Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, est un comédien et dramaturge français né le 15 janvier 1622 à Paris, où il est mort le 17 février 1673. Il est l’homme du théâtre complet par excellence et s’attaque à un vice de l’esprit et de la société à travers ses pièces. Les plus célèbres d’entre elles sont Le Malade imaginaire, Le Misanthrope ou encore L’Avare.
Juste avant cette scène, Dom Juan a appris qu’il était recherche par les frères d’Elvire et se réfugie avec Sganarelle dans la forêt. Cette scène se passe donc sur leur chemin. Cette scène approfondit le portrait de Dom Juan, nous montre la différence de foi entre les deux personnages et nous fait découvrir l’impiété de Dom Juan (qui sera par ailleurs mise en lumière lors de la scène suivante). Elle apporte aussi une réflexion sur la foi.
Dans un premier temps nous allons étudier l’attitude des deux personnages de la scène, Dom Juan et son valet Sganarelle face à la foi, dans un deuxième temps nous allons analyser le comique de la scène, et pour finir nous allons voir comment s’établit la relation maître-valet dans ce passage.
I. Deux attitudes opposées face à la foi
a) Un Dom Juan libertin
Le silence de Dom Juan est sa première arme. Il parle peu dans cette scène et répond a Sganarelle par des phrases brèves (« laissons cela »…) des onomatopées ou des interjections (« Eh ! », « Ah! Ah! Ah ! »). Il ne cherche même pas à déconstruire le discours de Sganarelle. Il ne répond que par le rire, le silence et le mépris, laissant Sganarelle se perdre tout seul dans son discours. Le valet relève même la stratégie de Dom Juan (« vous vous taisez exprès , et me laissez parler par belle malice »).
Dom Juan est un rationaliste, il se sert de la raison et non de la foi pour accéder a la connaissance. Sa phrase « je crois que deux et deux sont quatre, Sganarelle, et que quatre et quatre sont huit » résume sa pensée: il exclut la foi au profit d’un raisonnement logique et mathématique. Dans cette phrase, le présent de vérité générale et l’emploi du verbe « être », montre que Dom Juan formule bien une philosophie. Cependant il ne nie pas ouvertement l’existence de Dieu et a tendance à fuir la question lorsque Sganarelle l’interroge: « laissons cela » dit-il. Dom Juan ne se laisse pas si facilement enfermer dans une doctrine.
b) Un Sganarelle représentant de la doctrine chrétienne
-La démarche inquisitrice de Sganarelle : il interpelle Dom Juan par une question théologique : « est-il possible que vous ne croyiez point du tout au Ciel ? ». Les nombreuses questions de Sganarelle et le champ lexical de la religion (« croyiez », « Ciel », « Enfer », « Diable », « autre vie », « convertir ») montre qu’il tente de remettre en question Dom Juan au sujet de sa foi.
Après un questionnement insistant, Sganarelle désapprouve la croyance de de Dom Juan : « La belle croyance et les beaux articles de foi que voila ! ». (Les thermes « belle croyance » et « beaux articles » sont des antiphrases). On a l’impression que Sganarelle juge la croyance de Dom Juan comme le ferait l’inquisition. Le champ lexical de la folie (« étranges », « folies », « moins sages », etc…) ainsi que le déterminant possessif « votre religion » met la croyance de Dom Juan à distance. Comme un tribunal d’inquisition, Sganarelle juge la croyance de Dom Juan hérétique. [Remarque du professeur: Et évoquez surtout la superstition mise sur le même plan que la croyance].
- La volonté de prouver l’existence de Dieu: Sganarelle cherche a prouver l’existence de Dieu. Il se fonde sur l’expérience pour prouver l’existence d’un créateur (« par exemple »). Ce désir de partir du vécu est accentue par les adjectifs démonstratifs (« ces arbres là », « ces rochers »…). Il implique également Dom Juan en faisant l’anaphore du pronom personnel « vous » (« Vous voila vous par exemple vous êtes là ».)
On a le champ lexical de la nature (« arbres », « rochers », « terre » , « ciel », etc). Sganarelle évoque toutes les sciences (géologie , astronomie , médecine); il embrasse l’ensemble de la création pour glorifier le divin. Il y a également le champ lexical de l’admiration et donc la glorification de Dieu là encore (« admirer » , « admirable », « magnifique »…).
Transition: mais la démarche théologique de Sganarelle est invalidée par le comique et l’ironie de Molière qui se moque de cette démonstration.
II. Le comique de la scène
a) Une parodie de sermon
Sganarelle ne souhaite pas seulement prouver l’existence de Dieu. Il souhaite convertir Dom Juan comme un prêcheur qui fait un sermon: « Voilà un homme que j’aurai bien de la peine à convertir ». Son discours lui-même à la forme d’un sermon. Il utilise d’abord une phrase exclamative accrocheuse grâce à l’emploi de l’ironie (« la belle croyance et les beaux articles de foi que voila ! ». La seconde phrase, interrogative, pose le sujet du sermon « votre religion, à ce que je vois, est donc l’arithmétique ». La troisième phrase est une antithèse entre la sagesse (« bien moins sage ») et la folie (« étranges folies »). Sganarelle semble ensuite développer une stratégie qui consiste à se dévaloriser pour attirer la bienveillance de l’adversaire (Dom Juan) : « pour moi, Monsieur, je n’ai point étudie comme vous...mon petit jugement »), on a ici la répétition de l’adjectif « petit » et emploi d'une tournure négative.
La tension est presque dramatique avec l'usage de l’apostrophe, l'anaphore du pronom personnel « vous ». Mais l'imprécision de Sganarelle, (« quelque chose d’admirable », « quelque chose dans la tète », « cent choses différentes » , « tout ce qu’elle veut ») décrédibilise son discours. Il défend même le contraire de ce qu’il souhaite: l'énumération des parties du corps (« ces nerfs, ces os, ces veines, ces artères, ce poumon, ce cœur, ce foie ») donne une image plus mécaniste que spirituelle du corps.
Par ailleurs les courtes répliques de Dom Juan pour répondre au long sermon de Sganarelle (« eh », « oui, oui »…), nous montre le peu d’intérêt qu’il porte au sujet et le fait qu’il prenne cette question religieuse peu au sérieux.
b) Une scène de farce
On a une énumération de verbes de mouvements (« frapper des mains, hausser le bras, lever les yeux au ciel, baisser la tête, remuer les pieds, aller à droit, à gauche, en avant, en arrière, tourner... »). Les différents gestes « lever les yeux au ciel et baisser la tête » font songer à des gestes pieux mais le mouvement devient chaotique et incontrôlable « remuer les pieds », « tourner » …
Une didascalie indique que Sganarelle « se laisse tomber en tournant »: cette chute farcesque symbolise aussi la chute de son raisonnement.
III. Une relation maître/valet particulière
a) Une relation asymétrique
On peut constater le respect que porte Sganarelle à son maître dans les différentes répliques qu’il adresse à celui-ci. En effet il le nomme respectueusement sans citer son prénom et l’appelle « monsieur ». Cette relation est basée sur un respect non réciproque qui montre la supériorité hiérarchique et intellectuelle de Dom Juan et l’autorité qu’il porte sur Sganarelle, notamment car celui-ci est son valet. On peut voir cette autorité avec le fait que Sganarelle vouvoie son maître (« Aussi peu. Ne croyez-vous point l’autre vie ? »), alors que Dom Juan tutoie son valet (« j’attends que ton raisonnement soit fini »).
b) Une inversion des rôles
On peut aussi parler d’une certaine inversion des rôles. En effet cette supériorité intellectuelle n’est en réalité basée que sur des apparences. À commencer par les vêtements: en habit de campagne pour Dom Juan et en médecin pour Sganarelle, alors que ça devrait être l'inverse.
On constate également que les répliques de Sganarelle sont bien plus longues que celles de Dom Juan. Celui-ci réplique par de courts mots « eh. » « oui, oui. » alors que son valet tient une longue tirade pour lui expliquer ce qu’est la croyance et lui prouver en quelque sorte l’existence de Dieu. C'est donc Sganarelle qui a le devant de la scène, alors que son statut de valet devrait plutôt le reléguer au second rôle.
Enfin, dans cette scène, c’est le valet qui semble enseigner des valeurs religieuses à son maître alors que l’inverse aurait été plus logique. Sganarelle veut aider son maître, lui enseigner certains éléments qu’il fait tout pour ignorer et pour cela il le questionne sur son avis (« je veux savoir un peu vos pensées à fond »). On voit de l’enthousiasme dans les termes qu’il utilise pour expliquer à son maître, ce qui montre son envie de lui montrer plus de choses.
[Remarque du professeur: Montrez que les deux sont rivaux mais dépendants l’un de l’autre]
Conclusion
Dans cette scène, Molière nous montre encore une fois le libertinage de Dom Juan qui est cette fois un libertinage philosophique. Nous avons ici un Sganarelle inquisiteur, représentant de l’Église et un Dom Juan moqueur et indiffèrent. Molière se moque de la démonstration de Sganarelle. La scène est comique et il utilise même de l’ironie, ce qui décrédibilise complètement Sganarelle. Le maître et le valet sont opposés au niveau de la foi et des mœurs. Dom Juan est un personnage de Molière qui, notamment par cette scène, accède au rang de mythe.