Baudelaire, Les Fleurs du mal - Le soleil

Commentaire linéaire, corrigé d'un devoir sur table.

Dernière mise à jour : 05/06/2022 • Proposé par: marie (élève)

Texte étudié

Le long du vieux faubourg, où pendent aux masures
Les persiennes, abri des secrètes luxures,
Quand le soleil cruel frappe à traits redoublés
Sur la ville et les champs, sur les toits et les blés,
Je vais m’exercer seul à ma fantasque escrime,
Flairant dans tous les coins les hasards de la rime,
Trébuchant sur les mots comme sur les pavés,
Heurtant parfois des vers depuis long-temps rêvés.

Ce père nourricier, ennemi des chloroses,
Éveille dans les champs les vers comme les roses ;
Il fait s’évaporer les soucis vers le ciel,
Et remplit les cerveaux et les ruches de miel.
C’est lui qui rajeunit les porteurs de béquilles
Et les rend gais et doux comme des jeunes filles,
Et commande aux moissons de croître et de mûrir
Dans le cœur immortel qui toujours veut fleurir !

Quand, ainsi qu’un poète, il descend dans les villes,
Il ennoblit le sort des choses les plus viles,
Et s’introduit en roi, sans bruit et sans valets,
Dans tous les hôpitaux et dans tous les palais.

Baudelaire, Les Fleurs du mal - Le soleil

Charles Baudelaire choisit délibérément une vie de bohème. Sa famille, qui n'apprécie guère la vie dissolue du jeune homme, le pousse à embarquer en 1841 à bord d'un paquebot pour les Indes. Ce voyage devient une source d'inspiration pour Charles. Bien qu'il n'aille pas au terme de son voyage vers l'Inde, Charles Baudelaire en retire un grand nombre d'impressions dont il s'inspire dans ses poèmes (L'Albatros, Parfum exotique…)

« Le soleil » est issu du recueil Les Fleurs du Mal et est le deuxième poème de la deuxième section « Tableaux Parisiens ». Cette section assimile la ville moderne aux vices et à la misère, mais également à la rêverie, et à la possibilité d’une beauté nouvelle. Dans « Le soleil», Baudelaire évoque à travers l'astre les pouvoirs salvateurs de la poésie.

Problématique

Comment le soleil est-il d’abord représenté comme l’inspirateur du poète, avant de représenter les divins pouvoirs guérisseurs de la poésie ?

Lecture du texte

Ce passage se compose de 3 mouvements que sont les 3 strophes. Tout d’abord, les vers du poètes naissent de ses promenades au soleil. Ensuite, le poète fait l’éloge du soleil, guérisseur de tous les maux. Enfin, le poète est comparé au soleil.

I. Les vers du poète naissent de ses promenades au soleil

a) Un poète dans une ville et sous un soleil personnifiés (vers 1 à 5)

Le poème s’ouvre sur deux alexandrins dépeignant Paris. Il y a un champ lexical dépréciatif de la ville avec les mots « vieux », « masures ». La rime suivie « masures/luxures » souligne par ailleurs l’alliance de la misère et du vice dans la ville moderne. Le verbe “prendre” évoque la langueur et l'ennui de la ville étouffante. Il y a enfin un paradoxe avec la ville qui semble vide et pourtant qui est le lieu de “secrète luxure”.

Le “soleil” est personnifié par l’adjectif “cruel” qui fait de lui une puissance divine qui châtie les humains pour leurs vices (emploi du verbe “frapper”). L’anaphore en “sur” et le rythme binaire au vers 4 démontrent une punition universelle, qui touche campagne et ville. Au vers 5, le poète fait sa première apparition avec l'emploi du pronom “je”, qui se distingue comme un homme “seul

b) Les métaphores pour décrire l'activité du poète (vers 5 à 8)

« Ma fantasque escrime » est une périphrase qui désigne l’activité poétique. La métaphore entre le poète et un joueur d’escrime fait de la poésie une sorte de combat, une lutte contre le langage et la ville dépréciée. Le participe “flairant” est une animalisation méliorative du poète qui évoque sa curiosité. Le mot “flairant" peut nous faire voir également une métaphore filée entre le poète et un chiffonnier, qui ne déniche pas les affaires abandonnées mais “les hasards de la rime”. Le poète ne cherche pas ici les bonnes affaires, mais les mots pour écrire son poème.

L'activité poétique reste difficile: les “mots” sont des “pavés” sur lesquels le poète “trébuche” pour heurter des vers. Autre métaphore que l'on peut voir : le poète est comme un alchimiste qui cherche de l’or dans la boue en parcourant la ville moderne. La trouvaille poétique est par ailleurs précieuse comme l’exprime les deux adverbes “parfois” et “longtemps”.

II. Le poète fait l’éloge du soleil, guérisseur de tous les maux

a) Un soleil divin et guérisseur (vers 9 à 12)

Le “soleil” est encore une fois personnifié et divinisé par l'expression “ce père nourricier”. Le "soleil” est décrit comme guérisseur des maladies et autres faiblesses car il est “ennemi des chloroses”. Il “éveille” également, donc les pouvoirs du soleil ne se limitent pas à protéger de la mort mais aussi de donner la vie.

Les vers” et les“roses” sont mis au même niveau et donne un contraste entre la putréfaction et la beauté. Le soleil incarne ainsi l’alliance de l’horrible et du sublime en devenant la source de la poésie (on retrouve ici l’esthétique de Baudelaire et le projet des Fleurs du Mal). Les « roses » et les « chloroses » sont de même opposées malgré la rime riche et plate entre les deux. C’est l’opposition entre la beauté et la laideur.

Tel un dieu, il guérit des souffrances morales avec le vers 11. L’évaporation signifie la disparition mais aussi l’élévation comme dans le poème « Élévation », où le soleil abolit le spleen et porte vers l’idéal. Aux vers 11 et 12 le soleil est le sujet de tous les verbes; il est omniprésent.

b) Un soleil éternel et aux pouvoirs surnaturels (vers 13 à 16)

Il y a une antithèse entre “porteur de béquille” et “jeunes filles”: le soleil transforme la vieillesse en jeunesse comme l'alchimiste transforme la boue en or. L'assonance en “i” peut par ailleurs faire entendre les rire de la jeunesse. Le pouvoir du soleil permet de rajeunir les êtres mais également de pouvoir des les faire croître, comme l'atteste le champ lexical de la croissance avec les mots : « moissons », « croître », « mûrir » ou encore « fleurir ».

Le soleil est décrit comme éternel avec l’adjectif « immortel », l’adverbe temporel « toujours » et l’emploi du présent de vérité générale Le point d’exclamation concluant la strophe exprime l’emportement lyrique du poète qui perçoit le soleil comme une puissance définitivement supérieure.

III. Le poète est comparé au soleil

a) Le poète transforme comme le soleil (vers 17 et 18)

Le quatrain final commence par « ainsi qu’un poète », donc avec une comparaison directe entre le soleil et le poète. Poète est comme le soleil car il « descend dans les villes » et « ennoblit le sort des choses les plus viles ». Le poète fusionne les contraires : le beau et le laid ; le prestigieux et le misérable. Le quatrain se poursuit dans la dynamique descendante pour poursuivre le soleil-poète qui s’immisce dans la vie de la ville.

b) Le poète, souverain comme le soleil (vers 19 et 20)

Le poète est un souverain comme l’indique l’expression « s’introduit en roi » mais c’est un souverain immatériel, « sans bruits et sans valets » . Le poète est un justicier indifférent aux conditions sociales. Il pénètre dans des espaces antithétiques : les hôpitaux où meurent les miséreux et les palais où vivent les puissants. Le poète est un rayon de soleil, une divine lumière spirituelle qui soulage indifféremment tous les humains.

Conclusion

Le soleil est d’abord représenté comme l’inspirateur du poète avant de devenir une métaphore des pouvoirs de la poésie. Le poète est dans la première strophe ce misérable chiffonnier à la recherche de vers et de mots poétiques dans des rues misérables. Puis à la dernière strophe le poète est divinisé. Il guérit les maux du corps et de l’esprit. Le poète solaire est cet alchimiste qui transforme la boue du langage en or poétique.

Ouverture

Nous pouvons faire la comparaison entre ce poème et l’« Albatros » de Charles Baudelaire dans la même œuvre. Le poète aime s’identifier aux objets animaux et ici, astres qui l’entourent, en mettant en parallèle les points communs et les divergences qui le lient à ce dernier.