Pour le philosophe la conscience a toujours été un sujet des plus intéressants et des plus complexes car il veut prendre conscience de son « moi » intérieur, il veut se rendre compte de ses préjugés, de ses phobies ou encore de ses complexes. Or cette entreprise n’a pour lui que le but de se connaître intérieurement. Et cette volonté de se connaître toujours mieux est intiment liée à la philosophie. Car si le philosophe veut se connaître c’est pour se rendre maître de lui-même. Mais la conscience immédiate nous permet-elle vraiment de nous connaître ? Les indications qu’elle donne sur moi-même sont-elles vraies ou fausses ? La conscience immédiate seule est-elle vraiment connaissance de soi ? La conscience réfléchie n’agit-elle pas aussi ? Nous aborderons tout d’abord dans quelle mesure la conscience immédiate ne nous permet de nous connaître que de façon très subjective et faussée, avant de nous intéresser à la conscience réfléchie. Enfin, nous chercherons à concilier ces deux consciences.
Instinctivement, j’ai tendance à penser que par ma conscience spontanée, je suis la mieux placée pour me connaître. Toutefois, je dois me demander si ce que je connais de moi est vrai ou faux, si je cherche vraiment à me connaître, ou si au contraire je me trompe à moi-même.
Ma conscience immédiate est cette intuition qui accompagne tous mes sentiments, actes, émotions, désirs, perceptions… Elle est dénuée de tout sens critique et s’obtient sans méditation. D’où le fait qu’elle soit appelée conscience spontanée ou immédiate. Je n’ai pas besoin d’entreprendre une réflexion pour la comprendre. Or limiter sa connaissance de soi à la conscience immédiate seule voudrait dire que ma connaissance de moi-même serait entièrement faussée par la vision subjective et non critiquée que j’ai d’une réaction, émotion, sentiments, actes…à un instant défini. Donnons comme exemple un moment où je ressens de la joie face à une bonne nouvelle. Ma conscience immédiate ne me permettra que de comprendre que je ressens de la joie mais pas d’en analyser les raisons. Ma connaissance de moi n’est alors que partielle. Cependant, elle me donne assez d’indications sur moi pour affirmer que ce que je connais de moi n’est pas totalement faux : la joie que je ressens est réelle et ne peut être fausse.
De plus je peux penser me connaître et me tromper. En effet, différents obstacles se dressent devant moi et m’empêchent de prendre conscience que je me méconnais. Ces obstacles, qui sont les préjugés qui s’imposent comme des vérités indiscutables à mon esprit, ou les illusions du monde, ne semblent pas en être pour moi lorsque je ne cherche pas à prendre conscience de ce qui est inconnu en moi-même. Mais dès que je cherche à expliquer pourquoi j’ai ces préjugés, pourquoi je raisonne ainsi, je prends conscience de mon ignorance et comme l’affirme Socrate, je fais alors un pas vers la connaissance. Mais ce n’est alors plus ma conscience immédiate qui agit. Pour cette réflexion je dois faire appel à ma conscience réfléchie. D’autres obstacles, plus difficiles à contourner car je me les impose à moi-même, m’empêchent de me connaitre : la mauvaise foi, la fuite face à la réalité ou encore la peur de regarder les choses en face. Ces mensonges me trompent, ne m’aident pas à me remettre en question et donc à apprendre à mieux me connaître. Une nouvelle fois, ma conscience réfléchie va devoir être sollicitée.
A cela s’ajoute le fait que ma connaissance de moi est faussée par mon incapacité à expliquer mes réactions, désirs etc. Et la première chose qui me permet de me rendre compte que ma conscience immédiate ne me donne qu’une vision subjective, en surface, est mon impossibilité à expliquer une réaction, un acte ou une émotion. Ainsi, lorsque je suis nerveuse, que je suis prise d’une colère incontrôlable, disproportionnée et que je ne peux pas expliquer les raisons d’un emportement aussi peu maitrisé, il est important pour moi de me comprendre que ma connaissance de moi-même est limitée. En effet, je peux déduire grâce à ma conscience immédiate que cette colère est justifiée, pourtant, si je n’ai pas d’explication sur mon incapacité à contrôler cet emportement, je suis ignorante et je dois étudier cette réaction plus en profondeur pour connaître une partie de moi. Je ne sais donc pas ce qui se passe dans mon psychisme, et encore une fois, ma conscience réfléchie est sollicitée : je vais devoir m’éloigner de moi-même et procéder à la critique de ce sentiment. Le faux pas est d’envisager que mes émotions sont les causes de mes réactions et d’ignorer l’inconscient. Ce dernier est pour Freud une réalité psychique qui fonctionne d’une manière propre à lui-même et indépendamment de moi. Les phobies et les complexes sont des manifestations de l’inconscient qui sont encore bien difficile à expliquer sans une étude poussée de soi.
Mais si ma conscience spontanée ne me permet pas de me connaître parfaitement, qu’est-ce qui pousse les philosophes à entreprendre une connaissance de soi parfaite ? Si ces philosophes ont entrepris cette quête, c’est que la conscience immédiate n’est pas la seule à nous permettre de connaître mieux. C’est à ce moment-là intervient la conscience réfléchie.
C’est cette conscience qui me donne la capacité de faire retour sur mes actions et émotions pour les comprendre, les analyser ou même les juger. Or plusieurs obstacles se dressent aussi face à cette conscience réfléchie. Le premier obstacle est la proximité : le fait que nous devons nous juger de nous-même rend difficile cette prise de conscience. Mais cette prise de conscience est importante car elle nous permet d’expliquer d’où viennent nos réactions. Beaucoup de philosophe refusent de décrire la conscience immédiate comme connaissance de soi, comme par exemple Spinoza, philosophe du XVII° siècle, qui la considère comme source d’illusion. En effet, grâce à la conscience spontanée, nous avons une vision, un jugement, sur le monde immédiatement, sans provoquer de réflexions. Or, le monde n’est autre qu’une construction d’illusions que notre conscience rend plus encore illusoire. Car lorsque je vois un objet, la vision que j’en ai dépend de mon état de conscience à ce moment-là, de mon caractère, ou même encore de mon inconscient (resté inconnu pendant longtemps, il fait lui-même partie des illusions du monde car il était resté « caché » à nos yeux). D’autres facteurs peuvent nous tromper, comme la mémoire qui déforme nos souvenirs et qui agit quand nous faisons appelle à notre conscience réfléchie. Si je veux me rappeler d’une fête de Pâques de mon enfance, ma mémoire aura gardé les souvenirs de la chasse aux œufs, du chocolat et du repas de famille, mais peut-être pas celui, moins agréable, de la crise de fois qui a suivi. Notre conscience subit alors des illusions à deux niveaux différents : au niveau du monde que nous percevons, mais aussi au niveau de notre conscience même qui créé de nouvelles illusions.
De ce fait, il est donc important de vouloir se connaître. Et c’est tout d’abord possible grâce à autrui, car les personnes extérieurs, qui nous sommes proches ou non, porte sur nous un regard complétement différent de celui que je porte sur moi-même. Une image extérieure de moi-même m’est renvoyée, même si la vision des autres put être entachée elle aussi de préjugés ou distorsions créées par son esprit. Grâce à eux, je peux apprendre à pointer du doigt un de mes défaut, à essayer de développer une de mes qualités ou encore à surmonter mes complexes. Un ami a certainement une vision de moi bien différente de la mienne et en lui demandant qu’elle défaut il me trouve, j’aurais un avis plus ou moins impartial.
Apprendre à se connaître passe aussi par la méditation. Elle nécessite un recul sur soi, ce qui n’est pas évident. En effet, j’ai besoin d’une distance suffisante entre moi et mon « moi » intérieur. La méditation s’accompagne généralement d’une écoute de soi attentive, mais aussi de lectures sur la philosophie, la psychanalyse ou encore la sociologie. Cependant, les lectures peuvent aussi m’enfoncer dans mon ignorance que moi-même et me tromper. Enfin, les expériences peuvent m’aider à changer mon point de vue sur nous-même. Lorsque je connais une expérience douloureuse, comme un échec important dans ma vie qui m’a profondément affecté, ou le décès d’une personne à qui j’étais attachée, je suis amenée à réviser ce que je pense de moi et sur le rapport que j’entretiens avec ce qui m’entoure.
Mais si la conscience réfléchie a elle aussi des limites imposées par mes méthodes pour apprendre à me connaître et à développer mon sens critique sur moi-même, ne faut-il alors pas apprendre à concilier conscience réfléchie et conscience immédiate ? En effet, la connaissance parfaite de moi-même semble devoir passer par la combinaison de ces deux consciences. Chacune a sa fonction propre et son utilité.
Tout d’abord, rappelons que la conscience immédiate m’est d’une grande aide dans la connaissance de moi-même. En effet, grâce à elle je suis consciente de mes désirs, de mes opinions, de ce qui m’attire ou au contraire me dégoute. De plus, grâce à elle je peux analyser rapidement une situation puis réagir tout aussi vite si la situation nécessite une action rapide et instinctive grâce à sa spontanéité. Avec elle, je suis en contact direct et permanent avec le monde, avec ce que je vis, tout en connaissant immédiatement mes émotions, sentiments, ma vie intérieure. Par exemple, si je marche, je suis consciente de ce que je fais, sans besoin d’entreprendre une réflexion plus approfondi.
Quand à ma conscience réfléchie, je peux, grâce à elle, analyser des évènements, sensations, actions etc. en revenant dessus. Je suis alors dans la possibilité d’approfondir et de juger les évènements, de me rendre compte de mon ignorance sur moi-même et d’y remédier. Je peux percevoir mes erreurs passées, le comprendre et les réparer. Ma conscience réfléchie prend ses états de conscience pour des objets de conscience, c’est elle qui me permet de dire « Je ». Si je repense à une mauvaise décision que j’ai prise, comme par exemple de refuser un projet professionnel et que je me rends compte aujourd’hui de mon erreur, c’est grâce à ma conscience réfléchie qui me permet de dire « Je me suis trompée, j’ai mal analysé la situation ».
Ainsi, ma conscience immédiate et ma conscience réfléchie me permettent l’une et l’autre de me connaître moi-même à des niveaux différents. Il ne faut cependant pas se risquer à dire qu’il suffit de l’une seulement pour me connaître moi-même. C’est justement la combinaison des deux qui me font me connaître. Car si c’est grâce à ma conscience réfléchie que je peux analyser mes actions et sentiments, c’est grâce à ma conscience immédiate que je sais quelle action je suis en train d’accomplir ou le sentiment qui m’étreint. Lorsque j’ai peur, je sais ce que je ressens de par ma conscience spontanée et je sais quelles en sont les raisons de par ma conscience réfléchie.
Ma connaissance de moi ne passe ainsi pas seulement par ma conscience immédiate car devant celle-ci se dresse trop d’obstacles, obstacles que je peux d’ailleurs franchir quand j’en ai la volonté, mais aussi par ma conscience réfléchie qui me mène à une réflexion poussée sur moi, mes actions et sentiments. Néanmoins, pour vouloir me connaître, il me faut comprendre que je suis d’abord ignorante et que pour résoudre à cette ignorance, je dois entreprendre méditation, prendre du recul et faire face au regard des autres. Enfin, c’est un travail qui ne se limite pas dans le temps mais qui dure toute ma vie car j’évolue, je change et j’ai de nouvelles expériences. Chaque instant que je vis est soumis à ma conscience immédiate puis réfléchie. J’ai donc besoin de concilier ces deux niveaux de conscience afin d’atteindre la connaissance de moi-même.