Introduction
Rimbaud, adolescent, accumule de nombreuses fugues. Une d'entre elles le conduira à Paris où il découvrira " la Commune ", un Paris dur et nouveau qui vivra peu .
Dans ce Paris misérable qu'Hugo décrira dans Les Misérables, Rimbaud décrira, lui, une scène qu'il aura vue, une scène de la misère des rues de Paris. Ce poème est issu des " poésies ", écrites en 1870. Le titre " Les Effarés " est un terme du symbolisme rimbaldien, revenant à grande reprise, notamment dans " Ophélie ", c'est l'oeil darne, grand ouvert, ou encore la voyance.
Annonce du plan
Rimbaud dépeint ici le tableau misérabiliste d'une rue de Paris.
Le poème est composé de 12 strophes avec alternance rythmique .Ce poème décrivant ces trois petits dans le froid, avec nombre de formes dans le texte, permet d'amorcer la problématique suivante : " Quelle est la richesse symbolique de la séquence ? "
Pour cela, on utilisera 2 axes d'études :
- l'étude des éléments des tableaux et de la scène
- les interprétations diverses du symbole.
I. Etude des éléments du tableau et de la scène
1. Traitement du décor, du lieu
On se retrouve avec ce texte devient le soupirail d'une boulangerie, où 5 petits sont assis . Le décor extérieur n'est pas ou peu identifié. On ne pourra qu'imaginer un trottoir. D'autre part, on verra un treillage qui ferme l'accès à la cave chaude. De ce soupirail s'émane un souffle rouge " chaud comme le sein ". L'intérieur de cette cave est occupé par le boulanger. L'endroit est formé de " poutres enfumées " au vers 19 , avec des grillons .C'est un endroit qui paraît chaud, accueillant, qui donne envie .
De plus ces structures extérieures et intérieures sont tournées vers un point unique : on passe du " cul " à la " grille ", puis au " boulanger ", pour enfin arriver au " four " ou encore un " trou " qui insuffle la vie et qui est un objet, un lieu de désir et de bien être. Le décor est alors tout entier au service de la mise en valeur de ce " four ". La grille, de plus, est un élément qui " interdit " aux petits d'atteindre le four.
2. Traitement des personnages
Rimbaud décrit dans ce poème trois types de personnages :
* Les petits sont, " culs en rond ", les principaux personnages. Ils sont le centre de cette misère apparente, et de la vision du poète. Ils sont " à genoux ", " voient ", " écoutent ", mais il ne se passe rien. De froid, ils se " blottissent " et " ne bougent pas ". Mais ils se sentent bien au vers 25, de sentir ce pain chaud. Ils ne portent que de maigres " haillons ", et " crèveront " leur culotte en priant. Leur chemise " tremblote ".
Rimbaud décrit ces enfant d'une manière apitoyante : " -Misère !- ", caractéristique de la compatiscence hugolienne ; pour peindre la misère, Rimbaud utilisera les manières et habitudes du génie du genre, Hugo. Et ces petits sont vraiment misérables : ils ont leur " museaux roses " collés au treillage.
Ils sont donc bien ici le centre d'une action naissante.
* Le Boulanger, maître des lieux, est décrit avec une majuscule. On le " regarde ", au vers 5. Son " fort bras blanc tourne la pâte et l'enfourne ". Il a un " gras sourire " et " grogne un vieil air ". C'est le maître de ce pain, il en a la garde et le fait de ses mains. Il peut être assimilé pour les petits à une sorte de magicien.
Son " vieil air " cache la sagesse, par opposition aux enfants. Il maîtrise son pain et le garde dedans.
* La dernière personne, le " médianoche ", a un rôle spécial.
Il est un noctambule à qui le Boulanger vendra le pain. Il est " façonné comme une brioche " : c'est un bourgeois. On ne le présente pas, mais son rôle est grand par le fait qu'il atteint le but des petits : on sort le pain pour lui. il a de l'argent.
3. L'action
Jusqu'au vers 15, les petits " regardent " et " écoutent ". Ils sont passifs et admirent ; tout est normal et tout est habituel.
Mais au vers 165, introduit par le mot " quand ", arrive le médianoche. La phrase durera 7 strophes, et provoquera une cassure et un engrenage, une sorte de mécanique qui démarre.
Le médianoche arrive et l'un sort le pain ; les " croûtes de pain chantent " alors, et le " trou chaud souffle la vie " : les petits arrivent dans cet engrenage, ils se voient en médianoche et se sentent bien.
Ce n'est plus une perception, mais une sensation qui s'installe (" ressentent " = " sentir "). C'est alors qu'ils s'animent pour se " coller " au treillage ; ils " grognent " même. Ils iront jusqu'à " crever leur culotte ".
Dès le 16ème vers donc, lorsqu'une rupture se fait voir, passant peu à peu d'objets immobiles et envieux à des mouvements et grognements d'enfants. Les choses s'animent donc dans le temps, et cette animation est continue jusqu'à la fin. De plus, les adverbes d'intensité " si fort " sont des consécutives qui créent une tension amenant un résultat ; cette tension s'accroît.
La venue du noctambule qui a fait sortir le pain permet la sensation de ce pain, l'odeur et la vue qui les enchante. Ils sont heureux avec le bonheur des autres. et l'immense tension qui se propage en longueur amène en contradiction un résultat dérisoire !
Mais Rimbaud ne s'arrête pas à cette image de misère et à ce tableau de personnages ; divers symboles sont cachés dans ce poème.
II. Interprétation diverse du symbole
Rimbaud emploie ici dans son poème divers symbole, passant de la misère à la frustration maternelle, par l'anti-cléricalisme.
1. L'injustice sociale
Rimbaud dénonce ici une certaine misère sociale très présente dans ce tableau.
Les petits sont miséreux ; ils font pitié, car ils sont " à genoux ", " blottis ", " en haillons ", " pauvres ", . Rimbaud les qualifiera en un mot : " misère ! "
On remarquera des contrastes de couleur : les petits sont " noirs dans la brume ". Ils sont dans le sombre, alors que la " neige " les entoure et le " trou clair " les " illumine ".
De plus, par le " grand soupirail ", - alors qu'ils sont petits -, on remarquera l'inaccessibilité.
Derrière leur grille, devant le " trou chaud soufflant la vie ", les petits, misérables, derrière leur treillage, voyant le médianoche s'emparer du pain, deviennent dans la " neige " et la " brume " de " pauvres jésus de givres ", payés par le " vent d'hiver ".
Mais le trou rimbaldien, " clair " et " chaud ", leur insuffle l'espoir. Ils sont eux-mêmes derrière les trous. Pourront-ils les pénétrer ? Ils ne seront pas entendus, et resteront " bêtes ", leurs " culs en rond dans la neige ", au " vent d'hiver ".
Ils sont opposés aux riches, une injustice sociale est donc clairement instaurée.
2. Anti-cléricalisme
Rimbaud critique dans ce texte la religion, et un certain manque d'équité de la part de celle-ci.
La religion est ici palpable avec le " four " : il est un dieu qui fascine par sa " lumière ". Le " boulanger ", tel un prêtre, protège son " pain " dans un tabernacle, ici le four, pour le mettre hors de portée. Telles sont les images religieuses.
Mais les plus dures notions viennent avec la constatation du pain allant à un homme possédant de l'argent. Le pain aux riches, rien aux pauvres. Une religion qui, à l'époque, est surtout tournée vers une bourgeoisie donneuse de dons, se voit ici durement attaquée par Rimbaud, qui la dénonce.
Les " petits jésus de givre ", " tout bêtes ", " faisant leur prière ", montre ici l'hypocrisie d'une religion achetée. Dans la bible, tout le monde aura le pain, mais ici, c'est l'inverse ; Jésus est tout de même avec les pauvres.
3. Frustration maternelle
Le poète a toujours été perdu par un manque de maternité dans sa jeunesse, sa mère étant une " dure femme ".
L'image de la mère est ici clairement définie, et commencer par le biais du " boulanger ". Il symbolise le plus souvent le compagnon de la femme, et plus encore dans la 1ère partie du XXème siècle.
Le " souffle du four " peut alors être assimilé au ventre de la mère ; il y a de plus un rapprochement avec le " sein ", et les petits sont " blottis ", comme dans le ventre de leur mère.
Mais ces petits sont toujours à la grille : il y a un éloignement maternel caractéristique pour Rimbaud d'une mère distante et dure. Le détachement foetal amène ici une frustration maternelle, le retour étant alors impossible.
4. La philosophie platonicienne
On pourra aussi assimiler la cave du boulanger à l'idéal, et la vraie vie, dehors, à la grotte platonicienne, infranchissable par une grille. La structure est donc inversée.
Conclusion
Ce poème de Rimbaud est riche en symboles, et cette richesse symbolique se transformera en symboles par la suite. C'est une différence entre une image un peu plate et un symbole. Par une simple image, il en tirera de nombreux symboles.
L'image est le doublage de la réalité, alors que le symbole est le lien unissant les caractères et idées du texte. Cette image doit s'interpréter dans la transversalité.