Le passage étudié est la fin de la scène d'exposition. C'est une scène de mouvement très rapide qui nous apprend en même temps ce que nous avons besoin de savoir : un intrus dangereux s'est introduit dans une famille riche et jusque-là unie; le chef de famille et sa mère sont fous de lui; les autres membres de la famille le méprisent et le détestent.
Nous pouvons donc nous interroger quant à la véritable intention de ce texte.
Dans un premier temps nous étudierons les caractéristiques comiques de cette fin de scène.
Seulement nous serons amenés à voir que cette scène annonce une pièce visionnaire particulièrement satirique.
Enfin nous nous demanderons si cette scène ne serait pas une farce tragique.
Chez Molière, nous savons, que la plupart du temps, la première scène de l'acte I commence et se termine par une dispute, ici c'est en l'occurrence une querelle de famille, un "sketch" de la vie courante présidé par Madame Pernelle qui nous est donné à voir. Le dialogue présenté est établi entre Dorine et Pernelle, toutes deux discourant à propos d'une certaine Orante. En effet, c'est la vieille dame qui amène Orante au coeur de la conversation avec une certaine hostilité (V.118 "On sait qu'Orante mène une vie exemplaire"). On peut sans doute imaginer un ton ironique dans ses paroles. Nous ne savons d'ailleurs pas pourquoi celle-ci vient soudainement en parler. Seulement Dorine ne l'entend pas de cette oreille et c'est ce qui va provoquer une nouveau débat entre les deux femmes qui se ressemblent tellement sans le savoir (V.121 "L'exemple est admirable et cette dame est bonne"). Dorine tente de faire réagir la vieille dame en mettant en comparaison la façon de vivre leur vieillesse. (V.122 à 123 « Il est vrai qu’elle vit en austère personne ; Mais l’âge dans son âme a mis ce zèle ardent ») Ajouter de la stylistique !!
Madame Pernelle semble être le personnage central et moteur de cette scène. Tout tourne autour de cette vieille femme qui ne cesse de provoquer le rire dans son entourage. Nous savons que cette femme appartient tout d’abord au peuple et que son langage le laisse particulièrement transparaître. En effet nous nous apercevons qu’elle utilise un vocabulaire appartenant à la campagne (V 164 « Voilà-t-il pas Monsieur qui ricane déjà! »). Femme peu cultivée, elle ne se soucie pas de se faire comprendre (V. 161 « C’est véritablement la tour de Babylone ») nous supposons qu’elle ignore la racine de ce mot et qu’elle l’utilise comme « babyler » qui n’existe pas. Peut-être se laisserait-elle aller à faire du néologisme? Elle qui avait déjà citer la cour du Roi Pétaud quelques lignes auparavant. Dans sa façon de s’exprimer nous remarquons également qu’elle utilise des propos vulgaires et péjoratifs qui traduisent de façon naturelle ce qu’elle pense de certaines personnes, la première à en faire les frais est Elmire qu’elle appelle « ma bru » (V. 143) et enfin c’est à sa servante Flipote qu’elle s’attaque en la surnommant « gaupe » (V. 171).
Enfin, nous apercevons un certain comique de situation tout à la fin de la scène lorsque Madame Pernelle frappe la pauvre Flipote sans raison, peut-être par habitude de maîtresse, par charité! ( V169.171)
Mais le personnage le plus comique de Tartuffe, c’est Dorine. Elle n’est pas du tout, comme on le dit parfois, une vieille nourrice. Si elle l’était sa poitrine ne serait pas si généreusement découverte. C’est une fille du peuple à la fois intelligente et perspicace mais elle garde le parler le plus naturel, le plus dru. (V.126 « Elle a fort bien joui de tous les avantages », V 134 « Ne voit-on d’autre recours que le métier de prude »). Elle n’a pas peur de se faire renvoyer par Orgon, elle fait partie de la famille et elle en profite pour tenir tête à la vieille dame. Les annotations de mise en scène en témoignent « Elmire s’asseyait à côté de Dorine. Elle tentait parfois de la faire taire. ».
Par ailleurs, nous remarquons une mise en abyme du théâtre lorsque Madame Pernelle parle de la « Tour de Babylone » (V. 161) et que tous les enfants ainsi que Dorine se mettent à rire de son erreur. Ils font office ici de spectateurs à l’intérieur même de la scène.
Nous venons de voir que cette fin de scène possédait des caractéristiques comiques, à travers le personnage de la grand-mère intraitable et de la nourrice engagée, seulement nous savons que cette pièce fut censurée à plusieurs reprises. Cela nous montre donc que Tartuffe n’est pas vraiment une pièce comique. Cette scène ne paraît donc plus comme comique mais comme satirique à la limite même du polémique.
La satire se manifeste ici par la description, peu flatteuse, que donne Madame Pernelle de la cour de Louis XIV. Elle utilise dès le début de son blâme de la cour, le « iste » latin, c’est-à-dire les déictiques « ces » qui ont une valeur péjorative (V. 151 « Ces visites, ces bals, ces conversations »). Elle semble considérer la Cour comme un lieu de débauche (V. 154 « Ce sont propos oisifs chansons et fariboles ») et de mensonges (V. 152 « Sont du malin esprit toutes inventions »). Elle pense également que les gens de la Cour se comportent de manière enfantine lorsqu’ils se retrouvent, pour marquer son opinion elle utilise le verbe « babiller » (V.161 « Car chacun y babille, et tout au long de l’aune »).
On assiste encore à une mise en abyme du théâtre lorsque Dorine fait le portrait d’Orante et qu’elle insiste sur le côté « courtisan » (V. 131 « Ce sont là les retours des coquettes du temps Il leur est dur de voir déserter les galants »).
Néanmoins, on constate que la grand-mère critique la Cour par l’intermédiaire de la religion. On sait que la Cour de Louis XIV se veut être une monarchie de droit divin, seulement Madame Pernelle semble croire le contraire (V.153 « Là jamais on n’entend de pieuses paroles »).
Par ailleurs, on remarque que le registre satirique apparaît grâce à la présence indirecte de Tartuffe, inclus par Madame Pernelle dans sa longue tirade. Elle ne tarit pas d’éloges à son égard. Elle insiste sur les « que » pour montrer son affection particulière pour les principes du dévot (V. 146 « Qu’en recueillant chez soi un dévot personnage ; Que le ciel au besoin l’a céans envoyé »). Sans même s’en rendre compte, la vieille dame fait une satire de la religion dans sa tirade rien qu’en faisant un portrait flatteur de Tartuffe qui est, comme nous le savons bien, un imposteur (V. 149 « Que pour votre salut vous le devez entendre »).
Nous avons découvert dans les deux premières parties que Madame Pernelle était à la fois un personnage comique et satirique seulement grâce aux annotations données par Roger Planchon, nous nous apercevons que la grand-mère est en fait une femme malheureuse et aigrie. Nous pouvons donc nous demander si Madame Pernelle n’est pas en réalité un personnage tragique.