Peut-on distinguer l'illusion de l'erreur ?

Fait par l'élève, corrigé par le professeur. Note obtenue: 13/20.

Dernière mise à jour : 08/09/2021 • Proposé par: Nato-Brasil (élève)

Le problème qui est posé ici est de savoir si nous pouvons distinguer l'illusion de l'erreur. Par définition, l'erreur est une affirmation fausse, contraire aux règles de la logique et plus généralement contraire à la vérité. La définition de l'illusion semble plus complexe. En effet, celle-ci peut qualifier toute erreur commise à cause de l'apparence trompeuse que peuvent avoir les choses. L'illusion désigne toute opinion ou croyance fausse qui, par un caractère séduisant qui attire notre désir, abuse de notre esprit.

Afin de répondre au problème, nous devrons nous interroger sur la possibilité et la nécessité de distinguer l'illusion de l'erreur. Nous analyserons tout d'abord une première thèse, celle selon laquelle la distinction entre l'illusion et l'erreur ne doit pas avoir lieu d'être puisque celle-ci n'est ni nécessaire, ni possible, ni favorable à notre équilibre psychologique. Nous verrons ensuite que des thèses, au contraire, montrent qu'il faut distinguer les deux termes, car ignorer cette distinction nous conduirait à nous perdre dans le mensonge et l'aliénation. Après avoir analysé chacune de ces thèses, nous conclurons en trouvant une réponse plausible au problème.

I. La distinction entre l'illusion et l'erreur ne semble ni possible, ni souhaitable

Une distinction entre illusion et erreur est très complexe à développer puisque que le lien entre les deux est fortement ambigu. Nous pouvons nous référer à la fameuse thèse de Kant qui se base sur la transcendance de l'apparence, qui qualifie tout élément de la pensée constituant une condition de l'expérience. Kant a ainsi développé que l'illusion constituait le fonctionnement même de la raison et qu'elle faisait partie de la structure principale de l'esprit humain. En ce sens, l'illusion produirait elle-même la raison. L'illusion principale de l'homme dit rationnel, intelligent est de croire qu'il détient le réel même et la vérité. Les « choses en soi » nous sont inconnues. La raison est faite de telle sorte qu'elle insiste et développe des idées par exemple métaphysiques telles l'existence de Dieu et d'une âme immortelle. Ces illusions sont inévitables par l'homme ce qui n'est pas vraiment souhaitable, car ces illusions métaphysiques sont porteuses d'espérances. Il nous faut après bien les utiliser et réussir à les orienter vers des idées nobles et non égoïstes. Une solution semble plausible. Elle réside dans une distinction de deux types de raison : la raison théorique et la raison pratique. Il faut connaître les limites de la raison théorique afin de ne pas basculer dans la métaphysique délirante. Seulement, le passage de cette limite se fait par la raison pratique. La métaphysique est nécessaire d'un point de vue morale. Nous pouvons prendre pour exemple Descartes, de qui nous nous éloignons puisque pour lui, l'illusion résidait dans les sens alors que Kant pense justement que l'intuition sensible est la condition principale de l'expérience objective. L'humain ne connaît que les objets et non pas les choses en soi. L'illusion réside dans ce qu'on appelle l'Idée, du moins certaines idées. C'est en tout cas ce que semble dire Marx, qui se base d'ailleurs sur la critique de Kant sur la métaphysique, et qui développe ce qu'il appelle « idéologie ». Il développe une thèse d'une illusion critique et imaginative qu'il oppose à l'illusion dogmatique, telle l'utopie chez Thomas More.

D'après Nietzsche, « l'illusion remplit une fonction: celle de protéger du désespoir et du vide de l'existence ». En ce sens, on sait qu'il est possible de distinguer l'illusion de l'erreur mais qu'il n'y a pas de nécessité. Nietzsche va plus loin puisqu'il démontre que l'illusion est vitale et nécessaire à notre équilibre. Freud qualifie la religion d'illusion, non pas parce qu'elle est fausse mais parce qu'elle contient une part de désir : la volonté d'avoir l'image protectrice et rassurante d'un père tout puissant servant de substitution au père que nous avons qui n'est pas assez fort ou qui ne correspond pas à l'image de celui que nous souhaiterions avoir. Si nous sommes victimes d'une illusion quand nous sommes pris à un piège par nous même bâti ou que nous sommes victimes d'un désir qui n'est pas reconnu. Ce n'est pas qu'il faudrait condamner l'illusion ou encore la détruire, chose qui ne serait pas forcément souhaitable, ni souhaitée, ni possible; mais c'est à la philosophie que revient la tâche difficile d'en produire l'analyse et de faire la part de ce qui relève du désir et de la réalité, et ce dans un souci de lucidité, d'objectivité et de vérité. Tel que le dit Nietzschéen, l'homme a besoin de l'illusion.

II. Mais on doit tout de même essayer de distinguer l'illusion de l'erreur, sous peine de s’aliéner

Paradoxalement, il serait dans le bon sens et nécessaire de distinguer l'illusion de l'erreur. C'est le cas chez certains philosophes qui pensent que l'illusion compromet d'une certaine manière l'accès à la vérité. Elle est, certes, source d'erreur mais désigne un fait différent. En effet, on sait qu'une erreur peut être corrigée et constitue ainsi une double ignorance: c'est-à-dire qu'on ignore non seulement la vérité mais aussi le fait que nous sommes dans l'ignorance. On peut prendre pour exemple une erreur de calcul. Après avoir additionné 1+1, on obtient 3. Nous sommes ici dans l'erreur mais en corrigeant nous obtenons 2. En revanche, le fait qu'on s'obstine à penser que 1+1=3 nous perd dans l'illusion. Cette dernière est un problème d'apparence alors que l'erreur admet une correction. En ce sens, comment pouvons-nous neutraliser les effets trompeurs de l'illusion? Selon Socrate, c'est la certitude qui fait que nous nous trompons. La grande illusion est de croire que l'on sait16. Descartes quant à lui pense qu'il faudrait dégager un « savoir » ou la certitude ne saurait être suspecte. Il a douté de tout ce qu'il a appris et a finalement découvert qu'il ne savait rien sinon qu'il pense donc qu'il est, qu'il existe en tant qu'être pensant. Nous pouvons y voir plus clair en nous référant à son écrit Les Méditations, volume 1 et 2. Descartes privilégie également le maintien de l'illusion à distance et distingue ainsi l'apparence de la réalité. La première règle de sa méthode stipule qu'il n'admet « rien pour vrai qu'il ne connusse être évidemment tel... ». Pour cela, il est nécessaire de disposer librement de l'usage de sa raison et ainsi de ne pas sombrer dans la folie. En ce qui concerne l'erreur, Descartes définit ses origines. Selon lui, toute erreur est définie comme une erreur de jugement et doit être attribuée à la volonté de juger. Il n'y aurait pas d'erreur des sens, mais des illusions. L'erreur ne touche pas l'entendement à proprement parler et ne décide pas de ce qui est vrai ou faux. Selon Descartes, on ne peut pas dire que les sens se trompent ou nous trompent. En revanche, il arrive que nous nous méprenions à cause d'eux. Si on évoque les idées, en les considérant seulement en elles-mêmes sans les rapporter à quelque chose d'autre, elles ne peuvent à proprement parler être fausses. En effet, que j'imagine une chèvre ou une chimère, il n'est pas moins vrai d'imaginer l'un ou l'autre. Si l'erreur est humaine, alors la volonté de l'homme est infinie et il faut bien comprendre que l'entendement chez l'homme n'est pas limité. L'erreur vient de la volonté à partir du moment où elle tient pour vrai ou faux une thèse ou une idée, alors même que l'entendement ne suit pas, n'est pas prêt. Il serait donc dans le bon sens de lutter contre les idées et les illusions, chose que nous ne pouvons faire qu'avec l'aide de ces idées justement. Il ne faut pas oublier de maintenir ses idées dans un rôle médiateur et non de les identifier au réel. Nous ne devons reconnaître comme dignes de foi que les idées qui elles-mêmes comportent l'idée que le réel résiste à l'idée. Ainsi nous pourrions lutter contre l'illusion.

En se référant à Platon, on pourrait voir qu'il existe deux mondes: celui du vrai et celui des apparences. Qu'est-ce que le terme d'apparence? Il a une signification plus objective que celui de l'illusion. En effet, il situe la question d'emblée ontologique, au niveau de l'être et pas seulement au niveau du sujet. Selon Platon, ce monde visible et matériel n'est qu'une apparence, une région défavorisée de l'être et où tout est imparfait et injuste parce que précaire. Le monde sensible ou matériel ne correspondrait qu'à l'imitation d'un autre monde: celui des idées ou essences, vrais modèles de choses existantes ici-bas et la seule réalité recevable. Les idées se donnent par intuition intellectuelle leur être éternel et constituent ainsi la définition théorique des choses. Dans L'allégorie de la Caverne, Platon image cette théorie. Dans cet écrit, le monde où vivent les hommes est comparé à une caverne, et tout ce que voient les hommes n'est qu'ombre défilant le long d'une paroi; autrement dit, simples reflets des choses réelles extérieures à la caverne mais projetées grâce à la lumière d'un feu,extérieur lui aussi, sur cette paroi. La réalité que prêtent les prisonniers de la caverne à ces ombres n'a bien sûr pas lieu d'être. La sortie de cette prison est alors identifiée à ce qu'on appelle la connaissance philosophique, ou la vue des choses véritables qui sont des idées.

La vérité ne détient pas la consistance suffisante au plan existentiel. Selon Pascal, la raison ne peut mettre le prix aux choses. On peut alors se demander ce qui détermine le prix des choses. Pascal nous dit que, si la raison ne peut rien contre l'imagination, si la philosophie est inutile face à la folie, seule la foi et la religion peuvent lutter. Or, on voit bien que c'était l'imagination qui donnait le prix aux choses ainsi que le désir, et que c'est ce mélange de désir et de fabulation qu'on retrouve dans la religion. Freud souligne bien cette illusion dans son écrit L'Avenir d'une illusion. Ainsi, si la religion est une illusion à laquelle on peut supposer un avenir, alors l'illusion est structurée comme un avenir puisqu'elle est sous-tendue par le désir. C'est pourquoi,le propre de l'illusion et de la religion, qui continue de nous illusionner et de nous rassurer sur le rôle d'un père, est de durer, contrairement à l'erreur qui une fois pointée et corrigée disparaît aussitôt. Une illusion n'est pas la même chose qu'une erreur et n'est pas non plus nécessairement une erreur. L'opinion d'Aristote comme quoi la vermine serait engendrée par l'ordure est une erreur alors que Christophe Colomb a eu l'illusion de trouver une nouvelle route vers les Indes. Selon Freud, « la part de désir que comportait cette erreur est manifeste ». «L'illusion n'est pas nécessairement fausse ou irréalisable et en contradiction avec la vérité. L'humain ne tient pas compte des rapports de cette croyance à la réalité, tout comme l'illusion renonce à être confirmée par le réel ». Freud nous donne comme exemple l'assertion selon laquelle il y aurait des races susceptibles de culture et d'autres pas. En ce sens, le racisme repose sur une illusion culturelle et pas sur une erreur: cette illusion consiste à croire à la supériorité de sa propre culture sur les autres, illusion qui provient du désir de faire valoir son identité culturelle. L'illusion a donc son siège dans les désirs humains.

D'après cette analyse, on peut affirmer que distinguer l'illusion de l'erreur est nécessaire, lorsqu'on le peut, car il y a des fois où cela nous est impossible. Certes il y a des difficultés, mais la distinction entre les deux termes peut se faire.

III. Il reste des cas où quand bien même on peut les distinguer, l'illusion reste une erreur acceptable

Une multitude de nouvelles thèses peuvent se démontrer d'après notre analyse. Nous n'en poserons qu'une seule. Nous nous sommes surtout posé la question de savoir la différence entre une illusion et une erreur. Seulement, il faudrait s'interroger sur le bon vouloir des hommes de distinguer ces termes. On sait désormais qu'il est possible de le faire mais on peut se demander si l'on doit le faire. En effet, il semble qu'il y aient de « bonnes » illusions qui nous aident et sont favorables à notre propre équilibre, telles que celle du divertissement chez Pascal, bien qu'elle ne provoque qu'un bonheur basé sur l'illusion de contenter les hommes en les empêchant de penser à leur condition misérable. Est-il bon de corriger toute illusion ? Ne serait-ce pas illusoire de croire justement qu'on peut le faire ? On peut aussi s'interroger sur la vie dans un monde guidé par ses illusions. Vaudrait-il mieux vivre dans un monde où seule la raison règne ? Dissiper une illusion ne serait-ce pas dissiper toute forme de fantaisie?

On peut dire que tout dépend de l'individu en question. Un jeune enfant ayant perdu son père aura toujours l'illusion de croire qu'il reviendra un jour ou encore qu'il le reverra. À l'âge adulte, nous sommes conscients qu'une personne décédée ne peut et ne pourra pas revivre. L'espoir d'un enfant n'est-il pas primordial? Nous parlions de la religion, c'est une illusion dans laquelle pourra se réfugier l'enfant pour ré obtenir l'image du père qu'elle a perdu, l'image d'un père tout puissant et éternel. Il créera la réalité qui lui conviendra le mieux. Est-ce bon de se cacher derrière l'illusion? L'illusion aide certaines personnes et, comme le disait Kant, les aide à remplir une existence vide et à ne pas lâcher prise dans une vie trop monotone. Elle peut également se montrer frustrante et la perdre au plus vite semble être le mieux. Il ne faut pas cependant éradiquer toute illusion. Il s'agit de ne pas dépasser ses limites afin de ne pas se perdre dans l'aliénation.

Conclusion

En conclusion, on peut dire que nous savons qu'il est possible de distinguer l'illusion de l'erreur, bien que la religion n'apprécie pas vraiment un apprentissage cartésien de l'Histoire. On peut prendre pour exemple certains états des États-Unis où les enfants ne sont pas scolarisés avant seize ans afin de fortifier leurs croyances plutôt que leur raisonnement logique et scientifique. Quant à la nécessité de cette distinction, nous pouvons avoir une certaine hésitation, mais d'après Descartes, Freud ou encore Platon, nous aurons plutôt tendance à dire qu'il est nécessaire de distinguer l'illusion de l'erreur afin de ne pas sombrer dans l'aliénation et la folie. Nos proches et notre entourage sont présents pour corriger nos erreurs mais, malgré un enseignement cartésien, serait-il réellement possible de dissiper une illusion tout le temps ? L'illusion peut et doit être distinguée de l'erreur mais ce n'est pas pour autant que nous ne devons pas garder une place pour nos illusions sans tomber dans l'erreur.