Stendhal, Le Rouge et le Noir - Livre II, chapitre 2: Rencontre Mlle de La Mole

Correction d'un commentaire linéaire par un professeur de Français.

Dernière mise à jour : 11/09/2022 • Proposé par: danaedd (élève)

Texte étudié

Un joli jeune homme, avec des moustaches, très pâle et très élancé, entra vers les six heures et demie ; il avait une tête fort petite.

— Vous vous ferez toujours attendre, dit la marquise, à laquelle il baisait la main.

Julien comprit que c’était le comte de La Mole. Il le trouva charmant dès le premier abord.

Est-il possible, se dit-il, que ce soit là l’homme dont les plaisanteries offensantes doivent me chasser de cette maison !

À force d’examiner le comte Norbert, Julien remarqua qu’il était en bottes et en éperons ; et moi je dois être en souliers, apparemment comme inférieur. On se mit à table. Julien entendit la marquise qui disait un mot sévère, en élevant un peu la voix. Presque en même temps il aperçut une jeune personne, extrêmement blonde et fort bien faite, qui vint s’asseoir vis-à-vis de lui. Elle ne lui plut point ; cependant en la regardant attentivement, il pensa qu’il n’avait jamais vu des yeux aussi beaux ; mais ils annonçaient une grande froideur d’âme. Par la suite, Julien trouva qu’ils avaient l’expression de l’ennui qui examine, mais qui se souvient de l’obligation d’être imposant. Mme de Rênal avait cependant de bien beaux yeux, se disait-il, le monde lui en faisait compliment ; mais ils n’avaient rien de commun avec ceux-ci. Julien n’avait pas assez d’usage pour distinguer que c’était du feu de la saillie que brillaient de temps en temps les yeux de Mlle Mathilde, c’est ainsi qu’il l’entendit nommer.

Quand les yeux de Mme de Rênal s’animaient, c’était du feu des passions, ou par l’effet d’une indignation généreuse au récit de quelque action méchante. Vers la fin du repas, Julien trouva un mot pour exprimer le genre de beauté des yeux de Mlle de La Mole : Ils sont scintillants, se dit-il. Du reste, elle ressemblait cruellement à sa mère, qui lui déplaisait de plus en plus, et il cessa de la regarder. En revanche, le comte Norbert lui semblait admirable de tous points. Julien était tellement séduit, qu’il n’eut pas l’idée d’en être jaloux et de le haïr, parce qu’il était plus riche et plus noble que lui.

Stendhal, Le Rouge et le Noir - Livre II, chapitre 2

Le Rouge et le Noir est un long roman d’apprentissage publié en 1830 par Stendhal, ancien officier de Napoléon. Ce roman réaliste raconte l’ascension du jeune Julien Sorel, fils de charpentier de Franche-Comté, qui s’élève dans la haute société grâce à son intelligence ambitieuse, sa beauté juvénile, et son « âme frénétique ». Cette « Chronique du XIXe » dresse un tableau social et politique d’une société déchirée entre monarchisme et libéralisme.

Problématique: comment, dans ce passage, l'auteur s'amuse avec le thème littéraire de la rencontre amoureuse ?

Analyse linéaire en trois mouvements:
- 1er mouvement: De « On se mit à table » à « une grande froideur d’âme »
- 2ème mouvement: De « Par la suite » à « quelque action méchante »
- 2ème mouvement: De « Vers la fin du repas » à « plus noble que lui »

I. Premier mouvement


(De « On se mit à table » à « une grande froideur d’âme »)

Le passage s'ouvre sur le pronom « On », impersonnel, qui désigne toute la tablée, le marquis, son épouse, leurs deux enfants et Julien. Mais dès la deuxième phrase, c'est le point de vue interne de Julien qui domine, grâce au verbe de perception « entendit ». Julien, qui comprend mal encore les codes de la société dans laquelle il vient d'être intégré, semble assimiler la marquise à une mère grondant un enfant ; en effet, il utilise les adjectifs « sévère » et le gérondif complément circonstanciel de manière « en élevant un peu la voix ». On ne sait si la marquise s'adresse à un domestique ou à sa fille, mais cette dernière, de manière assez symbolique, fait son apparition sur ce ton orageux, comme le prouve la locution temporelle complément circonstanciel de temps « Presque en même temps », la découverte de Mathilde se fait donc dans un cadre peu propice au coup de foudre.

C'est toujours le point de vue interne de Julien qui domine (« il aperçut »), comme dans tout le reste de la scène d'ailleurs. La découverte est d'abord physique ; la périphrase « une jeune personne » décrit Mathilde par son âge, tandis que les deux expansions du nom « extrêmement blonde et fort bien faite » la présentent au moyen d'adjectifs mélioratifs accentués par des adverbes d'intensité. Mathilde s'assied en face de lui, ce qui permet à Julien de l'observer à loisir; mais cette position met aussi en valeur leur égalité symbolique, Mathilde fonctionnant

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