Baudelaire, Les Fleurs du mal - Élévation

Commentaire composé, entièrement rédigé, en trois parties.

Dernière mise à jour : 09/01/2022 • Proposé par: thib (élève)

Texte étudié

Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées,
Des montagnes, des bois, des nuages, des mers,
Par delà le soleil, par delà les éthers,
Par delà les confins des sphères étoilées,

Mon esprit, tu te meus avec agilité,
Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l’onde,
Tu sillonnes gaiement l’immensité profonde
Avec une indicible et mâle volupté.

Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides ;
Va te purifier dans l’air supérieur,
Et bois, comme une pure et divine liqueur,
Le feu clair qui remplit les espaces limpides.

Derrière les ennuis et les vastes chagrins
Qui chargent de leur poids l’existence brumeuse,
Heureux celui qui peut d’une aile vigoureuse
S’élancer vers les champs lumineux et sereins ;

Celui dont les pensers, comme des alouettes,
Vers les cieux le matin prennent un libre essor,
– Qui plane sur la vie, et comprend sans effort
Le langage des fleurs et des choses muettes !

Baudelaire, Les Fleurs du mal - Élévation

Baudelaire est un poète français du XIXe siècle, il se situe à la moitié du siècle de l’écriture entre le Parnasse et le Symbolisme, il n’appartient à aucun mouvement littéraire, il a son propre mouvement, le mouvement Baudelairien. Né à Paris le 9 avril 1821, il meurt dans la même ville le 31 août 1867. À l’âge de six ans son père décède et sa mère se remarie avec un militaire est un poète français. Il refuse cette union et sera toujours en opposition avec celui-ci aux valeurs très différentes des siennes. Suite à de mauvaises fréquentations, ses parents décident de l’envoyer en voyage en Inde d’où il ramènera pleins de souvenirs. Il va fréquenter des lieux de débauche qui vont l’influencer. Il essaye d’imaginer le reste de ses voyages à travers l’art. Il est influencé dans ses œuvres par la sensualité, les femmes et le vin, il crée son idéal poétique pour lutter contre le spleen. Il consacre sa vie à l’écriture, en particulier aux Fleurs du mal. En 1857, son livre est édité, mais Baudelaire doit enlever certains poèmes jugés immoraux. En 1861, il fait paraître une seconde édition où il ajoute d’autres poèmes. Avant sa mort, il publie les Petits poèmes en prose et les Paradis artificiels qui ont eu moins de succès que les Fleurs du mal. Baudelaire est influencé par le romantisme, attiré par l’art, il annonce le symbolisme à travers plusieurs aspects et crée sa propre poésie. L’auteur est entre le bien et le mal, il hésite constamment entre le spleen et l’idéal, le paradis et l’enfer.

Le poème « Élévation » est le troisième de la première partie du recueil Les Fleurs du mal, le spleen et l’idéal. Il se trouve entre « L’Albatros » et « Correspondances ». Il traduit l’envol, l’envie du poète de s’élever vers son idéal poétique, la pureté, l’esthétisme (le Parnasse). Le poète est prêt à tout pour l’atteindre, même à mourir pour se sortir du spleen, c’est-à-dire de la dépression, du dégoût de la vie, de l’idée noire. Le poème est composé de cinq quatrains en rimes embrassées et en alexandrins. Ce qui amène à se demander comment Baudelaire arrive à définir son idéal poétique. Tout d’abord on va voir que Baudelaire définit son idéal poétique par la représentation de l’élévation puis par la symbolique baudelairienne de ce poème et pour finir par la définition de la création poétique.

I. La représentation de l’élévation

La représentation de l’élévation du poète s’exprime par le vocabulaire de l’envol « envole-toi », « s’élancer vers », « essor » qui indique l’ascension du poète vers son idéal poétique. Les champs lexicaux du mouvement « au-dessus », « par-delà », « meus », « agilité », « sillonnes », « envole-toi », « va », « air supérieur », « s’élancer », « vers les cieux », « plane sur la vie » indique que le poème est en mouvement constant. Ce mouvement est représenté avec les impératifs de la troisième strophe, placés au début des vers pour donner la sensation d’une impulsion. Cet envol est aussi évoqué par l’allitération en [m] dans le troisième quatrains tels que « miasmes morbides », « comme », « limpides » qui indique la lourdeur du monde sur terre et par l’assonance de [eu] dans le quatrième quatrain comme « brumeuse », « heureux », « peut », « vigoureuse », « lumineux » qui montre une liaison des vers faite par le poète.

Le vocabulaire du début des vers avec la gradation des prépositions « Au-dessus » repris deux fois au premier vers et « Par-delà » repris trois fois indique un élargissement de l’horizon du paysage et l’élévation de Baudelaire. Les virgules dans l’énumération des vers sont comparées à des battements d’ailes, une comparaison à l’oiseau est faite par le poète « ailes vigoureuses ». Un paysage infini est décrit par l’auteur le pluriel employé laisse le lecteur imaginer un paysage immense qui est survolé. Les éléments sont nommés par Baudelaire, on voit de l’eau (« des étangs », « des mers »), la terre (« des vallées », « des montagnes », « des bois ») et le feu (« le feu clair », « le soleil ») aident le lecteur à dessiner ce paysage en mouvement vu du ciel. Ce paysage est profond car il s’élève vers le haut « le soleil », mais aussi vers le bas « immensité profonde ». L’impératif « envole-toi » donne de l’élan à son ascension et l’apostrophe « mon esprit » pousse l’esprit à s’élever.

La montée du poète vers son idéal est progressive puisqu’au début il y a une énumération des virgules c’est-à-dire que le poète plane puis un ralentissement des virgules montre que le poète s’approche de son idéal, du point le plus haut « les confins des sphères étoilées ». Les virgules sont pratiquement absentes dans la seconde strophe qui montre un déplacement aisé, sans accros. Les adjectifs d’élévation entraînent l’impression de bien-être, de confort de liberté représenté par le « libre essor ». Le glissement de cette ascension est exprimé par les allitérations en [s] tels que « penser », « cieux », « essor », « sans ». C’est un paysage qui au début exprime la réalité de la Terre et qui s’éloigne progressivement de cette réalité qui devient merveilleuse. Le plaisir et la joie ressentis par l’esprit de Baudelaire se prouvent par « avec une indicible et mâle volupté » et par « gaiement », « se pâmes ».

II. La symbolique baudelairienne

La symbolique baudelairienne à travers l’envol exprime l’idéal, le bien être total du poète. Le vocabulaire de la volupté et du plaisir des sens exprime cette sensation de bien-être par le nom « volupté », les compléments de manière « avec agilité » « gaiement », qui indiquent l’aisance, le confort, l’absence de contrainte, d’accros « un libre essor ». L’absence de virgules dans la seconde strophe exprime cette sérénité, cette sensation de confort, de bien-être total. Les sensations sont privilégiées par Baudelaire par l’emploi de « qui se pâme » avec une certaine sérénité qui laisse penser au plaisir, à une vive émotion et aussi la comparaison au nageur « qui sillonne » renforce cette idée de mouvement sans obstacle, de légèreté, de flottaison dans son esprit idéalisée. Le spleen est pourtant évoqué et lutte contre l’idéal, il est une menace pour Baudelaire qui veut s’en évader. Il est présent à travers plusieurs images négatives telles que « les miasmes morbides » ou encore « les ennuis et les vastes chagrins » avec l’assonance en [i] qui rend l’allusion du désagréable, de la plainte.

La lourdeur du spleen sur l’auteur est exprimée avec l’image du « poids de l’existence brumeuse ». Ce qui crée une certaine dualité entre le spleen et l’idéal car Baudelaire montre combien il est difficile d’atteindre son idéal. On observe une opposition constante entre le spleen et l’idéal à travers la matière (« miasmes ») et l’esprit (« esprit », « indicible »), l’ombre (« bois », « montagne », « nuage ») et la clarté (« soleil », « éthers », « lumineux », « feu clair »…), le désespoir (« ennuis », « vaste chagrins ») et l’espoir, le plaisir (« sereins », « heureux », « gaiement », « mâle volupté »), l’impureté (« chargent de leur poids ») et la pureté (« purifier », « pure et divine », « immensité », « profonde »). L’expression « Heureux celui qui peut » laisse penser que c’est un désir, mais qu’on n’y arrive pas toujours. La comparaison aux alouettes peut aussi évoquer l’oiseau qui exprime l’envol, mais aussi l’expression « miroir aux alouettes » qui symbolise le mirage, une tromperie qui rend l’envol si difficile, voire impossible.

L’éloignement avec le monde terrestre, le spleen et le monde aérien montre la hauteur de l’idéal, Baudelaire arrive à se purifier et à se libérer des contraintes terrestres pour accéder au bonheur grâce à l’écriture poétique.

III. La définition de la création poétique

La définition de la création poétique du poète est exprimée par la spiritualité. Il s’agit d’un envol, d’un voyage spirituel puisqu’il se dédouble afin de parler à son esprit de l’idéal, par l’utilisation du déterminant « mon », au début du second quatrain (« mon esprit »). Le champ lexical de la spiritualité est utilisé par le poète « mon esprit », « les pensés », « comprend », l’altitude amplifie l’intelligence du poète, son rapport avec ce monde de purification. Il s’agit du voyage intellectuel de Baudelaire qui doit s’élever au-dessus du commun des mortels, loin des problèmes terrestres, les « miasmes morbides », afin de se purifier. La purification est utilisée par l’adjectif « pure » dans « pure et divine liqueur », mais aussi à travers « le feu clair ». L’auteur décrit un monde supérieur réservé à la divinité, aux dieux « l’air supérieur » représenté par l’au-delà et la « divine liqueur » qui fait penser au nectar et la nourriture des dieux.

L’idéal du poète est représenté par « les espaces limpides », le lieu où la création est à un niveau élevé, mais paraît réservée aux bienheureux. Le poète a une mission intellectuelle de « penser » et de l’esprit donc de l’intelligence. Les deux derniers vers résument l’idéal poétique de la création de Baudelaire qui permettent de comprendre « le langage des fleurs et des choses muettes ». Le mot « comprend » est utilisé pour exprimer la signification de chaque élément, de saisir le sens, de concevoir quelque chose par l’esprit. Les choses muettes deviennent évidentes quand le poète les décrit, c’est une ouverture sur le poème suivant « Correspondances » qui désigne les rapports entre le monde matériel et le monde spirituel. Ce poème permet de passer du monde des perceptions à celui des idées.

Conclusion

Pour conclure, dans le poème « Élévation », Baudelaire définit son idéal poétique par la représentation de l’élévation, d’un envol vers un monde infini et supérieur. Le poète s’élève vers son idéal, représenté comme un lieu de purification et de bien-être total, il lui permet de se libérer des contraintes terrestres grâce à la symbolique baudelairienne, mais la difficulté de l’envol, de l’atteinte de son idéal poétique est reflété par le spleen.

La définition de la création poétique est exprimée par un bonheur spirituel et physique de Baudelaire qui est tout-puissant, il imagine cet idéal puis il le rend réel au fur et à mesure du poème. L’auteur rêve d’une volupté spirituelle et d’un monde supérieur, d’un monde des idées où règnent des correspondances. Ce thème est développé dans le poème qui suit « Élévation », les « Correspondances ».