« Adieu » est un poème du recueil Poèmes à Lou qu’écrivit Guillaume Apollinaire pour Louise de Coligny dont il fut séparé par son engagement dans la Première Guerre Mondiale. Ainsi ce poème lie les deux thèmes dominants de l’univers poétique apollinien : l’amour et la fuite du du temps.
Composé de cinq tercets d’alexandrins, le poème est en accrostiche. C’est un poème épistolaire à l’intention de son amante. « Adieu » a un caractère lyrique qui va permettre de développer le sentiment amoureux mais aussi la souffrance du soldat. Il s’agit donc d’une poésie qui célèbre l’amour, et en même temps d’une requête, requête justifiée par la description d’un environnement hostile et sombre.
Le poème début par une célébration inconditionnelle du sentiment amoureux : « l’amour est libre » mise en valeur par la métrique du vers qui la place comme expression concise et porteuse de sens dès le premier hémistiche. De plus, l’adverbe « jamais » vient encore renforcer l’idée d’un amour inaltérable. Ce « sort » qui rime avec « la mort » peut ici faire référence au fait que l’auteur se pense destiné à mourir à la guerre. Le prénom LOU mis en accrostiche tout au long du poème est également utilisé dans les vers 2 et 11. Il s’agit ici d’une apostrophe, un appel : « O Lou » mis en début de vers qui confère au poème le rythme d’une chanson. En effet, nous pouvons également noter trois autres reprises de vers anaphoriques : vers 3 et 12, vers 8 et 14, vers 9 et 15. Il y a également un jeu entre les pronoms : répétition du possessif « le mien » vers 2 et 3. Ainsi, si le poète ne peut être près de sa bien aimée, il tente de se rapprocher d’elle dans l’écriture.
La demande du poète se fait brutale, c’est le premier mot du vers, et comme un enjambement, il change son rythme : « Lettres ». L’utilisation de l’impératif « Envoie » est cependant adouci par la marque de tendresse en fin de vers : « ma chérie ». Cette marque d’affection se retrouve au vers 10 avec « mon cœur ». Une requête qui se tranforme bientôt en supplication, prière au vers 12 : « je t’en prie ». En revanche, le vers 11 est plus impersonnel : « On » et « nôtre » laisse entendre que l’auteur n’est pasle seul à subir les affres de la guerre. Ce vers a donc une valeur plus universelle, c’est le seul dont la césure ne brise pas le sens des deux hémistiches, le moins rythmé, le plus fluide et celui qui n’est pas repris, à la différence de tous les autres vers de chaque tercet. Ce qu’il demande à Lou est un acte patriotique. Le vers 12 est tel la supplication incessante de celui qui mendie : « au moins une au moins » et l’ardeur avec laquelle il supplie, souligne que les lettres de Lou sont nécessaires, vitales.
Mais c’est donc aussi sur son amour que plane la menace, que l’on trouvait déjà dans le titre : « Adieu ». Ici c’est la couleur « noir » qui prophétise l’hypothèse d’un mal qui se manifesterait dans la « nuit » toujours associée au mystère et à l’inconnu. L’obscurité de la nuit et l’impersonnalisation des pronoms témoignent du chaos dans lequel se trouve l’auteur sur le champ de bataille. Quant au vers 9, il suit un rythme trinaire repris par le sens : « Une deux trois » tandis que les expressions « A toi ma vie », « A toi mon sang » rapellent à Lou le rôle essentiel qu’elle joue dans la survie du poète, rappel souligné par le parallélisme de construction des deux expressions qui mettent en valeur le « toi » ,mais aussi la proximité entre elle et lui : « toi ma », « toi mon ».
Au vers 10, « la nuit » est tombée et encercle la marque d’affection « mon cœur ». La nuit est personnifiée et même féminisée : « très douce et très blonde ». Ce n’est pas la nuit effrayante, mais la nuit qui permet de retrouver la femme aimée, la nuit devient presque cette compagne dont il est séparé. Les vers 11 et 12 font écho à des constructions similaires vues précédemment. En outre, la fin du vers 12 (qui le différencie du vers 3) appuie sur la fidélité de l’amour du poète pour Lou, amour qui brave toutes les circonstances.
Cependant, la joie qui animait l’auteur s’efface et il semble que l’idée de l’amour menacé réapparaisse de nouveau. Ainsi, le vers 13 s’ouvre sur un ton tragique : « L’heure est venue », qui annonce una fatalité. Survient ensuite le terme qui évoque une séparation définitive et qui est le titre du poème, repris au dernier vers. Est également reprise l’expression « On va rentrer » vers 14 et 8. Dans ce dernier tercet, les deux amants sont réunis une dernière fois avant de se quitter à tout jamais puisqu’ils partent dans des directions opposées : lui « va rentrer », elle va partir (« ton départ »). Le tercet évoque fortement cette séparation au moyen d’une rupture de rythme à tous les vers.
Enfin, à l’inverse des lettres d’adieu où les auteurs ne prennent paslesoin d’indiquer de renseignements géographiques – puisqu’il n’y aura pas de prochaine rencontre - , le poète se plaît ici à insister sur des données spatiales qui viennent clôturer le poème. Quel sens dooner à cela ? S’agit-il vraiment d’un adieu ou n’est-ce pas plutôt un appel au devoir de mémoire ? Il ne faut d’ailleurs pas oublier qu’un des buts premiers de ce poème est de s’inscrire en requête : il s’agit donc ici d’un adieu, mais qui attend une réponse.
Au-delà d’un amour qui est appelé à sombrer dans la guerre, la femme aimée est un guide vers une autre dimension : l’acte décriture a été pour le poète soldat une manière de se raccrocher à la vie, une façon personnelle de vaincre l’ennemi.