Electre : personnage éponyme : qui donne son nom à la pièce
Situation de la pièce
Il s’agit de la seconde scène d’exposition (sur quatre). Jean Giraudoux respecte la règle du théâtre classique qui retarde l’entrée du personnage principal. Electre, en l’occurrence, n’intervient qu’à la scène 4 de l’acte I.
L’action se situe à Argos, au sud de la Grèce dans le Péloponnèse, et plus précisément dans la cours intérieure du palais d’Agamemnon, un palais « sensible », dont la façade rie et pleure (éléments merveilleux). Dans la scène 1, on assiste à l’arrivée d’un étranger, qui n’est autre qu’Oreste (comme chez Eschyle). Il est accompagné des trois Euménides (les bienveillantes) qui grandissent à vue d’œil. De l’autre coté, arrivent en même temps, le jardinier, en costume de fête, avec les invités villageois car il doit se marier avec Electre.
I. Le personnage d’Electre
Arrivée du président (second) du tribunal Théocathoclès et de sa jeune femme Agathe. Ils sont des parents éloignés du jardinier. Ils viennent le dissuader d’épouser Electre car c’est une « femme à histoire » qui empêche que l’on oubli les crimes. Le mot Théocathoclès signifie la gloire des Dieux d’en bas (en temps que juge, il est un généreux pourvoyeur des enfers). Le couple Théocathoclès tient le devant de cette scène. Le jardinier n’intervient que deux fois.
Le jardinier est un personnage emprunté à Euripide : dans sa version d’Electre, on a un laboureur à qui Electre a été marié, c’est donc une mésalliance.
Cet extrait de la scène 2, est traité sur un ton burlesque (un comique grossier ; sens littéraire : le fait de traiter dans un comique grossier, bas un sujet noble [amour]) à cause du couple Théocathoclès, mais ce couple a cependant un rôle important : on y découvre Electre à travers un rapide portrait d’abord physique puis moral, qui tend surtout à souligner en elle son coté « femme à histoire ».
Le jardinier ouvre le passage étudié « Egisthe, le régent (celui qui fait office de roi) » lui ordonne d’épouser Electre. Cette mésalliance, en faite, devrait permettre d’éloigner la destinée qui pèsent sur la famille des Atrides, car, dit Egisthe un peu plus loin : « dans une zone de troisième ordre (la famille Théocathoclès), « le destin, le plus acharné », dans sa propre famille, Electre finirait par se « déclarer », c’est-à-dire par déclarer sa nature profonde qui appelle la justice « intégrale » (la diké grecque). Dans la scène suivante (scène 3), le mendiant-Dieu, révèle aussi à l’assemblée, par une parabole du hérisson, qu’Egisthe veut tuer Electre pour raison d’état. Le marié qui est un homme humble (modeste) permettrait de la supprimer plus facilement. On comprend mieux à présent la force du verbe « ordonner » dans l’expression « Egisthe ordonne », à cause des deux raisons qui concernent tout deux la raison d’état. Le président Théocathoclès à la ligne 292, parle pour la première fois de la « femme à histoire », l’expression est reprise à la ligne 292, expression qui deviendra « conscience » à la ligne 293, chez Oreste.
On pense à Hélène (sœur de Clytemnestre), la tante d’Electre, l’épouse de Mélénas enlevée par Paris, ce qui détermina l’expédition des grecs contre Trois. Le verbe « craindre » est rejeté trois fois, Electre est un personnage inquiétant pour les Théocathoclès. Les lignes 261 à 268, sont une série de courtes répliques qui constitue une sorte de joute verbale entre les personnages (cela s’appelle des stichomythies). Face à la gravité que représente le rôle d’Electre on trouve le registre comique dans les répliques du couple Théocathoclès.
II. Le rôle comique du couple Théocathoclès
Agathe en particulier a un rôle comique puisqu’elle ne fait que répéter ce que dit son mari avant de le contredire (comique de parole et de répétition), ligne 269 et ligne 277.
Agathe est une femme légère dans tous les sens du terme : « sans cervelle » et « adultère ». Le président fait d’abord l’éloge de la fille facile (ligne 266-267), Agathe reprend le mot agréable sur un ton qui laisse entendre son amour de la vie et sa légèreté. Dans les deux tirades plus longues qui suivent, le président va développer sa philosophie de la vie coupée par une courte intervention d’Agathe. Il oppose la pleine morale à la souffrance physique car pour lui les malheurs d’ordre moral peuvent s’oublier facilement, alors qu’on ne peut faire l’impasse sur la souffrance physique. Il emploi un vocabulaire triviale (vulgaire), de l’or gelée… cette façon de s’exprimer situe bien le personnage confortablement installé dans l’existence, sur lequel les chagrins passent vite et qui a totalement bonne conscience (ligne 277).
Il est totalement différent d’Electre qui elle, n‘a pas oublier son deuil. Par ailleurs le président semble avoir une triste opinion de l’humanité formée selon lui de groupes surtout capable du pire. On peut citer les lignes 174-175 (« crime », « mensonge », « adultère »), le ton est docte (savant) et plein d’assurance. Les propos du président sont interrompus par Agathe qui prête à sourire quant on connaît sa personnalité. Elle veut ignorer la gravité de sa conduite de femme infidèle « c’est un bien grand mot adultère chéri » plus loin (ligne 284-285), elle reprend presque mots pour mots l’expression. Les lignes suivantes offrent une vision simpliste de l’existence, une vision fondée sur l’oublie et donc les compromis, tout le contraire de ce que recherche Electre. Cette opposition est symbolique, elle correspond à deux visions complètement différentes du monde ; d’une part du coté d’Electre, l’engagement et la conscience, d’autre part l’aveuglement volontaire à propos des problèmes et des compromis.
Les comiques de parole et de répétition se doublent d’un comique de situation : les Théocathoclès forment un couple de petit bourgeois, tel qu’on en trouve dans les comédies de boulevard du XIXe siècle : Feydeau, la Biche. Le ridicule vient aussi du coté anachronique de ce couple déplacé dans l’antiquité avec son esprit mesquin d’une autre époque (Sasha Guitry, grand auteur grec). La situation que vit ce couple rappelle également les vaudevilles (théâtre de boulevard populaire). De la ligne 278 à 280, une longue phrase marque l’existence paisible et oppose à la chute « l’enfer ». A partir de la ligne 283, l’étranger parle non pas de « femme à histoire » (propos vulgaire qui renvoi à une façon basse de penser) mais de « conscience » : ceci indique une hauteur de vue du personnage qui est de sang royal.
Agathe clos le passage sur une réflexion qui prête à sourire : le mot « adultère » l’obsède malgré elle, et elle en parle pour mieux l’exorciser, elle n’a pas de remords.
Conclusion
Nous avons donc dans cet extrait un portrait d’Electre esquissé (ébauché) : c’est une « femme à histoire » : elle a une conscience (Oreste), elle est courageuse et entêtée (on peut faire un rapprochement avec d’autres personnages comme Phèdre et Médée), elle est aussi l’opposée de quelqu’un comme Agathe : une femme intelligente et profonde qui s’oppose à une femme légère et superficielle (Agathe). Mais on verra plus loin (acte II) qu’Agathe sera influencée par Electre. En effet elle « contamine » son entourage, son intelligence et sa conscience influent les autres, les transforment comme seront transformés Égisthe après Agathe. Electre quoique absente, et donc le personnage essentiel de cette scène, on ne fait que parler d’elle.