Introduction
Le bonheur est défini comme un état de satisfaction et contentement atteint lors de la réalisation d’une action ou d’un fait qu’entraîne une difficulté. La récompense de cette difficulté est interprétée comme le bonheur. Or, la satisfaction se comprend en réalisant cette action et en voyant que nous sommes capables de surmonter la difficulté et d’atteindre notre but. Ceci réduit le bonheur à quelque chose d’éphémère dont nous sommes incapables de maintenir tant qu’on ne se met pas en difficulté. Une fois l’action réalisée, rien ne reste pour nous contenter et l’ennui prend place ne pouvant remplir notre vie sans but car aucun obstacle ne nous oblige à lui faire face afin de se sentir réalisé et donc, sans aucun bonheur à vue d’œil. D’après ceci, le bonheur résiderait donc, non pas dans la satisfaction, mais dans la difficulté et l’effort. Pourtant, l’homme base son existence dans le plaisir et la simplicité des choses, se sentant battu face à une situation compliquée. Confondons-nous le terme de bonheur dans la mesure où on se réfère à lui dans une situation de détente et plaisir, opposant cette définition au vrai sens du mot ?
Schopenhauer répond à cette problématique dans ce passage de Le Monde comme volonté et comme représentation, où il démontre sa thèse sur la nature du bonheur. Pour Schopenhauer, le bonheur représente quelque chose de négatif qui n’est présent que comme but, mais pas dans le sens d’objet qu’on puisse obtenir. C’est-à-dire, le bonheur est ressenti lorsqu’un sentiment de peine ou de douleur disparaît. Cependant, ceci est momentané et n’est que le reflet de l’ennui dans l’attente de quelque chose d’autre qui sera forcément une nouvelle souffrance à combattre. D’après Schopenhauer, le bonheur ne se trouve que dans la difficulté et dès qu’il est atteint, il disparaît.
Pour le montrer, Schopenhauer procède en deux temps : d’abord il donne sa définition du bonheur et explique ses origines qui ne sont autres que les souffrances et les difficultés qui nous surviennent (l.1 à 5). Ensuite, il utilise l’exemple de l’art comme démonstration de sa thèse pour nous montrer que ce qu’il défend est remarquable dans le monde même qui nous entoure, plus précisément dans la poésie, qui est une représentation des efforts que l’homme fait pour obtenir sa récompense (l. 6 à 16).
Étude linéaire
Dans les premières lignes, Schopenhauer définit le concept de bonheur (l.1 à 5). Le bonheur est vu au sens le plus abstrait du mot, dans le sens où il en parle comme la fin de quelque chose, des douleurs, mais pas comme quelque chose de concret qui a un sens en soi-même. Le bonheur n’est donc que quelque chose d’instantané qui se ressent lors de « la cessation d’une douleur » (l.3). Cet instant devient l’attente de quelque autre peine qui remplacera la dernière, et finalement ce que nous éprouvons est l’ennui, puisque le bonheur n’est pas matériel et l’attente n’a rien de concret qui nous permette de remplir notre temps.
Par conséquent, si le bonheur n’a pas un sens par soi-même et n’est l’objet de rien, ceci reviendrait à dire que le bonheur reste quelque chose d’irréel qui n’existe que dans notre conscience pour expliquer cette absence de douleur, ou bien ce passage intermédiaire qui nous mène d’une souffrance à une autre.
Cette définition du bonheur se rend visible dans le domaine de l’art et Schopenhauer utilise la poésie pour illustrer sa thèse (l.6 à 8). Ainsi, il trouve dans le genre épique ou dramatique le meilleur exemple de ce bonheur qui semble être «imaginaire » et qui est en réalité le reflet d’un dur chemin parcouru recherchant ce bonheur. Toutes les peines et souffrances vécues sont justifiées grâce à ce but que nous nous imposons basant notre « aventure » dans ce bonheur qui n’existe en réalité pas comme tel. Schopenhauer explique comment, dans les lignes d’un poème nous lisons les défaites que subit le héros, les difficultés auxquelles il s’affronte avant d’atteindre son but qui est la finalité de toutes ses péripéties.
Néanmoins, l’histoire manque d’intérêt dès le moment où le bonheur est accompli et l’état d’imperturbabilité et plénitude acquis s’enfuit avec la fin du poème. Cet état n’est pas représenté lors de la narration, « jamais il nous en fait le tableau » (l.11). Dès que le but du héros est atteint, la fin du poème l’est aussi. L’auteur n’a rien d’autre à représenter que les dangers connus par le personnage et le parcours de son odyssée. Le rôle du poète est de telle sorte qu’il arrive à décrire cette situation, à mener le héros à but et le conduire vers le bonheur. En effet, il doit pouvoir expliquer pourquoi son héros atteint le bonheur et comment est-ce qu’il réussit son but. Il n’y a rien dans le fait qu’il soit heureux ; ce qui est vraiment important est qu’il réussisse à l’être et la façon dont il le parvienne. En outre, si ce héros n’aurait aucune aventure à raconter ni aurait rencontré aucune contrainte dans sa vie pour parvenir au bonheur de sorte que ce bonheur lui soit inné, le personnage ne serait même pas conscient de l’état dans lequel il se trouverait et donc le bonheur ne résiderait pas en lui. Partant de ceci, le bonheur n’existerait pas et il ne pourrait être réel que lorsqu’un défi est affronté, si bien que le bonheur ne serait pas viable sans la difficulté.
Par ailleurs, dans le cas où le poème veuille devenir lieu de représentation de ce bonheur, ce serait une affaire compliquée dans le sens qu’il n’y a rien à représenter dans un état de bonheur. Le bonheur ne donne pas sens à quelque chose de concret mais n’est que l’accomplissement d’une action. La concrétisation de ceci se rend donc impossible car il n’y a rien dont on puisse en faire « le tableau », comme l’affirme Schopenhauer à la ligne 11. De telle manière que le bonheur devient une illusion que l’on croit atteindre mais qui finalement nous mène au départ de tout, sans rien qui soit changé, sauf le chemin parcouru pour l’obtenir. Puisque le bonheur ne constitue pas de la matière en soi-même, l’art, ici la poésie, est incapable de le matérialiser et d’en faire de ce sentiment un objet. La poésie se rend donc un instrument parfait pour appuyer la thèse que défend Schopenhauer de son concept de bonheur car elle démontre par soi-même l’incapacité de faire du bonheur un objet pour l’art (l.17).
Conclusion
Pour en conclure, Schopenhauer fait appel à l’idylle qui, dans le domaine de l’utopie, fait référence à une relation rêvée dans un climat idéal. Comme sa propre définition l’indique, l’idylle se range dans le domaine de l’impossible et de l’inaccessible et reste comme un rêve dans la raison de l’homme. Notamment, le but de cette idylle réside dans la recherche d’un bonheur capable de durer dans le temps et qui soit à la portée de l’homme (l.18-19). Cette relation rêvée est un essai de matérialisation du bonheur et se centre sur l’obtention d’un état durable et imperturbable qui ne nous cause aucun mal et dont une fois réussi, nous soyons capables de le maintenir et de ne dépendre de n’importe quelle circonstance pour réussir à le conserver. En revanche, comme nous l’avons déjà expliqué, ce genre idyllique n’est pas vraisemblable du fait qu’il se soutient sur un concept impossible, l’utopie. Étant donné que le but de ce genre utopique est « la peinture de ce bonheur impossible » (l.18), le bonheur même reste impossible tel qu’il est conçu par l’homme.