsieur". Il répondit gaiement : "À bientôt madame" » (de la l. 5538 à la l. 5539).

c) Mme de Marelle est et a toujours été la femme qu’il aime tout au long de l’œuvre

«  "Je t’aime, je suis toujours à toi" » (l.5536),  « Alors il sentit l’appel discret de ses doigts de femme, la douce pression qui pardonne et qui reprend. » (de la l.5533 à la l.5535)

III. Peut-il concilier ces deux réussites alors qu’elles ne sont pas incarnées par la même femme ?

a) Une nouvelle ambition se dessine

« Puis, relevant les yeux , il découvrit là-bas, derrière la place de la Concorde, la Chambre des députés. » (de la l. 5553 à la l. 5554), « Et il lui sembla qu’il allait faire un bond du portique de la Madeleine au portique du Palais-Bourbon. » (de la l. 5554 à la l. 5555): ces métonymies laissent comprendre qu’après ce mariage, Georges Duroy projette de devenir député pour voir toujours plus haut.

b) La relation amoureuse entre Duroy et Mme de Marelle n’est pas terminée

« le désir brusque de la reprendre » (l. 5529), « Elle (…) lui tendit la main. Il la reçut dans la sienne et la garda. » (l. 5533), « A bientôt » (l. 5538 et l. 5539)

c) Un choix qui conditionne sa réussite future

« Il allait lentement, d’un pas calme, la tête haute, les yeux fixés sur la grande baie ensoleillée de la porte. » (de la l. 5545 à la l. 5546). « Il descendit avec lenteur les marches du haut perron entre deux haies de spectateurs. Mais il ne les voyait point. Sa pensée maintenant revenait en arrière, et devant ses yeux éblouis par l’éclatant soleil flottait l’image de Mme de Marelle rajustant en face de la glace les petits cheveux frisés de ses tempes, toujours défaits au sortir du lit. » (de la l. 5557 à la l. 5561). La lumière est présente dans les deux derniers paragraphes de l’oeuvre. Dans sa première évocation, elle symbolise l’objectif à atteindre. Dans le dernier paragraphe, la lumière est incarnée par Mme de Marelle et elle est aveuglante.

« (…) les yeux fixés sur la grande baie ensoleillée de la porte. » (de la l. 5546), « (…) ses yeux éblouis par l’éclatant soleil flottait l’image de Mme de Marelle (…)» (l. 5561): Duroy a dans l’avant dernier paragraphe, une démarche sereine et haute, le regard porté vers un avenir lumineux derrière une porte (allégorie du nouveau monde). Dans le dernier paragraphe, « il descendit » , « entre deux haies de spectateurs (qu’il) ne voyait point. Sa pensée revenait maintenant en arrière ». Il ne réalise pas qu’il descend et revient en arrière s’il fait le choix de renouer une relation avec Mme de Marelle. Ces paroles ont une connotation péjorative et symbolisent le déclin.

Conclusion

Tout au long de l’œuvre, les femmes ont toujours aidé Georges Duroy à se réaliser, socialement et sentimentalement. Son dernier mariage, lui permet d’évoluer en dehors de la masse et lui offre un nouvel objectif, devenir député. Or, son désir de renouer une relation avec une autre femme, Mme de Marelle, semble menacer cette possibilité d’avenir qui repose uniquement sur sa capacité à enjôler son entourage.

Sans aucune autre ambition que celle de satisfaire ses propres désirs, il ne se soumet à aucune morale et rappelle ainsi les personnages célèbres du réalisme comme Madame Bovary de Flaubert. Ce roman ancré dans la vie parisienne à la fin du 19ème siècle dénonce un monde où l’arrivisme, la flatterie et la duperie deviennent des vertus.