I. Ma conscience réflexive m’indique fidèlement qui je suis.
A) J’ai conscience que je suis, que je sens et que je pense. La conscience, en accompagnant mes activités mentales et physiques, me donnent une connaissance certaine que j’existe. Pensée et conscience caractérisent essentiellement mon être, ma subjectivité. Cf. Les deux premières méditations métaphysiques de Descartes.
B) Par introspection j’apprends à me connaître. En faisant retour sur mes actes, en les analysant tels qu’ils apparaissent ( leur origine et leurs conséquences) et en les interprétant ( en leur donnant un sens), je prends progressivement connaissance de mon être tel qu’il s’exprime dans le monde et avec les autres. La réflexion repose sur un acte volontaire et sur la vertu de sincérité, c’est-à-dire l’exigence d’écarter toute illusion, duplicité et mauvaise foi.
C) Cette connaissance de soi me permet également de connaître les autres. La connaissance sans détour et avec lucidité de ce que je perçois dans des situations types, me permet d’étendre ce savoir aux autres. Autrui est mon semblable et par un raisonnement analogique j’infère qu’il réagit et pense comme moi dans les mêmes circonstances.
II. Mais, bien que sincère et lucide, ma conscience de moi-même ne garantit pas une connaissance vraie de moi-même. La sincérité est une condition nécessaire mais non suffisante de la connaissance de soi
A) La conscience n’est pas la connnaissance. L’acte de conscience de soi dans le monde et avec les autres n’indique encore rien sur ce que je suis véritablement. Mon attention, ma concentration m’indiquent que le monde, autrui et moi-même existont, mais ce n’est que la première condition psychologique d’un travail d’analyse et de compréhension de moi qui est autrement plus complexe. La conscience de soi n’est pas encore la connaissance objective de soi.
B) L’introspection n’est pas fiable. C’est une pratique qui produit des illusions sur soi dans la mesure où je me perçois tel que je voudrais être. Mon statut d’observateur de moi-même et d’observé par moi-même – en même temps – induit un parti pris radical qui empêche toute connaissance de moi objective. Bien que sincère, mon jugement sur moi est subjectif, partial et partiel.
C) Enfin, malgré la volonté que j’ai de me connaître en toute transparence, sans chercher à me mentir à moi-même, il y a une partie de ma personnalité qui me reste étrangère. En effet, je ne suis pas qu’une pensée consciente, je suis également un corps qui est affecté par ce qu’il vit et ce qu’il perçoit. Or je n’ai ni conscience ni connaissance de tout ce qui détermine mon corps, ni même de toute ses réactions. Bien souvent mon corps est affecté et m’influence sans que je m’en rende compte. De plus la psychanalyse montre l’influence qu’exerce l’inconscient psychique sur nos représentations et nos actions conscientes. Nous sommes poussés à agir à notre insu et à cela la volonté sincère n’y peut rien. Enfin, notre mode de vie socio-économique influence largement notre représentation du monde et de la vie sociale ( valeurs, idéologie, goûts, etc). Notre désir de sincérité ne nous empêche pas de nous faire des illusions. Notre conscience est faussée par notre propre idéologie, et à cela la sincérité n’y peut pas grand chose (Marx).
III. Dois-je alors penser que malgré tous nos efforts et notre attention la connaissance de soi est impossible ? Que devient alors l’exigence de sagesse ?
A) J’apprends à me connaître par les autres et par mes œuvres. Si l’on rappelle que mon identité est remplie par la suite de mes actes (Sartre) ainsi que par leur interprétation, alors je dois évaluer et faire évaluer mes œuvres ( travail, création, activités sportives et autres). Ainsi bien que certains aspects de moi ne sont pas accessibles immédiatement je reste sincère dans le projet de me connaître tel que je suis dans le monde.
B) En fait il ne faut pas confondre sincérité et vérité. Je peux me tromper, être dans l’erreur bien que j’ai été sincère. La naïveté consiste précisément à croire cela. Le dévoilement de soi sincère ne suffit pas à le rendre vrai et juste. Les « reality show » sont des confessions publiques et impudiques qui reposent sur cette confusion entre sincérité/ authenticité et vérité. Il ne suffit pas que les gens disent sans détour ce qu’il pense pour que leur impression spontanée ait une valeur morale et produise par là-même une connaissance fiable.
C) Esprit d’observation, d’analyse et critique me permettent d’éviter toute illusion sur moi-même, d’intégrer les remarques des autres. La sagesse suggère des règles de méthode et nous rapproche d’une connaissance juste et sincère de nous-mêmes.
Se connaître est l’affaire d’une vie, ce n’est pas un savoir acquis définitivement. Je me transforme en même temps que ma connaissance de moi-même et inversement. L’illusion est donc de croire que « je » est un observateur fixe, immuable, neutre, objectif ( scientifique) et que moi-même suis inaltérable et sans changement.