L'homme semble être le grand sujet qui préoccupe la philosophie. Les philosophes se sont longtemps interrogés et s'interrogent encore de nos jours sur ce qui le caractérise, ce qui le distingue. Le problème porte ici sur une définition de l'homme et sur ce pourquoi il est défini ainsi, c'est-à-dire comme un animal culturel. De nombreuses réflexions ont défini l'homme tantôt comme un animal politique, religieux ou métaphysique. Si on en vient à parler d'animal culturel, c'est que l'homme s'est distingué de l'animal par des spécificités afin de se détacher de la nature. En ce sens, nous devons étudier la question en définissant précisément chacun des termes et montrer en quoi ils sont propres à l'homme. L'expression « pourquoi dit-on » nous amène à dire « pour quelle(s) raison(s) », « quelles sont les causes qui font que l'on dit ». « L'animal culturel » fait référence à un problème philosophique fondamental: la distinction entre l'homme et l'animal, entre ce qu'on appelle la nature et ce qu'on appelle la culture.
Afin de répondre au problème, il nous faut développer ce qui fait d'abord de l'homme un animal et sur ce qui le caractérise pour en faire un animal culturel. Nous verrons tout d'abord que l'animal constitue la base de l'homme et nous étudierons ce qui le relie à l'animal. Dans une seconde partie, nous développerons les raisons qui ont fait que l'homme a atteint la culture et s'est détaché de la nature. Enfin, la troisième partie proposera une réponse plausible à la question.
I. L'animal constitue la base de l'homme
On peut se demander en quoi l'homme est un animal. Qu'est-ce qui définit l'animalité? Nous pouvons nous référer au mot latin « anima », d'où dérive le terme animal et qui signifie « âme », que l'on traduit par « psyché » chez les Grecs. Aristote différencie l'animal de l'homme car celui-ci est capable de dégager des notions universelles à partir des perceptions singulières, et ainsi accéder aux activités scientifique, artistique, éthique et politique. Cependant, certains animaux, sans véritablement atteindre des connaissances conceptuelles, sont capables d'assimiler des sensations. Plutarque, La Fontaine et autres grands défenseurs des animaux ont dressé un inventaire des actions animales atteignant voire surpassant l'intelligence humaine au niveau de la fidélité, de l'amour ou de la progéniture. Dans sa théorie de l'évolution, Darwin démontre une origine commune à toutes les espèces et contredit Georges Cuvier, fondateur de la paléontologie, en montrant que les espèces ne disparaissent pas mais se transforment. C'est un phénomène commun aux hommes et aux animaux.Il est désormais bien acquis, depuis Darwin, que l'homme s'inscrit dans le processus global de l'évolution des espèces animales. Nous descendons bel et bien, avec nos cousins les singes, d'un ancêtre commun. Que cela nous plaise ou non, notre nature animale reste profondément ancrée dans notre comportement qui, à maints égards, n'est pas fondamentalement différent des autres animaux. Comme tout animal, nous sommes mus irrésistiblement par les instincts de survie et de reproduction. Il faut manger et n'être pas mangé, il faut se reproduire pour que la mort de l'individu ne soit pas la mort de l'espèce. La vie, dans son ensemble, ne semble d'ailleurs pas avoir d'autre but que sa propre perpétuation.
.L'homme, comme l'animal, semble être une espèce naturelle en ce qu'il est une production de la nature et non un produit de la technique, de l'artifice. Il est d'autant plus une espèce naturelle puisqu'il constitue comme tous les êtres vivants, comme l'animal un être biologique. Nous pouvons rapprocher l'homme de l'animal en prenant pour exemple la définition que la science apporte en ce qui concerne l'être biologique. Est défini comme tel ce qui possède la molécule d'Acide Désoxyribonucléique, communément appelé ADN et qui constitue le support de l'information génétique. D'autres grandes sciences peuvent illustrer ce lien entre l'homme et l'animal. Il y a ce qu'on appelle la thermodynamique, science qui se base sur l'énergie. Elle démontre que l'être biologique puise de l'énergie dans le milieu, en garde une partie et rejette le reste. Ce système caractérise l'homme et l'animal et les mets dans un même groupe: les vivants. Toujours d'un point de vue scientifique, une question s'est longtemps posée et semble toujours être d'actualité: l'homme descend-il du singe? On a prouvé qu'il s'agissait de deux espèces différentes, certes, mais qui ont des ancêtres communs. Seulement les deux espèces se sont séparées. Cependant, si les singes et les hommes constituent deux espèces distinctes, comment expliquer la proximité flagrante de certains comportements de l'un et de l'autre? Il proviennent tous deux de la lignée des hominidés. Ainsi, au lieu de dire que l'homme descend du singe, il conviendrait mieux de dire que l'homme descend de l'animal et qu'il a bénéficié de plus d'apports au cours de son évolution par rapport aux autres espèces.
II. La culture comme spécificité de l'homme
Nous avons cité Platon qui disait de l'homme qu'il était un animal nu à deux pattes. Une anecdote amusante bouleverse cette thèse. L'un de ses élèves, Diogène, lui apporte un jour un poulet, qu'il a déplumé à la main et a dit alors à son maître « voilà votre homme ». Au fur et à mesure des réflexions, nous en sommes venus à dire que l'homme se distinguait de l'animal parce qu'il possédait la culture. Partons du sens premier accordé au mot « culture » dans l'usage courant. On parle de culture lorsqu'une terre n'est plus en friche mais qu'elle est travaillée afin de produire des ressources. En ce sens, la culture suppose un travail, une transformation. C'est justement ce qui détache l'homme de l'animal. L'homme se crée lui-même et c'est ce qu'il fait tout au long de sa vie contrairement à l'animal qui reste lui-même. On peut d'ailleurs noter que l'homme est le seul animal à cultiver la terre et à ne pas se soumettre simplement à l'ordre et au rythme de la nature. La culture implique le matériel, les outils. Pour démontrer cela, on peut prendre pour exemple le mythe de Prométhée, qui raconte en quoi l'homme, oublié lors de la distribution des biens lors de la création, est un animal démuni. Prométhée volera alors le feu à Zeus pour le donner à l'homme. Ce dernier se présente donc bien comme un être possédant des outils et des moyens qui lui serviront à transformer la nature. Ainsi, la culture serait le propre de l'humanité. En effet, là où les animaux vivent de manière identique maintenant et il y a 500 ans, les hommes ne cessent de développer de nouvelles techniques, de nouveaux moyens de vivre leur rapport avec la nature. Certes, on a décelé des points communs entre l'homme et l'animal au niveau de la communication. Seulement, on peut voir que l'homme ne fait pas que communiquer, il transmet également. La culture englobe les savoirs. Or, la science dit que l'homme descend de l'homo sapiens et actuellement l'homme est ce qu'on appelle un homo sapiens sapiens ou l'homme qui sait qu'il sait.
Afin de développer l'idée que l'homme possède la culture contrairement à l'animal, nous pouvons nous appuyer sur le Discours de l'origine et les fondements de l'Inégalité parmi les Hommes de Rousseau. Ici, Rousseau montre que l'homme s'est détaché de la nature, donc de l'animalité, par la perfectibilité, c'est-à-dire sa capacité à progresser moralement et intellectuellement. On peut penser à la création d'outils où à la découverte et à la conservation du feu. Rousseau souligne d'ailleurs un comportement typiquement humain en ce qui concerne le feu. Les hommes grillent leur viande, dansent et font des festins autour de ce feu. Il dit d'ailleurs que « les Hommes s'y rassemblent autour et que les animaux le fuient ». Pour Rousseau c'est cette perfectibilité qui mène l'homme à sa perte. En effet, il est cité dans son discours que « c'est elle qui, faisant éclore avec les siècles ses lumières et ses erreurs, ses vices et ses vertus, le rend à la longue le tyran de lui-même, et de la nature ». En ce sens, l'homme est le seul à se changer lui-même et par conséquent à se gâcher. En effet, l'animal restant identique à lui-même n'a rien à perdre puisqu'il n'a rien acquis. Il démontre cette régression dans l'Emile par cette phrase: « Tout est bien en sortant des mains de l'Auteur des choses, tout dégénère entre les mains de l'homme. » Ainsi, la culture ne serait pas forcément signe de progrès. Elle reste néanmoins signe d'humanisation. L'homme possède son histoire alors que l'animal vit comme il vivait il y a 500 ou 1000 ans.
III. La culture ne rend pas l'homme moins animal, mais moins bête
Il est vrai que l'homme est un être de culture par son apprentissage. En ce sens, ne pouvons-nous pas dire que l'animal domestique est un être de culture? On peut le dresser afin de lui apprendre certaines choses. Le lien semble réellement mince. C'est cette proximité qui fait que l'on en est venu a définir l'homme comme animal culturel. Il reste animal par son appartenance à la grande famille des vivants mais constitue un animal spécifique, qui , contrairement aux autres vivants a su évoluer, se transformer et se créer lui-même en tant qu'homme. Il a un esprit cultivé, comme la terre d'ailleurs, qui n'est pas en friche mais qui produit de nouvelles connaissances. L'expression « animal culturel » désigne le fait que l'homme est parti de l'état animal qu'il garde et qui réapparaît lorsqu'on parle de brute, pour ensuite se détacher de la nature et la transformer. Enlever la culture à l'homme serait le rendre non pas à un état animal mais à l'état inhumain. Ainsi, il deviendrait, comme le cite Levi-Strauss, un « monstre culturel ». On parle d'ailleurs de l'homme comme l'animal le plus féroce du monde des vivants et ce, pour sa culture. En effet, l'homme, en passant de l'état naturel à l'état culturel, a fait de la chasse non plus une nécessité mais un loisir. Il tue donc un vivant pour le plaisir, chose que l'animal ne fait pas puisqu'il tue pour se nourrir lui et/ou son groupe. De même, l'homme est le seul être qui s'auto-élimine.
La culture constitue bien une spécificité que l'homme a acquis et c'est elle qui donne à l'homme son humanité propre. Le problème n'aurait bien évidemment pas lieu d'être s'il n'y avait aucun lien entre l'homme et l'animal. L'ambiguïté semble surtout provenir de la confusion de deux mots différents: la bête et l'animal. « L’homme est un animal, dit-on, mais ce n’est pas une bête ». La première de ces deux affirmations, qui reconnaît l’animalité de l’espèce humaine, est à comprendre sur un plan biologique. La précision selon laquelle l’homme n’est pas une bête n’est en revanche pas biologique mais, selon les cas, morale, religieuse ou philosophique. Chacun de ces deux points demande toutefois à être étudié de plus près.
Dire que l’homme est un animal, c’est pour l’homme se rappeler qu’il a un corps, des instincts et plus généralement un “fonctionnement” biologique similaires à ceux d’autres animaux, et plus particulièrement à ceux de ses plus proches “cousins” dans l’arbre de l’évolution, comme les chimpanzés ou les bonobos, avec lesquels nous partageons plus de 99% de notre ADN. Ce rappel de notre animalité commune avec les bêtes peut, selon les cas, nous faire voir les hommes comme des bêtes (à travers les catégories de “sauvagerie” ou la “bestialité”, lorsqu’un homme semble se comporter instinctivement par exemple) ou, plus subtilement, nous inciter à “débusquer” derrière des comportements humains apparemment complexes ou raffinés de simples manifestations instinctives.
Conclusion
Le fait que l'on dise de l 'homme qu'il est un animal culturel nous amène à nous poser plusieurs questions. Nous avons vu que la culture caractérisait l'homme. En ce sens, l'homme serait-il un être dénaturé, dénaturé par cette perfectibilité qui fait qu'il se transforme ? Justement, dans quel sens se transforme-t-il ? Dans son discours, Rousseau nous montre que la perfectibilité perd l'homme qui se redirigerait vers l'état animal voire plus bas. Ainsi, resterait-il encore de l'animal chez l'homme ?