Dernière mise à jour : 07/06/2021
• Proposé par: Sylvain Reboul (professeur)
Texte étudié
Tous les raisonnements sur les faits paraissent se fonder sur la relation de cause à effet. C'est au moyen de cette seule relation que nous passons l'évidence de notre mémoire et de nos sens. Si vous demandiez à quelqu'un pourquoi il croit à la réalité d'un fait qu’il ne constate pas effectivement, par exemple que son ami est à la campagne ou en France, il vous donnerait une raison; cette raison serait un autre fait : une lettre qu'il a reçue ou la connaissance de ses résolutions antérieures et de ses promesses. Un homme qui trouverait une montre ou une machine autre ma chaire dans une île déserte conclurait qu’il y a eu précédemment des hommes sur cette île . Tous nos raisonnements sur les faits sont de même nature. On suppose constamment qu'il y a une connexion entre le fait présent et ce qu'on en infère. S'il n'y avait rien pour les unir l'un à l’autre, l'inférence serait entièrement arbitraire. L'audition d'une voix articulée et d'une conversation raisonnable dans l'obscurité m’assure de la présence d'une personne : pourquoi ? Ce sont des effets de la constitution et de la structure de l'homme en étroite connexion avec elles. Si nous analysons tous les autres raisonnements de cette nature, nous trouverons qu'ils se fondent sur la relation de la cause à l'effet et que cette relation est proche ou éloignée, directe ou collatérale. La chaleur et la lumière sont des effets collatéraux du feu, et l'on peut à bon droit conclure l'un des effets de l'autre. Si donc nous désirons nous satisfaire au sujet de la nature de l'évidence qui nous donne la certitude des faits, il faut que nous recherchions comment nous arrivons à la connaissance de la cause et de l'effet. J'oserai affirmer, comme une proposition générale qui n'admet pas d'exception, que la connaissance de cette relation ne s'obtient, en aucun cas, par des raisonnements a priori; mais qu elle naît entièrement de l'expérience quand nous trouvons que des objets particuliers sont en conjonction constante l'un avec l'autre. Qu'on présente un objet à un homme dont la raison et les aptitudes soient, par nature, aussi fortes que possible; si cet objet lui est entièrement nouveau, il sera incapable, à examiner avec la plus grande précision ses qualités sensibles, de découvrir l'une de ses causes ou l'un de ses effets. Adam, bien qu'on admette l'entière perfection de ses facultés rationnelles dès son tout premier moment, n'aurait pu inférer de la fluidité et de la transparence de l'eau que celle-ci le suffoquerait, ou de la lumière et de la chaleur du feu que celui-ci le consumerait. Nul objet ne découvre jamais, par les qualités qui paraissent aux sens, soit les causes qui les produisent, soit les effets qui en naissent; et notre raison ne peut, sans l'aide de l'expérience, jamais tirer une conclusion au sujet d'une existence réelle et d'un fait.
Hume, Enquête sur l'entendement humain - section IV
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