« Je pense, donc je suis », c’est cette citation de Descartes au XVIIe siècle, qui marquera la conscience de soi, comme seule certitude, seule vérité résistant aux nombreux doutes parcourant le monde. La conscience est la connaissance, la perception, l’intuition, la moralité de ses actes, de ses pensées. La conscience renvoie à la faculté de se penser soi-même, de se représenter ses pensées. L’expérience de la prise de conscience de soi, quant à elle, diffère. En effet la prise de conscience de soi démontre que malgré notre connaissance du « nous » psychique, nous ne nous connaissons pas entièrement, mais également que cette méconnaissance reste surmontable. Il est véhiculé dans la pensée collective que la prise de conscience de soi, ne peut être effectuée sans solitude, sans ce lieu solitaire. Cependant la solitude peut prendre plusieurs visages, plusieurs aspects. Elle peut être nécessaire et recherchée par l’individu, ou alors être une personnalisation de l’angoisse, de nos peurs subtilisant nos faiblesses et les utilisant contre nous, dans notre propre esprit. Mais l’état de solitude, reste un endroit psychique permettant une remise en question, une réflexion intérieure qui finira par mener à la prise de conscience de nous-mêmes.
Est-ce dans la solitude que l’on prend conscience de soi-même ? Pour répondre à cette question, nous verrons dans une première partie la solitude subie ne permet pas la prise de conscience de soi, à l’inverse de la deuxième partie qui montrera la solitude voulue, cherchée mène à la prise de conscience. Et enfin dans une troisième et dernière partie nous analyserons comment la présence d’autrui peut être aussi une source nécessaire à la prise de conscience de soi.
I. La solitude subie ne permet pas la prise de conscience de soi
La solitude est un phénomène psychologique fréquemment vécu par la population, de tous âges, époques et nationalités confondues. Chacun la vit de manière différente, à sa propre façon. Mais lorsque la solitude est continue, elle peut devenir douloureuse pour les individus.
En effet, être trop longtemps plongé dans ce sentiment de solitude peut mener à un isolement et un esseulement. Nous nous retrouvons dans un trop long face-à-face avec nous-mêmes, nos peurs et nos angoisses : « la vérité est solitude. L’agonie est solitude » disait Huguette Leblanc dans un de ses romans. Se retrouver face à soi-même de manière non voulue pendant une durée indéterminée avec nous-mêmes c’est affronter nos vérités, nos pensées les plus sombres. Être esseulé ou encore insociable est le fait de ne pas réussir à se rapprocher des gens, de nos pairs. On ne peut plus rencontrer des gens, se faire des amis, car cet esseulement, cet isolement, cette trop longue solitude, nous a renfermé sur nous-mêmes. On en a peut-être même oublié les normes sociales de la société ? Cet enfermement de soi nous plonge dans un cercle vicieux. En quête d’en sortir, nous nous adaptons à l’idée de plaire aux autres, en s’effaçant encore plus pour leur convenir. Alors, on se perd, soi-même.
Se retrouver seul, permet de penser, certes, mais dans un cas de solitude involontaire, la pensée devient souffrance. Elle n’aide pas à la remise en question intérieure de son soi, non, au contraire, cette solitude subie finit par enfermer l’individu, « la solitude est comme une prison » définissait Lao She, un écrivain chinois. La solitude subie devient souffrance. Elle ne fait pas évoluer la conscience de l’individu, elle le fait s’oublier. Un très bon exemple de solitude subie se retrouve chez les surdoués. Les HPI (haut potentiel intellectuel). Ces enfants, adolescents et adultes à l’intelligence parfois supérieure, mais surtout différente des autres, sont constamment hantés par leurs pensées, par des questions intrusives, ce qui les isole du reste du monde. Ils se perdent dans leurs pensées, développant souvent des angoisses et autres troubles psychologiques, comme l’énonce la psychologue et écrivaine Jeanne Siaud-Fachin dans son livre Trop Intelligent pour être heureux ? : « On comprend combien l’intelligence est anxiogène lorsque l’on ne peut jamais s’arrêter de penser ».
Transition: Néanmoins la solitude peut permettre de se ressourcer, de s’épanouir et de prendre conscience, lorsqu’elle n’est pas vécue comme contrainte. C’est ce qu’on appellera ici, la solitude voulue.
II. La solitude voulue mène à la prise de conscience de soi
Qu’est-ce que cette nouvelle solitude a de bien à nous apporter ? Et bien beaucoup de choses. Tout d’abord, elle introduit le silence, le calme et la sérénité que nous avons de temps en temps besoin de ressentir. Elle nous permet de lâcher prise du monde, où tout s’enchaîne si vite que cela peut être déstabilisant. On laisse parler notre imagination, notre créativité, on dialogue avec les diverses parties de nous, tout en construisant ce fameux petit « jardin secret » intime, au fond de notre conscience. On se laisse simplement aller. On décompresse. Ce besoin, cette recherche de solitude peut s’effectuer après une activité sociale agitée en compagnie de famille, d’amis, de collègue… etc. Et se traduit par des animations plaisantes, qui nous déconnectent de la réalité et nous reconnectent avec nous-mêmes : balades, écoute de musique, lecture, écriture…
La solitude est essentielle à la construction de soi. Elle nous permet de définir, en privé, loin de toutes les influences extérieures, de définir nos goûts, nos avis, nos mœurs, notre morale… De trier, d’organiser et d’assimiler nos connaissances. Elle est propice à des pensées saines (bien loin de la solitude subie précédemment citée), mais également à des raisonnements variés, sur des sujets définis là aussi, seul, comme le disait Nietzsche : « L’homme a besoin de ce qu’il a de pire en lui s’il veut parvenir à ce qu’il y a de meilleur ». Dans ces débats solitaires et personnels de nous à nous, on n’explore et remets en question nos pires défauts, nos pires avis, on n’explore les sujets les plus sensibles, pour en ressortir meilleur penseur et meilleur homme.
Cette solitude voulue, cherchée, désirée, permet de mettre en pause le surmenage quotidien des individus. Se retrouver dans une discussion saine, loyale et honnête avec sa conscience permet d’effectuer une introspection, qui mènera forcément sur une prise de conscience, importante ou non. On se juge différemment, sans prendre en compte le regard d’autrui sur nous. On apprend à se préserver d’autrui pour conserver une part d’individualité. Comme les moines bouddhistes, se retirant en retraites parfois silencieuses ou non, pour prendre du recul sur la société qui les entoure ou simplement pour faire un point avec leur conscience sur eux même. Et comme le disait Pablo Picasso : « Sans grande solitude, aucun travail sérieux n’est possible ».
Transition:, Mais si la solitude nous permet de mieux nous retrouver avec nous même, elle nous aide également à nous ouvrir aux autres. Se séparer pour mieux se retrouver, mieux se reconnecter.
III. La présence d'autrui peut être aussi nécessaire à la prise de conscience de soi
Si nous restons ancrés dans la solitude, comment peut-on avoir la certitude de son existence et de son identité ? Cette question, nous interroge sur le rôle de la présence de l’autre dans la constitution et la construction de notre conscience. L’humain a besoin de contact avec autrui pour se définir, se prouver son existence, mais également pour reconnaître son « soi ». De par la communication avec autrui, nous apercevons dans les regards, les mimiques et les remarques une nouvelle perception de nous-mêmes, qui viendra à un moment ou un autre nous remettre en question, nous faire prendre conscience. Si on ne considère pas les individus autour de nous, nos pairs, nos amis, notre famille, comment pouvons-nous nous examiner nous-mêmes ? La présence de l’autre nous ouvre un univers de relations interpersonnelles et devient une source de richesse et d’échanges pour notre conscience. Elle s’alimente de dialogues, de jugements, se confrontant à des pensées divergentes de la sienne (la nôtre) et offre à nos personnalités de nouvelles connaissances qui élargissent ses horizons. En effet l’humain, dans la solitude complète n’exploite que de moitié son potentiel, car la complexité du jeu social permet à la conscience de jouer plusieurs rôles qu’elle n’aurait jamais imaginé si elle était restée à l’écart.
L’aspect de délimitation aussi arrive par la rencontre avec l’autre. « La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres ». Si nous devions définir l’autre, on utiliserait sûrement le terme de « non-moi », dès lors tout ce qui n’est pas moi, me limite. Tant que je prends conscience d’autrui, je prends également conscience de moi-même, et je ne puis faire ce que je désire, si cela impacte l’autre. On a besoin de voir l’autre, l’extérieur de nous, pour mieux comprendre et analyser notre intérieur, notre conscience. L’aspect extérieur de nous, l’autre en soit, pourrait même redéfinir l’introspection vue plus haut menant à la prise de conscience. Prenons une qualité : l’amabilité. Comment dans la solitude, sans aucun pair autour de moi, pourrais-je savoir que je suis aimable ? Seuls, sans aucun repère autour de nous, nous ne pouvons le savoir. C’est donc en se confrontant aux autres que la prise de conscience intervient. Il y a donc d’abord un besoin de rencontre avec autrui avant de commencer à se connaître soi-même, et donc commencer des introspections dans la solitude.
Conclusion
En conclusion, la solitude peut s’avérer nécessaire à la prise de conscience de soi, seulement si elle est volontaire. Elle ne doit pas nous faire souffrir, nous esseuler et encore moins nous isoler, car la confrontation à l’autre est également une affirmation de sa conscience et de sa personnalité. Il faut tout de même savoir garder une distance quand il est question de prise de conscience, tout en gardant et acceptant le regard des autres pour connaître nos propres limites conscientes. Nous pouvons donc affirmer que, malgré le besoin de l’autre pour prendre conscience de notre propre existence, la solitude, elle, peut nous aider à prendre conscience de nous-mêmes, du moment où elle est désirée et non subie.