Un maître est une personne à laquelle on obéit, qui exerce donc un pouvoir sur ceux qu'il dirige. Un maître impose son pouvoir, sa volonté personnelle. Pensez au despote qui impose sa loi à laquelle tous sont soumis. Y a-t-il des maîtres qui n'imposent pas leur volonté personnelle ? Rousseau appelle prince celui qui exerce le pouvoir en faisant respecter la loi choisie par le peuple, loi qui est l'expression de la volonté générale. Le prince est ainsi lui-même soumis à cette loi commune et chargée de la faire respecter (Kant est ici proche de Rousseau).
Le problème est donc de savoir si un homme peut faire abstraction de son égoïsme naturel et désirer durablement le bien public (donc en opposition à l'intérêt particulier). La justice publique correspond à l'ensemble des organisations ou des personnes qui appliquent le droit. II n'y a pas de liberté sans lois.
I. Dégagez l'idée principale et les étapes de l'argumentation
L'idée principale nous est donnée dans la première phrase : "L'homme est un animal qui a besoin d'un maître." La difficulté vient de ce que le maître ne peut jamais être parfait puisqu'il est lui-même un homme, c'est-à- dire "un animal qui a besoin d'un maître". Nous tombons dans un cercle vicieux. Peut-on en sortir ?
Explication de cette thèse :
a) L'homme est à la fois raison, ce qui le fait tendre vers l'universel, et égoïsme, ce qui lui fait considérer son intérêt particulier le premier. II ne faut pas mentir en général, mais en particulier qui n'a pas menti ? C'est aussi ce que Kant appelle "l'insociable sociabilité de l'homme" : l'homme ne se développe qu'en vivant en société et pourtant il a tendance à rentrer en conflit avec ses congénères. Les progrès de l'humanité résultent du conflit de ces tendances : "Remercions donc la nature pour cette humeur non conciliante, pour la vanité rivalisant dans l'envie, pour l'appétit insatiable de possession ou même de domination. Sans cela, toutes les dispositions naturelles excellentes de l'humanité seraient étouffées dans un éternel sommeil."
b) L'homme a donc besoin d'un maître pour lutter contre son égoïsme naturel et agir dans le sens de l'universel. Un obstacle surgit : où trouver ce maître? "Mais où prendra-t-il ce maître ?" La seule réponse sensée est celle-ci: "dans l'espèce humaine". Et l'on sait qu'aucun homme n'est parfait.
c) Conséquence : aucun chef n'est par essence juste, puisque chacun reste sociable et insociable. II faut donc légiférer.
II. Expliquez les passages suivants
a) "Le forcer à obéir à une volonté universellement valable"
La nature humaine, égoïste, individuelle, soumise aux passions donc au désordre, oblige l'homme, doué de raison, à trouver des limites aux débordements. II faut donc obéir à une maxime universelle, reçue comme telle par tous et qui permette d'agir justement "Agis de telle sorte que tu traites l'humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne d'autrui, toujours et même temps comme une fin, jamais simplement comme un moyen" (Fondements de la métaphysique des mœurs).
b) "Nulle part ailleurs que dans l'espèce humaine"
Ce maître sera un homme. Ce ne sera ni un être au-dessous de l'homme, ni un être au-dessus de l'homme. Le seul législateur possible, c'est lui-même. Une volonté est libre dans la mesure où elle se donne à elle-même sa propre loi.
Le besoin d'une justice publique naît donc de l'imperfection humaine.
III. À ce à quoi l'homme doit renoncer pour vivre en société ?
Cette question est politique, au sens grec du terme, c'est-à-dire tout ce qui concerne l'homme vivant en société. "L'homme est un animal sociable, un animal qui ne peut s'isoler que dans la société" (Marx).
Kant, lucide, affirme ce mal radical : l'homme abuse de ses semblables. Son appétit égoïste le pousse spontanément à abuser d'autrui. La première chose à laquelle il doit renoncer : satisfaire tous ses désirs. Il renonce à sa liberté naturelle mais pour trouver la véritable liberté: l'autonomie (cf. Rousseau).
Il renonce alors à cette illusion : croire possible la perfection. La perfection n'existe ni dans les lois ni dans la justice, qui sont l’œuvre de l'homme. Il faut tendre vers la perfection, comme il faut tendre à agir par devoir. Les maîtres sont par nature eux aussi des hommes. Il semble donc que de par sa nature l'homme ne puisse se passer d'un maître, d'un guide. On peut espérer comme Nietzsche que "les vrais éducateurs sont des libérateurs".