I. Présentation du texte
Considéré comme le premier roman réaliste : Honoré de Balzac (1799-1850) livre dans le Père Goriot publié en 1835 une analyse de la société de la restauration. Le roman d’apprentissage, le lecteur y suit les pas d’un jeune noble désargenté : Eugène de Rastignac qui rêve de réussir à Paris ; il s’aide des femmes comme le fait Bel-Ami, il abandonne peu à peu ses scrupules moraux pour réaliser ses ambitions sociales. Après une lente agonie le Père Goriot, vieillard escroqué par ses propres filles : Anastasie et Delphine, qu’il aime pourtant tendrement, est enterré dans des conditions misérables. Ce sont ses étudiants : Rastignac et Bianchon qui s’occupent des formalités et qui assument les frais de ces obsèques puisque Rastignac venu demander l’argent nécessaire n’est reçu ni chez les Nucingen ni chez les Restaud. Après un sacre religieux minuté à la hauteur des 70 francs verser par l’étudiant, le convoi funèbre arrive au cimetière parisien du Père Lachaise. Ici, il s’agit de l’explication du Roman où Rastignac seul avec Christophe, le domestique de la miteuse pension Vauquer accompagne la mise en terre du défunt délaissé.
Problématique
Quelle figure de l’ambitieux Rastignac incarne-t-il dans ce texte ?
Découpage
L’extrait se compose de 2 mouvements
1) L 1 à 11 : il relate la descente du Père Goriot dans la fosse, qui est la phase de clôture tournée vers la terre : c’est la fin de l’apprentissage d’Eugène.
2) L 12 à 17 : montre qu’Eugène de Rastignac s’éloigne de la tombe, se tournant vers Paris qu’il domine du regard, à qui il lance un défi, motivé par sa rage de réussir dans la société de Restauration. C’est la phase d’ouverture tournée vers le ciel vers Paris et annonçant paradoxalement parce que nous sommes dans l’explicit : un mouvement de départ.
II. Analyse linéraire
Phrase 1
Le premier mouvement de l’extrait s’ouvre sur le convoi funèbre qui accompagne le Père Goriot, on retrouve le champ lexical réaliste des obsèques « corps, corbillard, convoi », le toponyme « le cimetière du Père Lachaise », qui encre le récit dans le réel, on remarque également deux titres aristocratique « Comte de Restaud et celle du Baron de Nucingen », mis sur un plan d’équité par la préposition « et » (rappelant le Rouge et le Noir), qui dénonce leur même hypocrisie : alors qu’ils enterrent leur beau-père, ils font juste acte de présence, en apparence comme l’indique la présence de leurs deux voitures armoriées.
Phrase 2
Le complément circonstanciel de lieu « à six heures » extrêmement précis met en avant le côté réaliste de l’extrait, il évoque aussi la rapidité des obsèques, elles sont expédiées. Le groupe nominal pathétique « le corps du Père Goriot » met en lumière le fait que l’on bafoue les derniers hommages qui doivent lui être rendu. La périphrase « les gens de ses filles » indique qu’elles y ont envoyé leur domestique. L’enchaînement des verbes au passé simple « disparurent ; fut », ainsi que l’adverbe « aussitôt » insiste sur la rapidité de cet entraînement de façade. Balzac dénonce l’horrible impatience des gens d’Église, leur mesquineries « courte prière », et il sous-entend un rapport de qualité prix odieux pour l’enterrement. La cérémonie est bâclée, le respect filial est absent, et la cupidité de l’Église empêche un dernier recueillement.
Phrase 3
La proposition subordonnée relative circonstancielle de temps « quand les deux fossoyeurs eurent jeté quelques pelletées de terre sur la bière pour la cacher », revient avec le réalisme sur un des métiers du 19e siècle. Le complément d'objet direct « quelques pelletées de terres » indique que les fossoyeurs essaient d’en faire le moins possible. Le complément circonstanciel de but « pour le cacher » insiste pourtant sur le principe même d’un enterrement, là encore Balzac dénonce une odieuse cérémonie. Et la proposition principale « ils se relevèrent » au passé simple, ainsi que le verbe « demanda » et son complément d'objet direct « leur pourboire » insiste sur l’absence de honte, de conscience professionnelle, de respect pour le défunt et pour Rastignac puisqu’ils sont intéressés par l’argent.
Phrase 4
La phrase suivante s’ouvre sur la présentation d’Eugène et sur l’affection du narrateur pour son personnage principal. Ces deux propositions « Eugène fouilla dans sa poche et n’y trouva rien » insiste sur le côté désargenté de ce jeune homme, qui a utilisé ses dernières économies pour assurer les frais de cet enterrement.
Le recours à la voix passive « il fut forcé » montre qu’il n’est pas maître de sa situation, et la mention chiffré « vingt sous » souligne sa pauvreté, il est contraint d’emprunter aux domestiques : c’est une suprême humiliation pour cet ambitieux qui ne rêve que de faire fortune à Paris. Mais c’est l’occasion d’une leçon à Paris, tout s’achète même une mort descente sous la restauration
Phrase 5
La phrase suivante débute par un constat « ce fait » et confirme donc l’hypothèse d’apprentissage. On remarque le retour au nom propre du personnage « Rastignac », l’ambitieux retrouve-t-il son ambition ?
L’hyperbole « un accès d’horrible tristesse » constitue l’expression d’un trouble vidant : le dépouillement final dans lequel s’achève la vie du Père Goriot, lui donne toute la mesure du pouvoir de dégradation moral que lui confère l’argent.
Phrase 6
Le complément circonstanciel de temps « le jour tombait », annonce la fin de journée et l’arrivée de la nuit, l’adjectif épithète « humide » apporte une connotation sensorielle désagréable qui joue sur le réalisme de la scène. Le complément d'objet direct « les nerfs » évoque l’état psychologique et augmente le caractère dramatique de cette scène ; le substantif « crépuscule » à une double fonction symbolique : la 1er le crépuscule évoque la fin de vie, la fin misérable du Père Goriot. Le 2ème la fin des illusions d’Eugène et les émotions du jeune homme.
Le substantif « larme » évoque la marque d’émotion authentique, sincère. L’épithète « dernière » complète le nom « jeune homme » et montre qu’Eugène n’est pas perverti par la société, il n’est pas totalement Rastignac. Le rythme long de cette phrase ainsi que l’antithèse « terre ; cieux » insiste sur l’idéalisme du jeune homme. La métonymie « cœur pur » apporte la même idée : la violence psychologique des derniers adieux au Père Goriot montre que Rastignac abandonne ces dernières illusions de jeunesse, il est écœuré par ce qu’il vient de vivre.
Phrase 7
La dernière phrase du premier mouvement le montre dans une posture d’immobilisme de recueillement sur lui-même comme l’indique le verbe de rêverie « contempla », il est absent au monde extérieur. La réaction marquée par l’abandon du verbe « quitter » le laisse entièrement seul.
Phrase 8
Le deuxième paragraphe qui marque le début du deuxième mouvement s’ouvre uniquement par son nom « Rastignac ». L’apposition « rester seul » insiste sur sa solitude. Le passé simple « fit quelques pas » remet le personnage en mouvement. Le complément circonstanciel de lieu « vers le haut du cimetière » leur confère une position dominante. Il prend de la distance, il se détache du lieu où il a enterré ses dernières illusions. Son regard se focalise alors sur son objectif : Paris comme le toponyme l’indique. Paris est personnifié, on retrouve l’autre toponyme « la Seine » et la subordonné relative « où commençait à briller les lumières » évoque le début de la vie nocturne/mondaine que Rastignac brûle de conquérir.
Phrase 9
Les toponymes « Vendôme et le dôme des invalides » évoque les beaux quartiers parisiens. L’adverbe « avidement » ainsi que sa position en hauteur font de Rastignac un oiseau de proie, prêt à fondre sur la capitale, cette vision de Paris réveille en lui ses ambitions. La subordonnée relative « où vivait ce beau monde dans lequel il avait voulu pénétrer », révèle ses véritables aspirations, son ambition.
Phrase 10
Il est le sujet des phrases « il lança », c’est le réveil de l’ambitieux. La métaphore de la « ruche bourdonnante » est une métaphore animalisante qui insiste sur le fourmillement parisien. Cette métaphore est filée avec l’expression « en pomper le miel » : Rastignac compte désormais profiter goulument de tout les plaisirs et avantages qu’il peut tirer de cette vie mondaine. Le basculement au discours direct qui est l’unique de l’extrait « à nous deux maintenant ! », est très révélateur de la phrase nominale exclamative. L’absence de verbe traduit le fait que Rastignac se place désormais en conquérant. L’exclamation montre la fougue de l’ambitieux, et nous annonce un duel entre lui et Paris à conquérir.
Phrase 11
La dernière phrase de l’extrait corrobore (confirme) le combat qu’il est prêt à mener, on retrouve le nom « défi » qui montre que Rastignac est prêt à jouer ses cartes. C’est en ambitieux assumé, en être résolu qu’il va affronter toute une époque, comme nous le montre le complément d'objet second « à la société ». Le verbe d’action mondaine « alla dîner » montre que Rastignac s’invite dans la pionne société, et traduit son arrivisme assumer. Le complément circonstanciel de lieu « chez madame de Nucingen » est révélateur de son ambition : il s’invite non pas chez Delphine qu’il connaît bien mais chez l’aristocrate de Nucingen supposé être la femme qu’il aime. Cela traduit son projet de tirer profit de la société par les femmes, conformément au plan que lui avait soufflé madame de Béauséant.
Conclusion
En somme, cet extrait en deux temps confirme à travers la description pathétique des obsèques du Père Goriot, le basculement d’Eugène en Rastignac. Le jeune homme abandonne ses illusions et sa sincérité pour devenir un ambitieux calculateur prêt à conquérir Paris…