Langage : faculté humaine, mais aussi expression, manifestation de la pensée.
Renoncer : cesser d'envisager comme possible, abandonner.
Problème : Le langage est-il par nature pacifique ? Offre-t-il toujours une issue aux conflits qui peuvent opposer de manière brutale les individus ? N'est-il pas lui-même parfois source de violence ? A quelles conditions éloigne-t-il la violence ?
I. Le langage exclut la violence
a) Le fait même de s'adresser à autrui est déjà une invitation à la paix
Analyse de Lévinas sur la relation à autrui dans Ethique et infini « l’accès au visage est d’emblée éthique » : la découverte d'un simple visage nous met face à son dénuement et son extrême vulnérabilité, et constitue une expérience fondamentale qui nous saisit, ne serait-ce que fugitivement. De cette vulnérabilité nous nous sentons responsable, et il en découle une éthique « Le visage est ce qu’on ne peut tuer, ou du moins dont le sens consiste à dire : "tu ne tueras point". ».
b) Le langage dans la forme s'oppose à la violence
La violence repose sur la force, le langage sur l'argument, la première soumet, le second convainc. La première nie l'altérité, le second l'accueille.
De même certaines émotions ne parviennent pas à s'exprimer dans les mots - elles se manifestent sous forme d'actes violents contre les autres, les choses, ou soi-même. La violence commence ainsi où le langage s'arrête.
c) Le langage peut désamorcer la violence
Parce que le langage ouvre le dialogue là où la violence le rompt, il offre la possibilité de sortir de l'engrenage amorcé en ouvrant le champ de la compréhension mutuelle. En mettant des mots sur les émotions, le langage permet à chaque interlocuteur de mieux comprendre ses propres réactions.
La "métacommunication" (prendre la communication entre des protagonistes comme objet de discussion) permet d'aller vers une communication explicitée.
Objection :Le langage s'oppose à la manifestation de la violence. Et pourtant, la parole elle-même ne peut-elle pas être le vecteur d'une certaine violence ? Certains propos ne créent-ils pas certaines réactions violentes ?
II. Le langage peut être source de violence
a) Le langage n'est pas que diplomatie
Le mot « chien » peut mordre: certains mots sont en eux-mêmes violents - mots grossiers, insultants. Certains propos sont violents – incitation à la haine, insultes, humiliation, moqueries; etc. Certains silences de même sont violents. L'implicite, la suggestion, peuvent contenir en eux-mêmes de la violence.
Le langage peut renverser le rapport de domination naturelle - les faibles physiquement peuvent disposer d'une arme rationnelle tout aussi violente - sans le supprimer.
b) Quand dire c'est faire
Le langage n'est pas en effet exclusivement le lieu du symbolique, il peut être un acte en lui-même, et notamment un acte d'agression, de rejet, de discrimination.
On peut s'appuyer ici sur les analyses de John Austin, quand il décrit notamment « les énonciations performatives »: lorsque je dis « oui, je te prends pour épouse », il ne s’agit pas de décrire une chose, ou faire un reportage sur le mariage, mais il s’agit d’un acte. On ne décrit pas l’état des choses, mais on modifie l’état des choses et du monde; ici s’unir à jamais avec l’être aimé.
c) Certains mots engendrent la violence
Lorsqu'un propos est en lui-même violent, il engendre une réaction violente (on quitte le langage pour répondre à une agression verbale). Le langage peut aussi avoir pour fin la violence: la propagande nazie en est un exemple. Le langage est dès lors la première étape vers la violence
Objection : Le langage peut certes porter ou engendrer la violence. La question est dès lors de savoir à quelles conditions il peut rester au service de la résolution pacifique des conflits.
III. Le langage peut créer le cadre qui le préserve de la violence
a) Le droit condamne aussi la violence psychologique
Les propos violents et les incitations à la haine sont interdits par la loi, et le harcèlement moral est condamné. Le langage de haine peut engendrer la violence, mais bien contré, la violence s'arrête d'elle-même.
b) La culture contre l'animalité
La culture exige la maîtrise de certaines pulsions en leur donnant le moyen de s'exprimer de manière sublimée : l'art notamment est une forme de langage qui permet à la violence que ressent chacun d'être libérée sans heurter les aspirations humanistes. Hegel dit dans l'Esthétique « L'objectivation des sentiments a pour effet de leur enlever leur intensité et de nous les rendre extérieurs, plus ou moins étrangers »: l'art produit un effet d’adoucissement des passions , en diminuant l’intensité des passions et en les extériorisant.
c) Le langage donne du sens au renoncement à la violence
Malgré la difficulté qu'il peut y avoir à renoncer collectivement ou individuellement à la violence, c'est dans l'ordre du discours que ce renoncement prend sens à travers la réflexion morale, philosophique, juridique.