Marx écrivait : "le résultat auquel le travail aboutit préexiste idéalement dans l'imagination du travailleur". Mais alors, si ce que l'homme accomplit par son travail est déjà "présent" dans son imaginaire, comment celui ci perçoit t-il sa production elle même, ses différences avec l'idée qu'il se faisait d'elle ? Et puisque ce que nous produisons est le reflet de nos attentes, de nos désirs, de nos besoins, notre production ne peut-elle donc pas devenir dangereuse ? A vouloir et à pouvoir, de plus en plus, répondre à toutes nos aspirations, les plus futiles soient elles, par le travail, l'aboutissement de celui ci ne risque t-il pas de se retourner contre nous ?
Afin d'apporter une réponse à cette question, nous nous demanderons tout d'abord pourquoi l'on a coutume d'associer notre production à un progrès, à quelque chose de positif pour l'homme. Puis, après avoir cherché pour quelles raisons le résultat de notre travail pourrait-il nous nuire, nous nous poserons une dernière question : Comment pourrait-on appréhender notre production pour qu'elle ne soit pas synonyme de menace ?
Le travail est le plus souvent associé à quelque chose d'éprouvant, de pénible, et s'oppose aux loisirs, à la détente. Pourtant, l'homme a toujours travaillé car c'est par son travail qu'il parvient à transformer consciemment en objets utiles ce que la nature lui a donné afin de répondre à ses besoins.
Ainsi, notre production vise en premier lieu à améliorer notre bien-être, car, contrairement aux animaux qui sont parfaitement adaptés à leur milieu naturel, l'homme n'est pas chez lui dans la nature. Il a des besoins auxquels il ne peut subvenir avec les moyens naturels dont il dispose : que ferions nous sans vêtements, sans couverture, nus en plein hiver ? Les animaux ont un pelage mais l'homme n'est pas protégé contre le froid, il se doit donc de produire un objet susceptible de le réchauffer. Mais si la fin première du travail était tout simplement de permettre à l'homme de survivre dans un milieu qui lui est hostile, un moyen de répondre à ses besoins vitaux, l'évolution des techniques fit considérablement évoluer ces besoins. En effet, alors que les techniques n'ont cessé de se sophistiquer au cours des siècles, permettant ainsi à l'homme de produire des objets et des services de plus en plus complexes, ses besoins ont, eux aussi, considérablement évolué. Puisque les capacités et les possibilités de production sont de plus en plus diversifiées, les besoins de l'homme tendent vers de plus en plus de futilité : ainsi, s'il était indéniable que nous ayons besoin de vêtements pour survivre, il nous est facile d'admettre que le fait de suivre les différentes modes vestimentaires ne relève pas de l'indispensable. Mais l'homme est ainsi, il se crée des besoins et sa production lui permet de satisfaire ses désirs, voire de lui procurer du plaisir : qui n'a jamais été heureux de déguster un gâteau au chocolat après avoir passer un long moment à le confectionner ? Bien sûr, on aurait pu se contenter de manger un oeuf et du beurre de cacao, ce que la nature nous a donné, pour survivre, mais ce gâteau nous procure en plus du plaisir, ce qui est loin d'être négligeable ! On pourrait donc interpréter avec Rousseau la nécessité du travail moins comme ce que nous impose la nature extérieure que ce qu'exige notre propre nature : par le travail nous affirmons ce dont nous avons besoin en tant qu'individu. Le fait que par le travail l'homme cherche à créer ce dont il a besoin, ce à quoi il rêve même parfois, nous permet donc de comprendre pourquoi le résultat du travail est le plus souvent associé à quelque chose de positif. Effectivement, si nous ne cherchons qu'à produire ce que nous pensons être bon pour nous, l'issu de notre travail ne peut qu'être positive. De plus, comme le soulignait Marx, dans la mesure où l'homme se dresse librement face à son produit, celui ci ne peut en aucun cas constituer une menace : nous sommes libres de supprimer notre production si celle ci ne répond pas à nos attentes.
Mais là n'est pas le seul intérêt de ce que nous accomplissons par le travail. Emmanuel Mounier écrivait que "tout travail travaille à faire un homme en même temps qu'une chose". Il est vrai que, au delà du fait que notre travail réponde à nos besoins, nous ne pouvons omettre que, face à notre travail et grâce à lui, nous sommes en mesure d'accéder à quelque chose de "supérieur", de l'ordre de la pensée. En effet, qui n'a jamais ressenti ce sentiment de fierté face à l'objet, matériel ou immatériel, qu'il avait produit ? Il n'est qu'à voir l'architecte devant la maison qu'il a construite, le pâtissier devant sa pièce montée ou encore l'élève face à sa rédaction ! Cela ne s'expliquerait-il pas par l'extériorisation que nous faisons de notre individualité à travers le travail ? Ne mettons nous pas toujours "un peu de nous même" dans ce que nous réalisons ? Il semble effectivement que notre objet porte notre marque, et que, comme l'avait démontré Marx, nous nous contemplons dans cet objet en tant qu'homme mais aussi en tant qu'individu.
Ainsi l'aboutissement du travail est en quelque sorte libérateur : grâce à notre production nous prenons conscience de notre supériorité par rapport à l'animal puisque nous sommes en mesure de modifier la nature selon notre bon vouloir. Notre oeuvre est donc le fruit de notre pouvoir et de notre maîtrise, et nous ne nous en rendons compte qu'une fois notre travail achevé : comment savoir auparavant si ce que nous produisions était sensé, si cela allait correspondre à nos attentes, à ce que nous espérions, à l'idée que nous nous en faisions ? Hegel mettait ainsi l'accent sur l'aspect libérateur du travail une fois celui ci terminé : après avoir mis son travail au service d'un autre, l'esclave se découvre des capacités qu'il ignorait et passe donc d'une conscience d'esclave à une conscience de soi libre car dans son ouvrage "il a l'intuition de lui même comme réalité objective".
Enfin, on pourrait souligner que si la vocation première de notre production est de satisfaire nos propres envies, il est important de rappeler que celle ci peut tout aussi bien convenir à autrui. Pour reprendre notre exemple du gâteau au chocolat, même si je l'ai préparé seule, il ne fait aucun doute qu'il contribuera très certainement à satisfaire l'appétit de mes amis. Ce que nous produisons nous est donc également favorable dans la mesure où il nous permet de développer des échanges avec les autres producteurs, ce qui est par ailleurs source de socialisation, voire d'enrichissement.
Nous venons donc de le constater, si nous avons coutume d'associer notre production à quelque chose de positif c'est parce que ce que nous accomplissons par le travail nous permet de satisfaire nos besoins, qu'il soient vitaux ou superficiels, de nous réaliser en tant qu'individu, mais aussi d'entrer en contact avec les personnes qui nous entourent. Cependant, cette vision du travail n'est elle pas un peu idéaliste ? Qu'en est-il de nos jours, à l'heure de la consommation et de la production de masse ?
Nous l'avons vu, l'homme, avant même d'avoir achever sa production, se "fait une idée" de sa future réalisation qui devrait tendre à améliorer son bien-être. Mais cette production ne peut-elle pas être différente de l'idée qu'il s'en faisait ? Si l'homme échoue au cours de son entreprise, qu'arrive t-il ? Ce qui devait au départ contribuer à son bonheur, ne risque t-il pas de devenir une menace, voire même d'être à l'origine d'un mal-être chez son producteur ?
De prime abord, nous pouvons remarquer que si l'homme cherche à produire ce dont il a besoin, cela ne nous informe aucunement sur la nature de ce besoin. Or, selon les personnalités, les époques, et le contexte dans lequel l'homme travaille, ses besoins peuvent être susceptibles de le pousser à fabriquer un objet qui soit dangereux, qui puisse lui être nuisible. Ainsi, lorsque l'on fabriqua les armes atomiques durant la seconde guerre mondiale, force est de constater que cela ne fut pas une réalisation particulièrement positive pour l'humanité : celle ci nous permit, certes, de mettre un terme à un conflit qui dura plus de cinq années consécutives, mais à quel prix ? Et si, au départ, la technique avait pour fin de permettre la création d'un objet dont nous savions exactement ce à quoi il ressemblerait, nous sommes aujourd'hui en mesure d'évoquer les dangers de la technique, celle ci tendant à se perfectionner à un tel point que le résultat de son utilisation nous semble de plus en plus aléatoire. Nous pourrions par exemple évoquer les OGM, technique qui semble effectivement être un excellent moyen de subvenir aux considérables besoins alimentaires des pays d'Afrique ou d'Inde, mais dont nous ne pouvons, pour le moment, mesurer les conséquences sur les produits ainsi que sur les personnes consommant ces produits.
Mais nous adoptons là une vision globale du travail, le produit du travail d'un homme pouvant constituer un risque pour un autre homme. Nous noterons que, même dans une perspective plus individuelle, l'homme qui se met au travail en vue d'assouvir ses besoins encoure parfois des risques, et ce, à partir du moment où ses attentes sont démesurées, où il met toute sa force de travail au service de ses passions ou de ses désirs les plus fous. Ainsi, le professeur Frankenstein qui voulait créer un nouvel être afin d'accéder à la gloire, à la reconnaissance, voit le produit de son travail, le monstre, se retourner littéralement contre lui. Ce dernier lui reproche en effet de ne l'avoir créer dans le seul but d'assouvir son besoin surdimensionné de succès, puis de l'avoir totalement délaissé après s'être rendu compte que le résultat de son entreprise n'était pas à la hauteur de ses espérances. Le dénouement tragique de l'histoire de Mary Shelley remet donc en question l'idée de Marx selon laquelle l'homme se dresse librement face à son objet. Il semble en effet que nous ne soyons pas toujours en mesure de nous détacher absolument de notre production, et encore moins de nous "réaliser" à travers elle.
Cette tendance se trouve évidemment accentuée à l'heure où l'homme ne produit plus véritablement pour lui même, où il ne travaille finalement plus pour satisfaire ses besoins, mais juste pour avoir les moyens de satisfaire ses besoins en dehors du travail. Effectivement, l'ouvrier produisant à longueur de journée des gentes de voiture dans une usine, ne produit pas ces gentes pour subvenir directement à ses besoins ; l'objet qu'il accomplit par son travail n'est pour lui qu'un moyen lui permettant d'acquérir d'autres objets ou services, qui, eux, répondront à ses attentes. A travers cette remarque, nous adoptons donc l'analyse marxiste du monde du travail. Selon le célèbre auteur du Capital, l'aliénation de l'ouvrier au travail implique donc que celui ci devienne étranger au produit de son travail. En effet, à partir du moment où nous travaillons dans une entreprise quelconque, le résultat de notre travail ne nous appartient plus, il n'est pas le fruit d'une réflexion mais de la simple application des règles édictées par le patronat, détenteur du capital. Or, si ce que nous produisons n'est plus le reflet de notre personnalité, ne risque t-on pas de compromettre cette libre activité physique et intellectuelle que le produit de notre travail, lorsqu'il dépendait de nous, supposait ? Le fait que nous ne puissions plus nous affirmer en tant qu'homme à travers l'objet que nous fabriquons est-il aussi anodin que l'on pourrait le penser de prime abord ? Si l'homme n'a plus la possibilité d'extérioriser sa personnalité à travers les objets de sa production, il ne fait aucun doute que cela peut très vite se retourner contre lui.
Enfin, le fait que par ce que nous accomplissons grâce au travail nous rende de moins en moins dépendant de la nature ne constitue t-il pas, en soi, un risque ? Ainsi, s'il est indéniable que les voitures ont constitué une formidable avancée pour l'homme, qui, grâce à elles, s'est trouvé libéré des contraintes géographiques et météorologiques lors de ses déplacements, il ne fait aucun doute que ce sont ces mêmes voitures qui sont l'une des principales causes du très inquiétant phénomène de réchauffement climatique. Nous le voyons bien ici, l'objectif premier de notre production, nous libérer des contraintes naturelles, risque de se voir annulé par les conséquences mêmes de l'existence de cette production qui n'est pas naturelle, qui bouscule l'équilibre fragile de notre planète. Ainsi, Jules Vernes souligna à plusieurs reprises ces dangers accompagnant le confort progressivement acquis par l'homme, grâce à ses productions, à travers des récits d'ingénieurs ou de savants fou.
Tout au long de la réflexion que nous venons de mener, et des exemples qui l'ont illustrée, nous avons donc pu constater que les fins auxquelles l'on destine notre ouvrage, et les conditions dans lesquelles il était produit, peuvent considérablement influer sur les effets de notre production sur nous même. Nous avons par ailleurs remarqué que même la première raison d'être de cette production pouvait devenir dangereuse, dans la mesure où elle était à l'origine d'un rapport d'agressivité face à la nature. Mais alors, si le fruit de notre travail peut constituer une menace dans certains cas, cela est-il inéluctable ? Comment, dans l'état actuel des choses, pallier à cette "autodestruction" vers laquelle notre production semble nous conduire ?
Après avoir fait le constat des dangers auxquels une recherche trop démesurée d'indépendance vis à vis de la nature pourrait nous conduire, et semble, manifestement, nous conduire, depuis des siècles, comment réagir ? Comment appréhender notre production afin que celle ci ne renie pas son but premier et ne soit pas non plus trop agressive pour la nature, ainsi que pour autrui ? Que pouvons nous donc attendre, espérer, des objets et des services que nous produisons ?
Je pense que l'idée d'éthique pourrait constituer un premier élément de réponse à ces questions. Effectivement, nous le voyons par exemple avec la polémique qui accompagne le développement des clonages et la possibilité que l'homme aurait, dans les années à venir, de reproduire, ou de créer, un homme à son image, ou à l'image de celui qu'il voudrait "avoir". Cela nécessite sans aucun doute un travail gigantesque, mais jusqu'où le produit de cette tâche monumentale reste t-il légitime ? Et comment considérer le résultat de ces heures de travail ? L'idée d'éthique, que l'on peut relier à la philosophie de l'action décrite par Aristote, permettrait d'apporter des réponses à ces questions dans la mesure où elle s'intéresse à des problèmes fondamentaux comme celui de la responsabilité de l'agent, de l'intentionnalité d'une action ou de la définition de ce qu'on appelle un agent. Pour ce faire, il semble donc nécessaire que l'homme réapprenne, autant que possible, à se "dresser librement face à son produit" (Marx), ou, pour le dire autrement, à prendre un certain recul vis à vis de son ouvrage, mais aussi des capacités dont il dispose pour réaliser cet ouvrage, afin d'en tirer toutes les conséquences. Nous ne devrions plus pouvoir nous contenter de produire dans le "simple" but de satisfaire nos besoins ; nos pouvoirs sont trop étendus pour cela, nous devons donc réfléchir à ce que nous attendons de tel ou tel objet, de tel ou tel service, et ne plus nous lancer aveuglément dans des entreprises dont nous ne pouvons garantir l'issue. Nous voyons donc ici le rôle qu'auraient à jouer l'État, et plus particulièrement le Droit, dans ce processus. Si ce que nous sommes en mesure de produire évolue, les lois encadrant notre production se doivent d'évoluer pareillement afin de nous protéger de toutes sortes de dérives, plus inquiétantes les unes que les autres.
La réflexion semble définitivement être le meilleur moyen pour l'homme d'échapper aux probables effets néfastes que pourrait avoir sa production sur lui même. C'est par elle par exemple que nous sommes en mesure de regarder le plus objectivement possible nos modes de vie, grâce à elle que nous pouvons parvenir à prendre un minimum de recul. Ainsi, si nous n'écouterions que notre corps, nous ne saurions renoncer à tous ces plaisirs que peuvent nous procurer, parfois instantanément, notre société de consommation et les produits qu'elle nous offre. Mais, si l'on décide d'adopter un regard critique, si l'on fait cet effort de "retour sur soi" de notre conscience, alors nous pouvons relativiser en nous disant, par exemple, que bien que cet objet nous ferait très plaisir, nous n'en avons nullement besoin. En fait, il semblerait que la philosophie épicurienne soit une bonne façon d'éviter de devenir trop dépendant aux objets et aux services que nous produisons dont la valeur est essentiellement fonction de nos besoins sociaux. Nous pourrions ainsi accéder à l'ataraxie en sélectionnant nos désirs et en ne satisfaisant que ceux que la nature rend nécessaire. En adoptant cette philosophie, l'homme recentrerait alors sa production sur son but premier, et éviterait ainsi de s'égarer dans des productions aux fins douteuses et aux conséquences néfastes.
Enfin, on peut se demander de quelle manière l'on pourrait se réapproprier en quelque sorte notre production, afin que celle ci ne soit plus que le simple moyen de subvenir à nos besoins. Car, nous l'avons vu avec Marx, c'est lorsque nous devenons étranger à ce que nous réalisons que le fruit de notre travail devient dangereux. Mais alors, comment faire ? Comment l'ouvrier produisant à longueur de journée la même pièce insignifiante pourrait-il éprouver la moindre satisfaction face à l'objet qu'il a produit ? Premièrement, nous pourrions souligner qu'une réorganisation du travail, qui tendrait à diminuer la parcellisation des tâches au sein des processus de production contribuerait déjà à améliorer le rapport de l'ouvrier face à sa production. En effet, celui ci aurait à nouveau accès à une vision d'ensemble, se représenterait mieux son travail dans sa globalité, et l'on peut alors envisager qu'il ressente un certain sentiment de fierté. Deuxièmement, si l'on souhaite "réconcilier" le travailleur avec sa production, on peut imaginer que le fait de favoriser son implication au sein de l'organisation du processus de production lui permettrait de se sentir valorisé et donc l'encouragerait à "mettre du sien" dans son ouvrage. Cela serait bénéfique à la fois pour le travailleur, qui retrouverait un intérêt à sa tâche et à sa production, et pour le patronat, dans la mesure où des ouvriers plus impliqués seront forcément plus productifs. De telles évolutions ne permettent certainement pas d'affirmer une réappropriation totale du travail par le travailleur, mais elles invitent à considérer une complexité toute nouvelle.
Finalement, nous avons pu le noté tout au long de cette analyse, dans les conditions de production qui sont les nôtres aujourd'hui, si l'on souhaite éviter un maximum que notre travail se retourne contre nous, aussi bien biologiquement, philosophiquement et humainement parlant, la première chose que nous avons à faire est de penser, de philosopher, de réfléchir. En fait, si l'on désir échapper aux risques du travail au sens pratique du terme, nous nous devons de travailler au sens intellectuel. Seule notre raison nous permettra d'arbitrer, de produire une réflexion en mesure de redéfinir notre rapport à notre travail.
A travers la réflexion que nous avons mené nous avons pu mettre en évidence les différents liens entre production et condition de vie, d'existence, du ou des producteurs. Nous avons pu voir que, si dans un premier temps, la fin vers laquelle tendait le fruit de notre travail était de nous libérer et de nous protéger des contraintes et des risques de la nature, l'acquisition progressive de nouvelles techniques et méthodes de production ont très largement contribué à modifier ce rapport. En effet, puisque nous sommes en mesure de produire des biens et des services de plus en plus variés, susceptibles de répondre à toutes sortes de besoin, nos désirs et nos attentes vis à vis de notre production ont, en conséquent, évolués. Nous avons pu constater que c'est lorsque l'homme perdait de vue l'objectif premier de son travail, ou le poussait trop à l'extrême, que celui pouvait devenir dangereux, or, les nouveaux besoins que nous nous créons sont, nous avons pu le constater, le plus souvent propices à encourager ce type de production. A trop vouloir nous détacher de la nature, nous risquons de définitivement la détruire, et donc de nous détruire. Car, s'il est certain que nous ne saurions vivre sans notre production, qui a été une indéniable source de progrès tout au long de l'Histoire, il est tout aussi certain que sans une grande interrogation sur les buts auxquels notre production peut désormais servir et les moyens qui s'offrent à nous pour mieux la maîtriser, nous courrons à notre "autodestruction".
Ainsi, nous pourrions conclure en disant que, d'un point de vue théorique et idéaliste, le produit de notre travail nous est indispensable et constitue un des pilliers de notre humanité, mais que les conditions dans lesquelles celui ci est fabriqué, l'origine et la fin qu'il se donne peuvent le transformer en une menace. Dans ce cas, l'homme se doit de se conduire en temps qu'Homme, c'est à dire regarder la situation en face, s'interroger, et tenter de trouver des moyens d'échapper aux risques que sa production lui fait encourir.