Baudelaire, Les Fleurs du mal - Chant d’automne

I. Une saison d’enfer,
II. Le chant du bourreau

Dernière mise à jour : 16/03/2021 • Proposé par: chewif (élève)

Texte étudié

I

Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres ;
Adieu, vive clarté de nos étés trop courts !
J'entends déjà tomber avec des chocs funèbres
Le bois retentissant sur le pavé des cours.

Tout l'hiver va rentrer dans mon être : colère,
Haine, frissons, horreur, labeur dur et forcé,
Et, comme le soleil dans son enfer polaire,
Mon coeur ne sera plus qu'un bloc rouge et glacé.

J'écoute en frémissant chaque bûche qui tombe ;
L'échafaud qu'on bâtit n'a pas d'écho plus sourd.
Mon esprit est pareil à la tour qui succombe
Sous les coups du bélier infatigable et lourd.

Il me semble, bercé par ce choc monotone,
Qu'on cloue en grande hâte un cercueil quelque part.
Pour qui ? - C'était hier l'été ; voici l'automne !
Ce bruit mystérieux sonne comme un départ.

II

J'aime de vos longs yeux la lumière verdâtre,
Douce beauté, mais tout aujourd'hui m'est amer,
Et rien, ni votre amour, ni le boudoir, ni l'âtre,
Ne me vaut le soleil rayonnant sur la mer.

Et pourtant aimez-moi, tendre coeur ! soyez mère,
Même pour un ingrat, même pour un méchant ;
Amante ou soeur, soyez la douceur éphémère
D'un glorieux automne ou d'un soleil couchant.

Courte tâche ! La tombe attend ; elle est avide !
Ah ! laissez-moi, mon front posé sur vos genoux,
Goûter, en regrettant l'été blanc et torride,
De l'arrière-saison le rayon jaune et doux !

Baudelaire, Les Fleurs du mal - Chant d’automne

Poème empreint du souvenir de Marie Daubrun, " Chant d’automne " est une composition bipartite. La première partie, composée de quatre quatrains, en alexandrins classiques, est certainement la plus mélancolique des deux. Le thème de l’automne est, en effet, présenté comme annonciateur de désespoir et de mort.

I. Une saison d’enfer

A. Une prophétie lugubre

On peut considérer la première strophe comme composée de trois phrases. Malgré le fait que Baudelaire énonce une vérité peu originale, les mots avec lesquels il s’exprime permettent de comprendre que sa vision des choses est celle d’un homme qui souffre. Le verbe " plonger ", dans la première phrase, indique l’expression d’une chute . L’allusion aux " ténèbres ", donne une image obscure de sa chute. L’ouverture du poème par l’adverbe de temps " bientôt ", l’emploi du verbe " plonger " à la première personne du pluriel, avec la valeur catégorique du futur, l’antéposition de l’épithète " froides " donnent à cette ouverture l’allure d’une prédiction sombre renforcée par la tonalité funèbre de l’allitération en [r] de ce vers.

La deuxième phrase, qui s’ouvre par l’interjection " Adieu ", marque le regret lié à la perte de l’été et fait antithèse avec les propos de la première phrase. Ce regret est rendu presque tragique par son expression à la modalité exclamative. Le changement de personne, dans la troisième phrase, marque l’implication du poète. Confidence d’une sensation sonore, " j’entends ", absolument pas exagérée quant à la proportion du bruit bien que son interprétation soit subjective. L'adjectif " funèbres ", qui rime avec " ténèbres ", fait comme un écho au climat lugubre instauré par ce substantif.

B. Un mauvais pressentiment

L’adverbe de temps " déjà " marque le pessimisme du poète. Il redoute, à travers l’hiver, le spectre de la mort. Baudelaire craint tous les drames qu’il peut vivre en hiver. Application de la théorie des correspondances. La deuxième strophe, bien qu’étant une phrase, se compose de deux parties : les deux premiers vers constituent la première partie et forment une énumération, les deux derniers, une comparaison. Les deux premiers vers sont l’évocation anticipée de ce qui va faire souffrir le poète. Ouverture par une périphrase temporelle à valeur de futur proche, avec, de nouveau, la valeur catégorique du futur. La prévision est donnée pour sûre. Le préfixe " r ", dans " rentrer ", indique la duplication. Baudelaire sait par expérience ce que l’hiver produit de néfaste sur lui. Il exprime ses maléfices : la paralysie des forces de la vie (" soleil ", " cœur "). Vers 7, le soleil représente le cœur de Baudelaire. Sa glaciation signifie l’astreinte du poète à l’inertie.

II. Le chant du bourreau

A. La mort en marche

La phrase d’ouverture de la troisième strophe offre comme un écho aux vers 3 et 4 de la première strophe. On retrouve de nouveau un verbe lié à la perception auditive, écouter. Il marque un changement d’attitude. La sensation, tout d’abord subie, semble se muer en un acte volontaire. Cette sensation auditive procède à nouveau du motif du bois qui tombe. Baudelaire livre une interprétation métaphorique et macabre de l’automne et de l’hiver, due à son imagination ou à sa maladie. En une sorte de construction mentale, peu à peu, le bois du v. 4 et les bûches du v. 9 prennent la forme d’un échafaud. Le champ lexical de la mort se poursuit dans une comparaison à caractère gothique, avec le verbe succomber.

B. Un étrange spectacle

La quatrième strophe file la métaphore et continue l’impression qu’a le poète d’une procession macabre. On remarque l’apparition de l’adjectif monotone qui est un leitmotiv du thème de l’automne en poésie, de sa signification mais aussi par sa ressemblance phonique. L’idée de mort est assurée, dans la quatrième strophe, par l’image du cercueil. Le poète semble spectateur mais la modalité interrogative quant à la destination du cercueil induit une crainte personnelle.

Conclusion

" Chant d’automne " est un poème très caractéristique de l’esthétique de Baudelaire. Il exprime, entre autres, la violence de ce tourment qu’est le spleen, cette langueur maladive qui s’accorde pour le meilleur et pour le pire avec l’automne.