Au quotidien, chacun de nous est confronté à la rencontre des autres mais aussi à des moments d'isolements momentanés. Ces instants de solitude, souvent voulus ou choisis, permettent, dans la plupart des cas , une prise de conscience globale dont découle une prise de conscience de soi. Au contraire, la véritable solitude correspond à l'absence quasi totale de communication, avec soi même et avec les autres. Cet état s'apparente au dramatique isolement de celle ou de celui qui n'a rien à partager avec autrui, qui ne construit aucune perspective d'avenir et qui, de fait, n'a pas conscience de sa propre existence.
Est-ce que toutes formes de solitude favorisent une prise de conscience de soi ? Est-ce seulement dans les moments d'isolement que naît cette conscience? A partir de ce double questionnement, il conviendra de clarifier la notion de conscience de soi et l'état de solitude.
I. La solitude favorise la prise de conscience de soi
La conscience de soi, du latin "cum" avec et "sciencia" science, repose sur le sentiment que chacun a de lui même, de sa propre existence. Il s'agit plus précisément du mouvement de la conscience, qui se retourne sur elle même pour se prendre comme objet. On peut distinguer trois niveaux de la conscience de soi. Cette dernière passe, tout d'abord, par la perception de son propre corps. Ensuite, on distingue la conscience de sa propre vie psychique, c'est à dire la prise de conscience par le sujet de ses propres sentiments, ses propres états affectifs. Enfin, la prise de conscience de soi naît de la prise de conscience de ses propres pensées, qui consiste à connaître son "essence", autrement dit, ce qui caractérise fondamentalement l'homme: la pensée. En résumé, la conscience de soi est le mouvement qui permet de poser la question: "quel est le sujet qui dit je ?".
La solitude, comme il a déjà été dit, correspond à un état d'isolement, voulu ou subi, et où les échanges avec autrui et le monde extérieur sont limités voir rompus de façon momentanée ou définitive. Tout tend donc à penser que la solitude favorise la prise de conscience de soi. En effet, c'est le plus souvent lors d'un repli sur soi, d'un isolement momentané, qu'un ensemble de réflexions et de questionnements sont menés. A première vue, le sujet lui même est le mieux placé pour rendre compte de ses propres sentiments et de ses propres pensées. "Il n'y a que vous qui sache si vous êtes loyal ou lâche ou cruel ou dévotieux, les autres ne vous connaissent point, ils vous devinent par conjectures incertaines" écrivait Montaigne dans Les Essais. Ce mouvement de la conscience qui s'étudie elle-même s'appelle l'introspection. Le fait d'être seul face à soi même correspond à une mise entre parenthèse du monde qui nous entoure. En se retirant de la société, les ermites, par exemple, ou les individus qui ont fait le choix de vivre dans des lieux reculés (montagnes, campagne...) recherchent, en général, à se centrer sur eux même. C'est le cas de J. Jacques Rousseau qui écrivait: "je n'ai jamais rien pu faire la plume à la main vis à vis d'une table et de mon papier; c'est à la promenade, au milieu des rochers et des bois(...) que j'écris dans mon cerveau", dans une de ses œuvres intitulée Rêveries d'un promeneur solitaire.
Cependant, il n'est pas nécessairement obligatoire de se retirer du monde pour mener un travail d'introspection. En effet, selon Marc Aurèle "on se cherche des retraites, campagnes, montagnes (...) mais c'est une chose toute déraisonnable puisque tu peux à l'heure que tu veux te retirer en toi même. Nulle retraite en effet n'est plus tranquille , ni moins troublée que celle qu'il trouve en son âme". La véritable solitude, celle qui permettrait réellement de se retrouver seul face à soi même, ne se résumerait donc pas qu'à un isolement matériel mais plutôt à "une retraite intérieure révélatrice du moi" (Marc Aurèle). "Connais toi toi-même" disait Socrate. Cette phrase renvoie à l'idée que seul le sujet peut véritablement prendre conscience de son propre corps, de ses sentiments et de sa pensée. Cela met en évidence une conscience se prenant elle-même comme objet, une conscience qui doute est donc une conscience existante. De plus Descartes, à travers la phrase, "la conscience de soi en un sens est radicalement solitaire", met en lumière la valeur de la solitude lorsqu'il s'agit d'affirmer et de développer la prise de conscience de soi. En effet, certaines religions, comme le boudhisme, par exemple, préconisent un état de solitude pour accéder à une forme de méditation et ainsi prendre conscience de soi.
En résumé, il est évident que la solitude renforce et pousse progressivement, même quelquefois de façon inconsciente, vers une réflexion intérieure, qui aboutit souvent à une prise de conscience globale puis à une prise de conscience de soi. Ce cheminement conduit à élaborer une éthique personnelle ainsi qu'une pensée critique vis-à-vis de soi-même. Cependant, l'hypothèse selon laquelle la solitude favoriserait la prise de conscience de soi est discutable. En effet, dans certaines situations, l'isolement n'est pas toujours synonyme de prise de conscience de soi. Par exemple, Victor, l'enfant sauvage, livré à de seules potentialités naturelles, et n'ayant jamais vécu en société, n'a développé aucune forme de socialisation, de langage et donc de conscience de lui-même. De plus, la recherche du seul moi individuel, là où la nature et les autres hommes n'ont pas plus de réalité que les images de rêves (solipsisme), est une doctrine qui n'a jamais été soutenu par aucun philosophe. Donc même si le repli sur soi favorise, la plupart du temps, une prise de conscience de soi, ce n'est pas toujours le cas
II. Est-ce seulement le repli sur soi qui conduit à une prise de conscience individuelle?
a) La communication avec les autres suscite des prises de conscience
La conscience de soi est ce que l'on possède de plus intime et de plus certain. Pourtant cette dernière n'existe véritablement qu'en existant aux yeux d'autrui. (Citation de Montaigne: "Il faut limer sa conscience sur celle d'autrui")
b) L'homme un être génétiquement social
Selon Marx l'homme est un être génétiquement social, c'est à dire dont la genèse prend son impulsion dans la société. En effet, l'homme trouve hors de lui "cette somme de forces de production, de formes de relayions sociales, que chaque individu et chaque génération trouvent comme données existantes" et qui sont le point de départ de son développement, de son évolution et de sa prise de conscience au niveau de son propre corps, des ses sentiments et de ses pensées.
Conclusion
En conclusion, il faut effectivement s'aménager des moments de tranquillité afin de procéder à une retraite intérieure. Il ne faut toutefois pas négliger les rapports avec autrui qui sont sources de socialisation et de remises en question. Ces deux notions sont donc indissociables pour aboutir à une prise de conscience de soi aboutie.