Ce roman d'Honoré de Balzac a été publié en 1835 : Le Lys dans la vallée est l'histoire d'un amour impossible entre Félix de Vandenesse, cadet d'une famille aristocratique, et Mme de Mortsauf, la vertueuse épouse du Comte de Mortsauf, un homme sombre et violent. Nous sommes au début du livre et le narrateur va nous décrire la demeure des Mortsauf qui est isolée du reste du monde.
En quoi cet extrait nous renvoie à travers la description du paysage l’image de la femme aimée ? Nous pourrons voir dans un premier temps la façon dont le paysage est décrit de manière réaliste mais néanmoins paradisiaque, puis comment ce passage est également un hymne à la femme.
I. Un paysage réaliste mais présenté comme paradisiaque
a) Le souci du réalisme
Tout d’abord, c’est bien la description du paysage qui nous est offert. Il s'agit d'un cheminement solitaire, une progression graduelle, une avancée pas à pas dans un paysage campagnard vers un lieu coupé du reste du monde, vers un écrin de verdure. On peut relever le champ lexical de la nature : « landes » l.4, « chemin » l.4, « vallée » l.1, « rivière », « vignobles » l.18. Le héros chemine d'un pas assuré dans la campagne tourangelle, avec des indications géographiques des lieux « l’Indre » l. 3, la mention des châteaux « castel ». L’adverbe de lieu « Là » à la ligne l.1 nous montre que le narrateur va nous décrire avec précision l’endroit. La description de la vallée « qui commence à Montbazon », des collines hérissées de châteaux forts et de donjons nous montre le souci du réalisme de la description chez Balzac (une cartographie détaillée, exactitude topographique, toponymique).
b) Le paysage, miroir de l’âme
Le paysage est un miroir de l’âme. La traversée des landes est elle-même ennuyeuse, assommante, une source d'abattement, (« l'ennui des landes » l.4) et donne un sentiment de lassitude psychologique mais aussi physique: « fatigue du chemin ». Mais il en est tout autre du point d'arrivée: la vallée est assimilée à « une magnifique coupe d'émeraude » l.3. (métaphore), au fond de laquelle serpente la rivière de l'Indre ; le narrateur est « saisi d'un étonnement voluptueux »l.4. La description initiale ménage un effet d'attente, de retardement, le lecteur est tenu en haleine. Le temps employé pour décrire la vallée est le présent d’énonciation « commence » l.1, « se roule » l.3.
c) Un lieu paradisiaque
Le décor est enchanteur par sa beauté et son ineffable douceur, un lieu très agréable, une sorte de paradis terrestre, un lieu à l'image du jardin d'Eden. L’adjectif mélioratif « magnifique » l.2 montre sa beauté. « Le soleil de midi faisait pétiller les ardoises », où jaillit la vie (la métaphore périphrastique « ce long ruban d'eau qui ruisselle au soleil », où domine la verdure - métaphore hyperbolisante « une magnifique coupe d'émeraude », « deux rives vertes »), les mouvements (« ces horizons estompés qui fuient en se contrariant », verbe de mouvement qui personnifie les chênaies – « les bois de chênes qui s'avancent entre les vignobles ») Cette nature luxuriante exerce une puissance d'attraction sur le narrateur, le transporte, l'hypnotise ; un paysage propice à la rêverie amoureuse, à la songerie romantique : ce vallon est un écrin, un refuge, le seuil de déclenchement de l'extase amoureuse...
Le choc euphorique de la reconnaissance va amener Félix à laisser libre cours à ses sentiments, à ses émotions.
II. La femme aimée, identifiée aux lieux décrits
a) Une description métaphorique
Ce paysage est une description métaphorique : un hymne à la beauté et à l'amour. En effet, les lieux sont transfigurés, reflet de la comtesse, l'image de la femme aimée. La métamorphose s'opère grâce à des métaphores filées qui assimilent la nature à la femme aimée : des éléments du décor rappellent des étoffes féminines (dentelle, ruban) ; transfiguration mise en évidence par les expressions hypocoristiques (« ma chère vallée »). La femme est totalement identifiée aux lieux décrits : « si cette femme, la fleur de son sexe, habite un lieu dans le monde, ce lieu le voici ! », « si vous voulez voir la nature belle et vierge comme une fiancée ». A travers une phrase interrogative et des subordonnées de condition, le narrateur interpelle le lecteur comme un témoin de la scène.
b) Une nature personnifiée
Nous avons également des isotopies lexicales de la nuptialité, de la virginité: le symbolisme du lys, synonyme de blancheur, de pureté, d'innocence et de virginité; fleur de l'amour intense, de l'amour irréalisé, sublimé... Les fleurs sont en général l'attribut de la personnification du printemps et symbolisent le caractère éphémère de la vie des hommes. La fleur de lys est omniprésente, de manière intrusive, dans les pensées du narrateur (titre éponyme du roman). La femme est un point de mire dans cette vallée verdoyante, dans ce paysage rayonnant: « sa robe de percale produisait le point blanc que je remarquai dans ses vignes » (représentation symbolique du coup de foudre, moment poétique, mis aussi thème romantique par excellence). La campagne est fertile, le noyer tient l'emploi de confident, de conseiller des aventures amoureuses du jeune narrateur, (« sous cet arbre confident de mes pensées ») ; chaque élément du décor joue le rôle d'une stimulation sensorielle ; les pensées envahissantes sont aimantées par la personne convoitée : « elle était [...] le lys de cette vallée où elle croissait pour le ciel ».
c) Un hymne
Ce passage est comme un hymne, un chant ou un poème lyrique qui célèbre la beauté d'une personne, la noblesse de ses sentiments, la vertu de son caractère. Tout comme la nature, la femme fait l'objet, elle aussi, d'une transfiguration : sa physionomie prend un éclat tout à fait particulier. Sa beauté rayonne, irradie tout le paysage décrit, par un éclairement subit. Elle remplit la vallée « du parfum de ses vertus » (association des sensations olfactives avec le caractère vertueux de la conduite morale). L'amour se retrouve dans le thème des saisons : l'automne, une saison sentimentale, est associé à la rupture, à la disparition, à l'amour qui s'efface (métaphore lyrique « si vous voulez calmer les plaies saignantes de votre cœur »), et le printemps à l'éclosion des amours, symbole de la renaissance (la métaphore aviaire « l'amour y bat des ailes à plein ciel »).
Conclusion
Ce passage présente donc à la fois un hymne au paysage et à la femme aimée. Les deux se confondent presque et renvoient l'un à l'autre. La femme y est idéalisée, placée sur un piédestal, comme une caryatide. Elle y est comme mythologique, comparable à Aphrodite ou à Vénus, dont l'attribut traditionnel est la fleur de lys. Le lys symbolise la pureté mais également la séduction, et nous rappelle d'ailleurs le mythe de Perséphone, fille de Zeus et Déméter : c'est en cueillant un lys que Perséphone est entraînée par Hadès dans le monde des enfers...