Baudelaire, Les Fleurs du mal - L'ennemi

Commentaire composé entièrement retranscrit d'une élève de première en voie générale. Note obtenu: 16/20.

Dernière mise à jour : 02/12/2021 • Proposé par: tamara59690 (élève)

Texte étudié

Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage,
Traversé çà et là par de brillants soleils ;
Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage,
Qu'il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.

Voilà que j'ai touché l'automne des idées,
Et qu'il faut employer la pelle et les râteaux
Pour rassembler à neuf les terres inondées,
Où l'eau creuse des trous grands comme des tombeaux.

Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve
Trouveront dans ce sol lavé comme une grève
Le mystique aliment qui ferait leur vigueur ?

- Ô douleur ! ô douleur ! Le Temps mange la vie,
Et l'obscur Ennemi qui nous ronge le cœur
Du sang que nous perdons croît et se fortifie !

Baudelaire, Les Fleurs du mal - L'ennemi

Charles Baudelaire, né à Paris en 1821 et mort en 1897, est un poète de la modernité, connu pour son grand recueil Les Fleurs du mal publié en 1857. Il expérimente en passant du romantisme, au mouvement parnassien, puis en insufflant le symbolisme. De même, il remet au goût du jour la forme oubliée du sonnet, et un des poèmes qui l’a rendu célèbre est «L’ennemi». Ce poème est divisé en deux quatrains suivis de deux tercets. Fondé sur un oxymore, Baudelaire y associe les fleurs, métaphore de la beauté, au mal, autrement dit; il lie l’idéal poétique au mal-être et pense qu’il faut extraire le mal de la poésie pour en cultiver quelque chose de bien.

Il nous présente la relation entre l’homme et le temps, mais avant tout entre le poète et le temps qui domine l’existence et l’esprit de celui-ci. Hésitant entre le spleen de l’instant présent, et l’idéal de moments passés et futurs, il évoque, avec un certain sentiment d’impuissance, l’effet oppressif du temps sur l’esprit du poète affamé d’inspiration. Nous allons voir comment ce poème est-il fondé sur un paradoxe. Tout d’abord, nous nous intéresserons au lyrisme élégiaque se dégageant du poème puis à la conception pessimiste que le poète confère au temps.

I. Un lyrisme élégiaque

Les deux premiers quatrains et le premier tercet nous présentent différentes étapes de la vie du poète : sa jeunesse, son présent et un futur incertain. Baudelaire utilise une longue métaphore filée, développée tout au long du poème et permettant la progression d’une strophe à l’autre.

Tout d’abord, on remarque directement un registre pathétique puissant dans ce poème, qui contribue à lui donner la tonalité d’une complainte. Le poète apparaît enfermé dans sa solitude: absence d’autres êtres, pas de communication. Baudelaire compare, dans la première strophe, sa jeunesse malheureuse qui est tout de même caractérisée par des moments de joie à un été tourmenté. Comme nous l’indique, les deux premiers vers fondés sur une opposition métaphorique: « Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage, traversé çà et là par de brillants soleils ». Nous pouvons également remarquer que ces deux vers sont liés aux deux vers qui suivent. La douleur physique rejoint avec violence la douleur morale à la fin du sonnet : « …nous ronge le coeur/Du sang que nous perdons…». Le poète en conclut par un bilan navrant (résultat d’une jeunesse orageuse). Il utilise en effet le passé composé qui montre que sa jeunesse tourmentée symbolisée par les désastres du temps a eu un impact sur le présent. L’expression « un tel ravage » renvoie à l’impuissance du poète à écrire des poèmes si bien qu’il ne reste que peu « de fruits vermeils » autrement dit ,de poèmes dans « son jardin » c’est-à-dire son âme de poète. Par conséquent, le poète nous donne ici une image très négative du temps qui a détruit toute sa production (poèmes).

Ensuite arrive « l’automne des idées » qui est déjà annoncé par la première strophe (été), le poète nous décrit ici son présent et évoque son manque d’inspiration du au « ravage » de son passé (« et voilà que ») et ces efforts pour retrouver l’illumination et le talent. En effet, le poète est comparé à un jardinier qui doit se racler le cerveau et chercher désespérément à faire fructifier ses talents. Comme nous le montre les vers 6 et 7, le jardin est en piètre état (« terres inondées ») à cause du « ravage « du temps et le poète doit utiliser pour cela « pelle » et « râteau » afin de retrouver l’inspiration. D’ailleurs, ces catastrophes du temps augurent la mort, comme le suggère la comparaison du vers 8 (« comme des tombeaux ») : la vie et l'inspiration du poète sont saccagées par le temps.

Enfin, Baudelaire nous présente, dans le premier tercet, des perspectives d’avenir (lueur d’espoir) symbolisées par une nouvelle saison, le printemps (symbole de résurrection de la nature), il espère donc une Renaissance. Il se demande si « les fleurs nouvelles » c'est-à-dire ces nouveaux poèmes trouveront « le mystique aliment qui ferait toute leur vigueur ». On peut remarquer l’utilisation du conditionnel, il pose là une hypothèse qui ne sera peut-être jamais validée. De plus, nous pouvons noter en passant l’oxymore « mystique aliment » mystique connote quelque chose d’irréel, de divin et par conséquent il pourrait s’agir d’un antidote inaccessible afin de retrouver et de croire en l’Idéal (inspiration).

En conclusion de cette première partie, le poème est consacré à l’évocation du souvenir : il relève du registre lyrique et élégiaque (le poète est atteint de spleen, car le temps ravage son esprit et l’empêche de trouver l’inspiration). D’ailleurs, le dernier tercet reprend cette idée mais elle y est encore plus marquée et accentuée.

II. Une conception du temps pessimiste

Aussi, analyserons-nous la conception pessimiste du temps se découlant du poème.

Tout d’abord, nous nous intéresserons au lien qui existe entre la première partie que nous venons d’étudier et la deuxième partie du poème (dernier tercet).

En effet, le dernier tercet est une chute qui met en place le sens du poème : Le poète est impuissant face au temps qui passe. Il utilise dans le vers 12 la ponctuation expressive et crie son désespoir, c’est presque comme une supplication « Ô douleur ! Ô douleur ! ». Cette expression montre par conséquent sa souffrance. En outre, le poète passe de l’exemple personnel à la généralisation (« nous ») et veut ainsi nous montrer que tout le monde est victime du temps qui passe et détruit nos vies. Ainsi il nous met en garde face à l’inéluctable et le poète en est la première victime.

Ensuite, le poète véhicule une vision exécrable, atroce et monstrueuse du temps en employant de violentes images: « mange / ronge/sang ». De plus, il le personnifie en utilisant le procédé de l’antonomase et des verbes comme « manger », « croître » « fortifier ». D’ailleurs, les deux derniers vers résument à eux seuls le poème c’est-à-dire l’impuissance de l’homme face à l’inexorable, l’utilisation de l’enjambement met en exergue cette faiblesse humaine. De ce fait, le Temps est ici vu comme un vampire qui se nourrit de nos vies et de celle du poète et peut être en lui, par l’anéantissement du « mystique aliment» toute possibilité d'inspiration nouvelle.

Enfin, nous pouvons remarquer, dans le dernier tercet, un jeu d’opposition. L’expression « obscur Ennemi » montre le fait que le Temps est invisible et que son action sur l’homme n’est pas visible si bien qu’il aura toujours raison de l’être humain ; il n’y a pas d’issue. En outre, le Temps sera toujours plus fort (« croître » « fortifier »), car il s’amplifie alors que l’homme ne cessera de s’affaiblir jusqu’à ce que le Temps l’emporte et emmène avec lui toute lueur d’espoir (« sang que nous perdons »). Par conséquent, Baudelaire insiste sur la faiblesse de l’homme et sa dégradation lié aux ravages du temps.

Conclusion

En conclusion, ce poème décrit, non seulement, le passé (souffrances subies), le présent et le futur incertain du poète. De plus ce poème est une plainte sur le Temps qui devient L’Ennemi redoutable de Baudelaire au fil du poème comme un vampire que l’homme doit redouter. En outre, Baudelaire, traite ainsi le thème du temps qui dégrade l’âme du poète et l’empêche de trouver l’inspiration. Or, il écrit un beau poème sur l’absence d’inspiration, d’où le fait que le poème est un paradoxe. Par conséquent, l’écriture d’un poème permet au poète de résister aux actions du temps en le transcendant, écrire est pour lui comme un remède.