La notion essentielle ici est celle de l’oubli. On n’oublie que ce que l’on a d’abord connu. Il ne faut donc pas confondre oubli et ignorance du passé. La formulation du sujet suppose de plus que l’oubli est possible, au moins dans une certaine mesure. Il ne s’agit donc pas d’abord de chercher à montrer si l’on peut ou non oublier le passé (même s’il faudra se demander jusqu’à quel point l’oubli est possible). Il ne faut pas pour autant perdre de vue le reste du sujet : le thème de l'oubli devra être traité tout au long du devoir dans son rapport avec l'avenir, c'est-à-dire dans le rôle qu'il joue, peut jouer ou devrait jouer dans la construction d'un avenir. Il s’agit de savoir si un tel oubli est souhaitable pour « se donner un avenir ». Se donner, c’est-à-dire se tourner pleinement vers l’avenir, pour bâtir le meilleur futur possible. Se créer la possibilité d’un avenir digne de ce que nous sommes. Il faut donc interroger une éventuelle vertu de l’oubli, et se demander dans quelle mesure il est possible et souhaitable pour la construction de l’avenir.
[tp]1. Le passé, un poids pour l’avenir[/tp]
1.1. Le passéiste : un homme à l’envers
C’est la nature même de l’homme que d’être tourné vers l’avenir. Il anticipe, il fait des projets, il imagine. Il choisit ses actes en fonction de leurs conséquences pour le futur. [Exemple : le respect de l’environnement pour les générations futures.] Un homme tourné vers le passé est donc un homme « à l’envers », déséquilibré. C’est un homme qui a peur d’affronter le futur et par conséquent se réfugie dans le passé - passé rassurant, même s’il est laid et triste, dans la mesure où on le connaît et où on ne peut plus le modifier.
1.2. Le passé n’existe plus
C’est cependant une illusion que de penser pouvoir se réfugier dans le passé. Le passé n’existe pas, c’est sa définition même. Attention : l’avenir n’existe pas non plus. « Ni l’avenir, ni le passé n’existent » (Saint Augustin, Les Confessions). Mais l’avenir n’existe pas encore : il est à faire, à bâtir, il représente l’infinité des possibles. Le passé, lui, n’existe plus. Mieux vaut dès lors l’oublier, puisque l’on ne peut plus le modifier.
1.3. L’oubli : une nécessité
Plus encore, il faut l’oublier, c’est une nécessité vitale. « Nul bonheur, nulle sérénité, nulle espérance, nulle fierté, nulle jouissance de l’instant présent ne pourrait exister sans faculté d’oubli. » (Nietzsche, Généalogie de la morale). La conscience n’est pas infinie, il faut oublier le passé pour faire place à la nouveauté, se débarrasser du poids du passé pour pouvoir librement se tourner vers l’avenir. Sans oubli, nous sommes hantés par les fantômes du passé ; impossible alors d’avoir l’esprit libre face à son futur.
[tp]2. Qu’oublie-t-on du passé ?[/tp]
2.1. L’oubli, un refoulement
Il faut toutefois se demander ce que nous oublions du passé. Car si nous oublions quelque chose, c’est que pendant un temps nous l’avons connu. Et ce que l’on a connu a laissé en nous des traces. Tous nos efforts (car l’oubli peut être une faculté active, volontaire) ne peuvent faire revenir la conscience à l’état antérieur où elle n’avait jamais connu la chose. L’oubli n’est jamais total – bien plus, il est proche pour Freud du refoulement. Nous n’oublions pas ce qui est inutile mais ce qui nous est désagréable, ce dont nous avons peur. Or, si oublier l’inutile et le superflu peut être nécessaire (cf. Nietzsche, 1.3), parmi ce qui nous effraie ou ce qui nous gêne, tout n’est pas nécessairement dénué d’enseignement ou d’intérêt (pour l’avenir).
2.2. L’homme forgé par son passé
L’homme a, de plus, deux mémoires. La mémoire du souvenir peut être en partie effacée par l’oubli. En revanche, la mémoire de l’habitude ne disparait pas si aisément. Et l’habitude influence énormément notre comportement, donc notre manière d’envisager l’avenir. De plus, oublier le souvenir, c’est oublier comment nous est venue l’habitude – donc rendre beaucoup plus difficile la perte ou la modification de ces habitudes, dont on oubliera même qu’elles en sont.
2.3. Se souvenir pour se séparer
Il est donc paradoxalement essentiel de se souvenir de son passé si l’on veut s’en séparer, s’en défaire. L’oubli ne supprime que la conscience du passé, mais tous les mécanismes inconscients, toutes les habitudes prises, tous les conditionnements restent présents. On ne peut donc se détacher de son passé qu’en le connaissant, en l’analysant, en le décortiquant pour y voir ce qui nous vient de lui.
[tp]3. Le passé, seul appui dans l’instant présent[/tp]
3.1. Passé, présent, futur
Quand on considère la situation de l’homme dans le présent, il faut bien voir que ce qui existe en réalité c’est le passé. De fait il est passé, on ne peut plus agir sur lui, il est hors d’atteinte. Mais l’avenir lui reste à faire. Quant au présent, il n’est guère qu’un point évanescent entre les deux, instant qui est déjà passé dès que l’on tente de le saisir. Si nous pouvons nous appuyer sur quelque chose dans notre chemin vers l’avenir, c’est donc sur le passé.
3.2. Histoire, enseignement et expérience
S’appuyer sur le passé, ce n’est pas faire preuve de passéisme ou d’une nostalgie mal placée, c’est s’en servir comme d’un tremplin vers l’avenir. Le passé, c’est l’expérience, c’est l’enseignement de l’histoire. Si nous n’apprenons pas du passé (à la fois mon passé personnel et l’Histoire, les deux concourant à faire de moi ce que je suis), nous répèterons sans cesse les mêmes erreurs. [Varier les exemples tirés de l’histoire et ceux issus du passé particulier d’une personne].
3.3. L’acte humain : un point d’équilibre
L’acte humain, par lequel je choisis au sein des possibles ce que je veux réaliser et le fait passer dans le présent (Hannah Arendt, La vie de l'esprit), est donc un point d’équilibre. Par lui je me donne un avenir, mais j’exprime également mon passé. Qu’ai-je d’autre que le passé qui me permet de choisir tel acte, telle orientation, tel avenir ? Ma manière de réfléchir elle-même est imprégnée par mon passé et par mon histoire. Que je cherche à le reproduire, à le prolonger ou à l’éviter dans l’avenir, je dois connaître mon passé.
"Le verdict du passé est toujours le verdict d'un oracle : vous ne le comprendrez que si vous êtes les architectes de l'avenir, les connaisseurs du présent." (Friedrich Nietzsche)