Baudelaire, Les Fleurs du mal - Harmonie du soir

Analyse linéaire pour l'oral du bac.

Dernière mise à jour : 04/05/2023 • Proposé par: Lou (élève)

Texte étudié

Voici venir les temps où vibrant sur sa tige
Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ;
Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir ;
Valse mélancolique et langoureux vertige !

Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ;
Le violon frémit comme un cœur qu'on afflige ;
Valse mélancolique et langoureux vertige !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.

Le violon frémit comme un cœur qu'on afflige,
Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir ;
Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige.

Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir,
Du passé lumineux recueille tout vestige !
Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige...
Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir !

Baudelaire, Les Fleurs du mal - Harmonie du soir

Baudelaire, poète de la modernité, publie son grand recueil Les Fleurs du mal en 1857. Il expérimente en passant du romantisme, au mouvement parnassien, puis en insufflant le symbolisme. De même, il remet au goût du jour la forme oubliée du sonnet, et popularise le poème en prose (Spleen de Paris, 1869). Il mène une vie de tourments et de difficultés dont l’angoisse se retrouve dans son concept central du Spleen (humeur dépressive). Selon Baudelaire, le spleen se définit comme un mal de vivre ou comme une angoisse existentielle.

Le poème « Harmonie du soir » se situe dans la section « Spleen et Idéal » du recueil Les Fleurs du mal. Il est en trente-troisième position. Le personnage central de ce sonnet en alexandrins est Jeanne Duval, l’amour le plus important de sa vie, et muse de nombreux poèmes. Il relate sa mort imaginée, son séjour au tombeau avec dureté et acrimonie. Il s'agit d'un faux pantoum: les rimes y sont embrasées, mais les derniers vers ne reprennent pas le premier. Par contre les vers 2 et 4 de chaque strophe sont repris dans les 1er et 3e vers des strophes qui suivent.

Problématique: comment le poème traduit-il la déception amoureuse de Baudelaire ?

I. L’explosion de sensations (Deux premières strophes)

Dans le vers 1, le ton est presque prophétique, présentatif. « Voici » et « Vibrant » donnent une idée de mouvement et de sonorité, comme un instrument à corde. L'enjambement au vers 2 avec « tige » donne une impression visuelle qui est complétée par « Évapore »: la différence de température du soir crée cette rosée du crépuscule. La comparaison « ainsi qu’encensoir » montre comme vers 1 la première illusion champ lexical religieux.

Dans le vers 3 les sensations apparaissent: « sons et parfums »: vibration des tiges et à l’encens qui brûle. L’univers est celui du titre: « l’air du soir ». On peut évoquer ici la théorie des correspondances de Baudelaire: le monde qui nous entoure, malgré son apparent désordre et son chaos, possède une profonde unité, et les sensations y semblent se fondre, fusionner entre elles. Dans le vers 4, la description des sensations avec « Valse » évoque à la fois la musique et la danse, « langoureux vertige » créé d'ailleurs une synesthésie car on emploie ici plusieurs sens.

Le vers 5 reprend le vers 2, comme le demande la forme du pantoum. L’annonce d’un quatrain plus triste, plus dans le Spleen, moins dans l’harmonie (Idéal). Dans le vers 6, la tonalité est plus pathétique « Le violon frémit comme un cœur qu’on afflige ». L'expression « violon frémit » donne un ton maladif, de même « cœur qu’on afflige » évoque le cœur douloureux. Le cœur s’exprime grâce au violon, d'où naît la mélancolie.

Le vers 7 reprend le vers 4. La valse est menée par le violon; cela crée l’image d’une danse qui tourne. Dans le vers 8 « ciel », et « reposoir » donnent de nouveau une atmosphère religieuse, quand en parallèle « triste et beau » décrivent le miroir de l’état-d’âme du poète, aussi de son travail de poète : l’inspiration dans la tristesse pour créer de la beauté. La comparaison « comme un grand reposoir » repose sur l’autel. Le ciel appelle à la fois la divinité, et le repos.

II. La mélancolie des sentiments (Deux dernières strophes)

Le vers 7 marque une nouvelle étape dans le registre pathétique, avec la la douleur sentimentale. La répétition de « cœur » au vers 10 insiste sur la cause de la souffrance, en qualifiant aussi le cœur: « tendre » et donc la tendresse, celle du cœur du poète, individu sensible par essence. Les émotions deviennent puissantes avec l’emploi du verbe « haïr » et « qui hait le néant vaste et noir! »: cela montre la progression du Spleen qui mange le cœur et l’entoure de noirceur.

Dans le vers 11, « Le ciel » marque une élévation qui ne va cependant pas entièrement vers l’Idéal, puisque la reprise du vers 8 mélange Idéal religieux et élevé « beau », « reposoir », et Spleen « triste ». Dans le vers 12, la métaphore indique un soleil couchant aux teintes rouges, qui ne parvient pas à chasser l’obscurité. Le sang confère un aspect violent, déchirant au moment, qui semble durer éternellement : « se fige ».– Ici, le Spleen gagne, et le poète s’enfonce dans la mélancolie.

La dernière strophe donne l’explication à l’origine du poème. Elle débute par le deuxième vers de la précédente (une nouvelle fois, la forme du pantoum) en mettant le cœur, le sentiment au centre du propos: « Un cœur », « hait ». Cette tendresse invite à la nostalgie: « Du passé lumineux recueille tout vestige! ». Ici encore, Idéal et Spleen alternent « passé lumineux » et « vestige ». Il s'agit d'une antithèse entre un passé heureux et un présent cassé, détruit.

Conclusion

Le premier mouvement du poème s’attache à décrire les sensations de l’auteur à l’approche de la nuit. La première strophe les expose à travers un début de synesthésie avec la vision, l’ouïe et l’odorat. Peu à peu, nous glissons vers les émotions et les sentiments, qui sont le sujet du deuxième mouvement avec la montée du registre pathétique. Baudelaire exprime son vague-à-l’âme face à la séparation amoureuse qu’il subit.

Il oscille entre Idéal et Spleen, entre contemplation de l’atmosphère d’un début de soirée et souvenir de moments heureux, et la tristesse de la rupture, la solitude. L’évocation mélancolique et nostalgique de sa rupture avec Apollonie Sabatier se fait de manière plus onirique, moins violente que celle à avec Jeanne Duval dans le poème « Remords Posthumes »