En littérature, le topos de la 1ère rencontre et du coup de foudre sont fréquemment repris par les auteurs de différents courants littéraires. Par exemple, chez Mlle de Scudéry, dans son roman fleuve le Grand Cyrus, œuvre qui a elle-même influencée Mme de Lafayette qui reprend ce topos dans ses romans la Princesse de Clèves et la Princesse de Montpensier. On retrouve aussi la scène de la première rencontre et du coup de foudre amoureux dans la pièce de théâtre Roméo et Juliette de William Shakespeare.
Cet extrait provient du roman d'initiation Le Lys dans la vallée d'Honoré de Balzac, publié en 1835. L'auteur va donc raconter ici une scène de première rencontre et un coup de foudre, cependant non réciproque. Bien que Balzac soit un auteur plutôt réaliste, on voit très nettement des influences romantiques dans ce passage. Nous allons donc suivre ici Félix de Vandenesse, un jeune adolescent inexpérimenté qui va s'éprendre d'une comtesse lors d'un bal mondain. Comment cette scène pathétique révèle-t-elle la folie de l'amour ? Nous verrons tout d'abord que la comtesse est décrite comme une femme exceptionnelle ; puis que Félix est un enfant pathétique et fou d'amour.
I. La comtesse de Morsauf, une femme exceptionnelle
Le narrateur lui brosse un portrait mélioratif. En effet, des l. 8 à 22, la comtesse est présentée comme d'une incroyable beauté. C'est une femme attirante dès les premiers instants grâce à son « parfum » l.8. Elle « brill(e) » l.9 et suscite l'intérêt du narrateur immédiatement puisqu'il y a l'adverbe « aussitôt » l.8. Une énumération ternaire de propositions indépendantes des lignes 12 à 14 souligne la beauté de son corps : « Mes yeux furent tout à coup frappés par de blanches épaules rebondies sur lesquelles j'ai voulu pouvoir me rouler, des épaules légèrement rosées qui semblaient rougir comme si elles se trouvaient nues pour la première fois, de pudiques épaules qui avaient une âme. » On peut également relever l. 14 et 15, une comparaison entre sa peau et la soie : « et dont la peau satinée éclatait à la lumière comme un tissu de soie. » Ce procédé nous montre que sa beauté est absolue dans les yeux du narrateur.
De plus, cette beauté est quasiment divine. A la ligne 9, il y a notamment une répétition du verbe « brilla » puis une métaphore filée de la lumière avec des termes comme « blanches » l.12 et « lumière » l.15. Aussi un comparatif de supériorité (« plus ébloui » l.10) peut nous faire penser que la princesse est un véritable ange tombé du ciel, on peut donc parler de registre sublime. En outre, la comtesse fait preuve d'une « sainte colère » l.28, elle a « une tête sublime couronnée d'un diadème » l.28 et « accepte les larmes du repentir » l.31 Ce champ lexical de la religion nous invite aussi à penser que cette femme est une sorte de divinité pour le narrateur. Enfin, elle « s'en (va) par un mouvement de reine » l.31 qui met en lumière sa grande noblesse.
Nous avons vu ici que la comtesse de Morsauf est décrite comme un personnage hors norme, comparé à Félix qui sera présenté comme un véritable enfant pathétique.
II. Félix de Vandenesse, un enfant pathétique et fou d'amour
Balzac dresse un tableau pathétique de son personnage. Tout d'abord, cette scène de la première rencontre est narrée au point de vue interne. On suit donc les pensées de Félix qui, dès le départ, est pathétique. Il est « trop timide » l.1, « très grimaud » l.2, il « ne (sait) que faire de sa personne », il « (craint) […] de brouiller les figures » et enfin se « réfugi(e) dans un coin » l.5. Ce champ lexical de la gaucherie ou de la maladresse permet au lecteur de constater que Félix est encore un enfant dans son esprit et qu'il n'arrive pas à entrer dans le monde des adultes et de la cour. De plus, il relate une anecdote peu intéressante l. 2 à 4, comme un enfant qui écrit chaque détail, même insignifiant, de sa vie dans son journal intime : « Au moment où je souffrais du malaise causé par le piétinement auquel nous oblige une foule, un officier marcha sur mes pieds gonflés autant par la compression du cuir que par la chaleur. » La comtesse le prend elle-même pour un enfant : « Trompée par ma chétive apparence, une femme me prit pour un enfant ». Félix est aussi décrit dans l'énumération ternaire : « les yeux fixes, immobile et boudeur ». Il n'a alors aucun intérêt pour ce bal dont il ne maîtrise pas les codes. A la fin de l'extrait, le retour à la réalité est brutal et Félix se rend compte de son attitude ridicule : « Je sentis alors le ridicule de ma position ; alors seulement je compris que j'étais fagoté comme un Savoyard. J'eus honte de moi. » l. 31 à 33. Enfin quand il se jette sur la comtesse, Félix peut nous faire penser au personnage de Lennie dans Des souris et des hommes de Steinbeck. En effet, presque un siècle plus tard, Steinbeck nous décrira un homme encore enfant dans sa tête, assez fou qui est donc Lennie et qui tuera une femme en la serrant trop fort. Il l'a tue sans le vouloir car sa folie (amoureuse) et sa force sont incontrôlables. On peut aussi rapprocher ce personnage de Félix grâce à la remarque : « je l'aurais tuée peut-être » l.26. De plus, des lignes 25 à 27, Balzac fait preuve d'ironie car il se moque de son personnage pathétique et de ses sentiments exacerbés : « ''Monsieur ?'' Ah ! si elle avait dit : ''Mon petit bonhomme, qu'est ce qui vous prend donc ?'' je l'aurais tuée peut-être mais à ce monsieur ! des larmes chaudes jaillissent de mes yeux. »
De surcroît, cet extrait relate la folie amoureuse. Pour commencer, on peut remarquer des influences romantiques dans cette œuvre et d'autant plus dans ce passage lyrique, dans lequel le narrateur exprime la puissance de ses sentiments. Des hyperboles aux lignes 20, 22 et 31 mettent en exergue la folie de cet amour qui lui procure des « jouissances infinies » l.20, « des adorations infinies » l.31 et qui lui « (fait) perdre l'esprit » l.22. Le regard de Félix ne peut se détacher de cette femme dont il s'est épris puisque les termes « yeux » et « regard » sont répétés à plusieurs reprises. Le verbe « sourdirent » l.11 met aussi en relief l'effusion des sentiments qui jaillissent et deviennent vite incontrôlables. En effet, au point culminant de son désir et de son extase (« jouissances infinies »), le personnage est hors de lui-même ; il ne contrôle pas ses actions et ne résiste pas au désir brûlant de prendre la comtesse dans ses bras. Dans sa « frénésie » l.30, il a perdu la raison et s'est laissé dépasser par ses sentiments. Ainsi, on peut parler d'ironie tragique car, en se rapprochant physiquement de la comtesse, il s'éloigne de son esprit et baisse grandement dans son estime.
Conclusion
Somme toute, cette scène pathétique a un dénouement malheureux pour Félix qui est en larme et qui se retrouve seul et honteux face à cet amour qu'il n'a pas pu cacher. On voit donc ici que la folie de l'amour peut être destructrice et dangereuse et qu'elle dépasse la raison et le bon sens des personnages qui en sont victimes.
Dans la Princesse de Clèves, Mme de Lafayette reprend ce topos de la première rencontre amoureuse et du coup de foudre au bal. Contrairement à Balzac, l'auteure décrit une attirance réciproque entre la princesse et le duc de Nemours. Cependant, bien que la rencontre soit réussie, la suite sera inenvisageable pour la princesse qui est déjà mariée à M. de Clèves. Les deux personnages devront donc étouffer leur passion et la cacher aux yeux de la société.