L’être humain ne représente qu’une espèce vivante parmi des millions qui ont existé et qui existent toujours. Les sciences ont déterminé ses origines, elles sont animales. « L’homme est un animal transformé par la raison uni à l’humanité » selon Pierre Leroux (Extrait de De l'humanité, de son principe et de son avenir). L’humain serait donc un être composé d’un corps et d’une âme, matière et esprit semblent définir l’humanité. L’humain peut-il alors cesser d’être humain en perdant l’un de ces deux éléments ? L’humain saurait-il être humain sans son esprit rationnel ?
Nous verrons dans un premier temps que l’humain étant humain par naissance, on ne peut envisager qu’il perde ce caractère inné. Mais il apparaîtra que l’humain n’est pas que du corps et que bien d’autres choses le caractérisent, des choses que l’ont acquiert au cours de notre existence et que l’on peut donc perdre. Nous montrerons enfin que la perte totale de l’humanité ne peut être envisageable, car chez chaque individu demeurera toujours une part d’humain naturelle et innée que rien ne pourra abolir.
Il est difficile de penser que l’homme peut perdre son humanité dans la mesure où l’on naît humain, et on le demeure ainsi pour tout le restant de notre vie. En effet, étant donné que chacun d’entre nous est issu de la fécondation d’une cellule mâle humaine et d’une cellule femelle humaine, il est difficile de s’imaginer qu’il serait un jour possible de cesser d’être humain. Mes grands-parents sont humains, mes parents sont humains, je suis humain, et mes descendants le seront aussi. On rentre tous sous la catégorie HOMME, le plus évolué des êtres vivants, appartenant à la famille des homini¬dés et à l'espèce Homo sapiens.
Mais l’homme est-il uniquement du corps, car sinon, ne serions-nous pas que des objets scientifiques ? Peut-on réduire la définition de l’homme, et donc de l’humanité, à une simple apparence physique ? Il faudra chercher ce que l’homme a, et que les autres êtres vivants n’ont pas, ce qui permet de distinguer, par exemple, l’homme et l’animal. Il existerait ainsi plusieurs autres effets qui ont pour cause l’humanité. Aristote va définir l’homme comme étant un « animal doué de raison », un « animal politique ». Ce serait en effet pour qu'il puisse s'entendre avec ses semblables sur le bon, l'utile et le juste que la nature l'aurait pourvu du langage. Le terme « raison » doit ici prendre valeur. L’homme est doté d’une raison, il a donc la faculté de raisonner, de calculer, avant d’agir (contrairement à l’animal qui est réputé agir d’instinct), de combiner des concepts et des jugements et de déduire des conséquences. Un chat qui mange une souris n’a pas conscience du «mal» qu’il lui cause. L’homme est donc le seul à détenir la capacité de discerner le bien et le mal, voire le seul à savoir ce que sont le bien et le mal, si le bien et le mal existent vraiment. Par exemple, un chien n’a pas conscience qu’il agit mal, il sait seulement qu’il va recevoir une correction. Ainsi, il est contradictoire de juger inhumaines des actions accomplies par des humains, comme le sens populaire en a mauvaisement eu l’habitude, pour souligner leur atrocité, puisque ces actes, aussi cruels qu’ils soient, sont issus de la conscience humaine et dictés par le libre arbitre de l’homme.
Autre que la science et la génétique, ce que semble définir un humain serait une conscience libre, la liberté dans les choix, la raison. Il semblerait donc logique de penser que sans ces dernières, un humain ne pourra s’exprimer et agir en tant qu’humain. Après tout, qu’est-ce que l’homme si ce n’est celui qui a la capacité d’affirmer, dans un premier temps, qu’il est homme. Ainsi, l’esclave n’est pas, potentiellement, un humain. L’esclavage est l’expression d’une volonté de domination, et en dominant quelqu’un, je lui ôte le pouvoir de se comporter à sa manière, je lui ôte la liberté du choix. Un esclave doit se soumettre à des ordres, ses actions sont imposées, sa vie est l’expression du désir d’autrui. Il n’est maître de rien, même pas de sa propre chair. En ôtant la liberté à un esclave, en le rendant objet, on lui ôte son humanité. La colonisation d’autrefois illustre bien cette notion d’« objet ». Elle met en jeu des rapports de domination et de soumission qui transforment l’homme colonisateur en adjudant, et l’homme indigène, en instrument de production. On peut ainsi poser l’équation : colonisation = chosification. On fait d’un peuple un objet de notre volonté, on le traite comme l’on traiterait des animaux, on le manipulait, bref, on lui ôte le pouvoir de s’exprimer et d’agir comme il veut : on le déshumanise, le réduit à un système mécanique dont le fonctionnement est préétabli.
L’on a parlé de l’humanité comme si c’était uniquement le fruit de notre naissance. L’on aurait juste délimitée à son cadre biologique. Mais l’humanité est-elle directement et uniquement acquise par naissance ? L’homme est le produit de son capital inné, certes, mais aussi des expériences qu’il a vécues avec son monde. Imaginons un enfant abandonné et élevé par gorilles : il se comporterait plus en gorille qu’en homme. C’est là l’originalité même de l’humanité : l'homme doit aussi y parvenir par guidage, par l’aide de tuteurs, de ses parents. L'homme ne saurait être homme sans le langage. Or, ce sont nos parents qui nous apprennent, alors qu’on est âgé que de quelques mois, à parler. Ils nous apprennent donc à être humains. De ce point de vue, l'acquis est donc plus important que l'inné. Et si l’humanité est quelque chose qu’on a acquis au cours de notre existence, n’est-ce pas facile de la perdre ? Prenons le cas de Victor de l’Aveyron. Ce dernier fut découvert, le 8 janvier 1800, par des chasseurs. Enfant nu, voûté, aux cheveux hirsutes, en deçà des échanges et de la communication, il ne parle pas et fait des gestes désordonnés. Lorsqu’on lui présente un miroir, il ne se reconnaît pas et regarde en arrière de celui-ci. Il n’aurait donc pas acquis la conscience de soi. Il aurait maturé à l’état sauvage et pas acquis l’humanité. Il est donc possible de naître humain, au sens biologique, et de ne pas devenir humain au sens moral.
L’humain peut perdre son humanité lorsqu’il est privé de sa liberté de conscience, de son libre arbitre, de son choix dans ses actions… Mais ceci constitue-t-il l’unique condition qui, lorsque satisfaite, permet la séparation des humains de ceux qui ne le sont pas ? Car, si c’est le cas, que penser des personnes atteintes de troubles psychologiques ou mentaux, celles en état végétatif par exemple? Elles qui n’ont pas le choix de ne pas avoir le choix, ont-elles perdus leur humanité ? Il va donc falloir différencier l’état naturel d’humain, à celui dont on acquiert par nos rapports avec l’environnement. L’homme ne peut complètement perdre son humanité, car si cela était possible, ça voudrait dire qu’il retournerait à un état complètement animal. L’homme, aussi déshumanisé qu’il soit, garde toujours en lui une part d’humanité innée et naturelle.
Un esclave n’est esclave que parce qu’il est soumis, corps et âme, à une autorité qui ne le laisse s’exprimer. Mais si libéré, un esclave pourrait récupérer toutes les caractéristiques définissantes de l’humanité, jadis étouffées en lui, et qui attendaient des conditions favorables pour regagner leur souffle. De plus, un enfant sauvage, aussi éloigné du reste de l’humanité qu’il soit, demeure humain par origine. Il est naît humain et ne pourra jamais perdre cette humanité. D’emblée, certains enfants sauvages peuvent reprendre, si éduqués, les capacités rationnelles intellectuelles de l’humain. Ainsi, l’être humain ne peut pas perdre son humanité, puisque l’humanité en lui est innée.
L’humain est doté d’une conscience, de laquelle découlent des actions humaines, issues d’une réflexion humaine. C’est la conscience qui permet de distinguer l’homme des autres espèces animales. Sans une libre conscience et une maîtrise de soi, on ne saurait être humain. En nous privant d’agir et donc d’user de la raison que l’on détient, on nous prive de la fonction qu’est d’être humain. Mais l’on pourrait regagner nos caractéristiques fondatrices de notre humanité en étant libérés de l’autorité qui nous les a fait perdre. Cette perte ne serait que « temporelle ». Mais pouvons-nous employer le terme « perte » lui-même ? Car en nous demeure toujours cette part d’humanité innée, cette humanité biologique, que même les enfants sauvages abandonnés à leur plus jeune âge conserveront. Dire que l’on est né humain semble suffisant pour déterminer notre appartenance définitive à l’humanité.