Après un premier échec social à Paris, Lucien Chardon, qui n’a pas encore pu reprendre le nom de jeune fille de sa mère, de Rubempré, décide de se suicider. Il rencontre le carrosse d’un diplomate espagnol, l’abbé Carlos Herrera, qui lui livre quelques conseils pour se faire une situation.
I. Questions d’observation
Etudiez les modes et leurs valeurs dans le premier paragraphe.
On trouve trois modes dans cette première intervention de l’abbé. l’indicatif prend ici sa valeur de constat d’une réalité. L’abbé montre là la parfaite connaissance qu’il a de la société et de son mode de fonctionnement : " Votre société n’adore plus le vrai Dieu... "
On trouve ensuite de l’impératif : " soyez chasseur ". Il prend ici une valeur injonctive. L’abbé donne un conseil qu’il souhaite voir appliquer.
Enfin, on trouve de l’infinitif : " Se donner un but éclatant ". Il a également une valeur injonctif, mais elle est plus atténuée, puisqu’il s’agit en fait d’une consigne à respecter, d’une méthode à appliquer. Plus impersonnelle, cette injonction devient universelle.
Relevez une métaphore filée et étudiez-la.
L’abbé utilise la métaphore filée du chasseur, qui s’appuie sur le champ lexical de la chasse: " soyez chasseur, mettez-vous à l’affût, embusquez-vous dans le monde parisien, attendez une proie ou un hasard ". Cette métaphore, par les connotations de cette activité, fait ressortir la notion de virilité, qui manque peut-être à Lucien. Elle permet surtout d’exprimer la forte violence des rapports sociaux. Elle appuie enfin la démonstration de l’abbé sur la nécessité de se cacher, de mentir.
Identifiez et étudiez les valeurs du présent et du pronom personnel dans le dernier paragraphe.
Le présent a d’abord une valeur d’habitude : " Comment vous conduisez-vous à la bouillotte ? ". Le pronom désigne alors pleinement l’interlocuteur. La suite est plus ambiguë : la valeur itérative et personnelle est toujours présente, mais le présent a aussi une valeur de vérité générale. De même, le pronom a peut-être une valeur plus générale, plus universelle. L’abbé part de l’anecdote pour arriver à la loi générale
II. Questions d’analyse
Vous étudierez le personnage de l’abbé.
L’abbé est un personnage étonnant. Son discours commence en effet comme un discours religieux, dénonçant les abus d’une société à laquelle il se sent étranger : " Votre société n’adore plus le vrai Dieu, mais le Veau d’or ". Cependant le sermon s’arrête là, car le prêtre va adopter un discours beaucoup plus machiavélique sur la réussite sociale : " il faut tout oser pour tout avoir ".
De ce fait, il exalte dans son discours des pratiques contraires à la religion chrétienne, qu’il érige même en commandement : " observez la loi suprême ! Le secret ". Il recommande, pour étayer cette hypocrisie sociale, une violence, d’autant plus dangereuse qu’elle est secrète : " Soyez chasseur ". Tout cela fait donc de lui un personnage étonnant, courant cependant dans les romans d’aventures, celui du haut dignitaire de l’Eglise, plus homme d’Etat qu’ecclésiastique. On peut penser au personnage de Richelieu, dans Les Trois mousquetaires, de Dumas.
Ses relations avec Lucien sont également ambiguës. Il se comporte avec lui en initiateur, puisqu’il lui révèle le mode de fonctionnement de la société du Veau d’or. En un sens, il lui ouvre les yeux. Mais, il est surtout protecteur, puisqu’il lui prodigue des conseils pour lui permettre de réussir.
Toutefois, certains gestes peuvent révéler une autre facette de son âtre : il prend la main de Lucien, il fait allusion à sa belle tête. Tout cela peut passer pour une relation paternaliste, mais Balzac suggère ainsi ce qui sera évident dans Splendeurs et Misères des courtisanes, à savoir l’ambiguïté homosexuelle de cette relation.
Dans quelle mesure peut-on dire que l’abbé livre ici un travail d’argumentation
On remarque tout d’abord une forte disproportion du dialogue. L’abbé domine. Il cherche à convaincre Lucien de la nécessité de l’hypocrisie, et donc de la malhonnêteté, dans les rapports sociaux. Il lui donne même des conseils qui sont des ordres, il ne lui laisse donc pas le choix.
Ses propos " effraye(nt) " Lucien. L’abbé se reprend alors et convoque pour les légitimer des exemples historiques célèbres : les Médicis, Richelieu, Napoléon. La diversité des exemples permet d’établir une lignée des ambitieux, dont le dernier maillon devient Lucien : " Vous n’avez rien, vous êtes dans la situation des Médicis (...) ". Pour convaincre, il faut aussi flatter.
Enfin, pour asseoir définitivement sa thèse, l’abbé a recours à un exemple de la vie quotidienne, celle du jeu. Dès lors, l’hypocrisie pour la réussite devient une évidence, comme le prouve la question de rhétorique de la dernière phrase : " Que diriez-vous d’un joueur assez généreux pour prévenir les autres qu’il a brelan carré ? ". Dès lors, il efface aussi les connotations violentes de la métaphore de la chasse, qui ont effrayé Lucien, pour les remplacer par celles de la bouillotte, celles d’un jeu chic.