Olympe de Gouges, femme de lettres et figure éminente du mouvement des Lumières, s'engage de manière progressiste à travers ses œuvres militantes pour l'égalité. Son célèbre ouvrage Zamore et Mirza, ou l'Heureux naufrage (1784), à la fois succès et scandale, dénonce la cruauté de l'esclavage enrichissant l'aristocratie. Impliquée activement dans la Révolution française, elle prône ardemment l'égalité entre hommes et femmes, considérant que ces dernières n'ont pas reçu leur juste part des fruits de cette Révolution à laquelle elles ont contribué.
Son féminisme militant se cristallise dans sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, en 1791, une réécriture poignante de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, soulignant l'exclusion des femmes de ces principes égalitaires. Son engagement la mène à la guillotine en 1793 pour avoir osé dénoncer les horreurs de la Terreur dans un manifeste courageux. Ainsi, nous nous pencherons sur le préambule et les quatre premiers articles de sa Déclaration, révélatrice des convictions et des buts de cette femme de lettres visionnaire.
Une question alors se pose : comment cette introduction et cette révision engagée de la Déclaration de 1789 argumentent-elles en faveur et présagent-elles la nécessité d'une constitution affirmant avec force l'égalité entre hommes et femmes ?
I. De Gouges appelle à la constitution d’une Assemblée nationale des femmes
a) L'énumération ternaire « Les mères, les filles, les sœurs » peint un tableau rhétorique saisissant, établissant l'unité et la solidarité des femmes. Ces termes enchaînés soulignent leur rôle conjoint au sein d'une entité protectrice.
b) « représentantes de la nation » : l'utilisation de cette périphrase à la place d'un terme direct, déploie une transition habile du domaine biologique au politique. Elle met en lumière le rôle essentiel des femmes dans la société, leur capacité à incarner les intérêts nationaux tout autant que les hommes.
c) « l’ignorance, l’oubli ou le mépris » : la progression ascendante de cette gradation exprime avec force la sévérité des attitudes sociales envers les femmes. Ces comportements sont pointés du doigt comme sources de désordres sociaux et de corruption politique.
d) « droits naturels, inaliénables et sacrées » : cette énumération ternaire d’adjectifs souligne la qualité essentielle et la nature inviolable des droits des femmes, une triade qui renforce la sacralité de ces droits fondamentaux.
e) « afin que » : l 'usage de cette locution conjonctive met en exergue l'intention profonde de la déclaration, celle de perpétuellement rappeler les droits et les responsabilités des membres de la société.
f) La construction parallèle « pouvoir des femmes » et « pouvoir des hommes » met en relief l'égalité entre les genres, insistant sur la nécessité d'une comparaison constante entre leurs droits respectifs.
g) La majuscule à « Constitution », dans « maintien de la Constitution » amplifie l'importance de ce document en tant que pilier fondamental de la nouvelle société, conférant ainsi un caractère sacré au texte juridique.
h) L'hyperbole lyrique « maintien […] des bonnes mœurs, et au bonheur de tous » exprime avec ferveur l'enthousiasme de l'auteure pour les retombées positives de la constitution, laissant entrevoir un bonheur généralisé pour tous.
i) La périphrase « le sexe supérieur en beauté comme en courage dans les souffrances maternelles » renverse avec audace la hiérarchie traditionnelle des genres, soulignant la grâce et le courage maternel des femmes.
j) L'appel à « l’Être suprême », dans « en présence et sous les auspices de l’Être suprême », souligne une autorité transcendante, supérieure, justifiant l'égalité des sexes comme en accord avec une puissance rationnelle et bienveillante.
k) L'annonce des « Droits suivants de la femme et de la citoyenne » suggère une révision nécessaire de la Déclaration de 1789, perçue comme incomplète et perfectible.
Transition
Ce vibrant appel marque le début d'une refonte des droits légaux, une réécriture empreinte de féminisme, érigeant les deux genres sur un même socle d'égalité et de dignité.
II. Selon de Gouges, la liberté et l’égalité sont inscrites dans la nature
a) « La femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits. ». Ce présent de l’indicatif, présent de vérité générale, énonce des principes permanents et incontestables, soulignant l'importance de la liberté et de l’égalité entre les sexes dès la naissance. Selon Olympe de Gouges, ces principes sont naturels mais ont été altérés par les lois humaines, justifiant ainsi la nécessité de lois reconnaissant et protégeant cette égalité naturelle.
b) On peut pointer l'ironie dans la réécriture de la Déclaration de 1789 « La femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits. » Olympe de Gouges réinterprète l'article premier de la Déclaration de 1789, faisant de la femme le sujet de la phrase, détournant ainsi le substantif « homme » pour souligner le combat féministe en réduisant le terme à son sens masculin. Malgré cela, elle conserve la suite de l'article sur les distinctions sociales basées sur l'utilité commune.
c) En positionnant la femme avant l'homme dans la formulation « Les droits naturels et imprescriptibles de la femme et de l’homme », Olympe de Gouges met en avant le combat des femmes pour leur reconnaissance. Cette disposition insiste sur le caractère naturel et immuable de ces droits fondamentaux, soulignant la nécessité de leur reconnaissance.
d) « Surtout la résistance à l’oppression. » : en reprenant l'article 2 de la Déclaration de 1789, et en accordant aux femmes le droit de résistance à l'oppression, Olympe de Gouges légitime leur lutte pour l'égalité. Cette inclusion élargit le contexte de l'oppression en suggérant que celle-ci peut également provenir des révolutionnaires eux-mêmes, ouvrant ainsi le débat sur l'oppression dans tous les contextes.
e) En faisant référence à la nature pour justifier l'égalité et en utilisant une majuscule pour souligner son importance, dans « Sa Constitution est fondée sur les principes de la nature », l'autrice défend que les fondements de la Constitution sont basés sur la reconnaissance et la protection des droits naturels des femmes, détournés par les lois humaines. L’emploi de la majuscule a pour but de sacraliser la nature et les principes qui devraient régir la Constitution, donnant ainsi une dimension importante à ces principes.
f) En réutilisant la comparaison « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits », De Gouges se réfère à l'article premier de la déclaration de 1789 par une réinterprétation audacieuse. Elle met en avant le genre masculin qui rend les femmes invisible.
g) De Gouges fait ensuite référence à la société pour justifier les inégalités sociales : « Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. ». Elle réécrit l'article premier de la déclaration de 1789 pour maintenir la notion d'inégalités sociales basées sur l'utilité commune, même dans une société égalitaire.
Transition
En réinterprétant avec audace les principes de la Déclaration de 1789, Olympe de Gouges pose les fondations d'une égalité naturelle entre hommes et femmes, ouvrant ainsi la voie à une série d'articles revendicatifs de la liberté et de la justice.
III. De Gouges peint une société idéale
De Gouges peint une société idéale au cœur de laquelle l’homme et la femme sont au fondement de la nation égalitaire visant la liberté et la justice.
a) « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement en la nation. » : De Gouges reprend ici textuellement l'article 3 de la Déclaration de 1789, transférant le pouvoir de la souveraineté à l'ensemble des individus formant la nation. Elle complète cette affirmation par une proposition subordonnée relative, précisant que la nation est la réunion à la fois de la femme et de l'homme, soulignant ainsi l'importance de ne pas exclure les femmes de cette notion, exprimant ainsi l'égalité des sexes.
b) Par le biais de sa réécriture ironique de l'article 4 de la Déclaration de 1789, dans « La liberté et la justice consistent à rendre tout ce qui appartient à autrui; ainsi l’exercice des droits naturels de la femme n’a de bornes que la tyrannie perpétuelle que l’homme lui oppose. », l'autrice révèle la liberté comme étant non nuisible à autrui. Elle met en évidence l'oppression subie par les femmes, bornée par la tyrannie masculine, faisant ainsi référence à une inégalité fondamentale entre les sexes. Cette tyrannie est représentée non par un régime politique mais par le genre masculin, symbolisant une oppression ancestrale et perpétuelle.
c) Dans un argumentation par analogie avec la nature, Olympe de Gouges invoque deux arguments d'autorité, les « lois de la nature » et celles de la « raison », pour soutenir son propos. Elle s'inspire des observations scientifiques sur les relations entre mâles et femelles dans la nature pour démontrer la réciprocité, soulignant ainsi la naturalité de l'égalité entre les sexes. De plus, elle se réfère aux principes philosophiques des Lumières pour appuyer son argumentation, alignant ainsi sa proposition sur les idéaux de la Révolution.
d) « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement en la nation. » : cette citation reprend directement un article de la Déclaration de 1789, soulignant la continuité entre les idéaux de la Révolution et la proposition d'Olympe de Gouges pour une égalité des sexes au sein de la nation. Cela renforce sa position en l'alignant sur les principes révolutionnaires déjà établis.
e) Olympe de Gouges s’appuie ensuite sur « les lois de la nature » et celles de la « raison », censées être incontestables et énumère ainsi deux références, les « lois de la nature » et celles de la « raison », pour renforcer son argumentation. Cette énumération vise à donner du poids à son discours en utilisant des sources considérées comme indiscutables et fondamentales pour soutenir sa proposition.
f) En utilisant la construction grammaticale de la négation restrictive, dans « ainsi l’exercice des droits naturels de la femme n’a de bornes que la tyrannie perpétuelle que l’homme lui oppose. », Olympe de Gouges souligne l'absence de limites aux droits naturels de la femme, si ce n'est l'oppression constante exercée par l'homme. Cette formulation oppose la liberté totale attendue à la réalité d'une oppression continue, mettant en évidence une contradiction flagrante entre idéal et pratique.
g) Dans « la femme et de l’homme », l'utilisation de la conjonction « et » supprime toute hiérarchisation et exprime l'égalité entre les sexes. Elle souligne l'importance de ne pas exclure les femmes de la notion de nation, renforçant ainsi l'idée d'une égalité intrinsèque entre hommes et femmes.
h) L'utilisation de la proposition subordonnée relative dans « la nation, qui n’est que la réunion de la femme et de l’homme » précise la définition de la nation, soulignant l'inclusion nécessaire des femmes dans cette notion. Elle renforce l'idée d'une égalité des sexes au sein de la nation, mettant en avant leur importance égale.
Conclusion
Ce préambule s'inscrit dans une démarche pédagogique visant à convaincre de la légitimité du projet égalitariste de l’auteure, se référant explicitement à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, tout en soulignant son imperfection envers les femmes, nécessitant ainsi une nouvelle Déclaration pour lutter contre la corruption sociale.
En parallèle au postambule adressé aux femmes pour les inciter à défendre cette nouvelle constitution, cette réécriture subtile conteste vigoureusement les prétentions égalitaristes de la Déclaration originale insufflant aux principes révolutionnaires une portée universelle et une vitalité renouvelée, tout en plaçant les femmes au cœur de cette refonte constitutionnelle, témoignant de l'enthousiasme d’une révolutionnaire maîtrisant le langage juridique et aspirant à prolonger la Révolution.