I. Apprendre à devenir soi-même permet de s'affranchir de la norme
S’il faut apprendre à devenir soi-même, c’est parce que nous sommes toujours pris dans les codes et des normes. Il faut donc apprendre à se détacher des conventions pour devenir soi-même.
a) Apprendre à devenir soi-même, c’est apprendre à contourner et à surmonter ce qui fait obstacle à l’expression de notre personnalité. La vie sociale est souvent un obstacle pour qui veut exprimer son individualité Tout le monde trouverait ridicule de confondre notre identité sociale avec ce que l’on est réellement. Notre carte d’identité ne dit rien de notre personnalité ; on ne rencontre pas quelqu’un si on se contente de décliner son identité. L’identité ne sert très souvent à nous situer à l’intérieur d’un groupe. Savoir qui on est et savoir quel notre rôle sont deux choses très différentes.
b) Apprendre à devenir soi-même c’est refuser de se penser sur les normes que la vie sociale nous propose. Bergson souligne que pour revenir à soi, il faut un effort soutenu et difficile. Il pense qu’« une certaine ignorance de soi est peut être utile à un être qui doit s'extérioriser pour agir ». Ce qui est singulier et personnel n’est pas immédiatement utile pour régler l’action collective et c’est donc souvent à soi que l’on renonce lorsque l’on agit socialement. Ainsi Bergson, nous permet de comprendre qu’un apprentissage est nécessaire car l’action nous détourne de nous-même en quelque sorte.
c) Revenir à soi demande donc un effort pour se détacher de conventions sociales. C’est surtout un effort pour ne pas uniquement valoriser ce qui socialement utile. On comprend alors que cet effort ne signifie pas s’écarter de la vie sociale. Il signifie plutôt cultiver et aimer la solitude. Combattre les préjugés passe ainsi par la solitude. La solitude est peut-être contrairement à ce que l’on pense facilement moins un état d’isolement qu’un état d’esprit, un art de rencontrer ce qui original en soi et dans les autres. N’est-ce pas ce questionnement solitaire qui anime les Essais de Montaigne et qui l’oblige à se découvrir par-delà son identité sociale.
d) L’histoire de la philosophie nous apprend d’ailleurs que la valeur de ce qui est individuel, ce qui est indivisible étymologiquement, ne s’établit qu’en rupture avec Cosmos. Défendre la valeur de qui est individuel se fait toujours contre l’idée d’un ordre établi dans lequel l’individu devrait prendre place.
II. Il faut apprendre à devenir soi-même pour comprendre qui l'on est
Il faut donc apprendre à se défaire de ce qui nous piège. Mais une difficulté reste pourtant présente. En effet, Peut-on vraiment penser qu’il suffit de se libérer de qui est artificiel, pour notre véritable nature se découvre ? En effet, apprendre à se défaire de ce qui n’est soi, ce ne dit rien sur ce que l’on est.
a) Nous avons jusqu’à présent mis l’accent sur l’effort nécessaire pour se détacher de ce qui nous empêche d’accéder à nous-mêmes. On pourrait penser qu’une fois les masques tombés pour ainsi dire, notre véritable moi se dévoile. C’est à se moment que l’on serait en adéquation avec soi et que l’on serait vraiment ce que l’on est. Avec ironie, Nietzsche se plaît à dire que vouloir aller au plus profond de soi en se dépouillant de toutes ses peaux n’est peut-être qu’une maladie où « on risque de se blesser, si grièvement qu'aucun médecin ne pourra nous guérir ! ». Il a y peut-être beaucoup de naïveté à penser que derrière les apparences se dissimulerait ce que l’on est véritablement et qu’il suffirait de s’en détourner pour revenir à soi. Comme on le voit en art, s’écarter comme avec extravagance des normes et des codes ne suffira pour être original.
b) C’est l’idée même d’être adéquat à soi-même qui reste toujours ambiguë car on ne peut pas se saisir comme on saisit un objet. L’idée même d’une connaissance objective de soi est paradoxale car elle suppose la possibilité de coïncider à soi de se saisir au travers un ensemble de qualités fixes ; on ne se pense pas comme on pense les objets. La conscience implique toujours une division, une distance avec ce que je pense. Descartes faisait d’ailleurs du pouvoir de douter ce qu’il y a de plus vivant et de plus original dans la pensée. Apprendre à devenir soi-même serait alors synonyme d’acceptation. Mais en quel sens ? Nous devons accepter de ne jamais coïncider avec nous-même. Il faut apprendre à connaître et à exprimer la part irréductiblement subjective qui nous appelle à devenir et à faire quelque chose de notre présent.
c) Apprendre à devenir soi-même, c’est alors s’approprier une histoire. Finalement, dire qui on est, c’est raconter son histoire ; N’est-ce pas par le biais du langage que l’on se rencontre ? Ricœur montre qu’il est possible de conserver l’idée peu rigide d’identité si on accepte de lui faire subir un traitement particulier à ce concept. Notre identité ne serait pas descriptive mais narrative. C’est en se racontant que je me découvre et je me construis en même temps. Raconter son histoire, c’est recueillir l’ensemble des actes qui font que l’on peut dire « je ». Se raconter, c’est tisser une histoire dans laquelle je peux donner du sens à ce qui m’arrive et me l’approprier. S’approprier ce que l’on vit, n’est-ce pas cela aussi apprendre à devenir soi-même ?
III. Il faut apprendre à devenir soi-même pour jouir de sa liberté
On a donc vu que qu’apprendre à devenir soi-même, ce n’est pas grâce à des compétences particulières développer ce que l’on est comme le voudrait la logique du développement personnel par exemple. C’est bien plutôt, s’interroger sur ce qui fait notre identité. Il faut à présent montrer que si notre identité est fragile, c’est parce que nous sommes libres.
a) Apprendre à devenir soi-même c’est comprendre que ce nos actes et nos choix qui décident de ce que nous sommes. Il s’agit d’assumer notre liberté. On est loin ici d’un jeu narcissique où on se met en scène. Il ne s’agit pas de se reconnaître comme dans un miroir mais de se demander quelle valeur on est prêt à porter. Il y a une dimension morale dans notre identité ; Celui qui sait s’engager et prendre part à la situation apprend par là même qui il est vraiment. Comme Ulysse, il faut perdre son identité et savoir retourner les situations sans renoncer et par pour se retrouver enfin.
b) Penser et vivre la liberté jusqu’au bout est peut-être le seul enjeu pour apprendre à devenir soi-même. C’est pourquoi Sartre refuse de faire de la liberté une propriété de l’homme. L’homme n’a pas une liberté, il est liberté. Lorsque qu’il affirme que pour l’homme « l’existence précède l’essence », il relie ainsi nécessairement conscience de soi et la liberté. L’homme est jeté dans l’existence sans savoir ce qu’il est et il ne sera qu’en choisissant et en s’engageant. Ce n’est pas en revenant sur soi dans une introspection mais c’est sur la route, en suivant ses engagements que on apprend à devenir soi-même